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Sur le vif - Page 7

  • La langue allemande : la vie qui danse, autour du néant

     
     
    Sur le vif - Dimanche 21.09.25 - 09.31h
     
     
     
    Si des gens n’ont strictement rien à dire de particulier sur la langue allemande, ce qui est leur droit le plus strict, pourquoi les interviewer sur le sujet ? Quelle valeur ajoutée ?
     
    La langue allemande est l’une des plus belles du monde, l’une des plus passionnantes à étudier, de l’Althochdeutsch carolingien au Mittelhochdeutsch du douzième, celui du Minnesang, et jusqu’à la fusion musique et mots de Brecht et Kurz Weill, ou celle de Hofmannsthal et Richard Strauss, Alban Berg et Wedekind.
     
    La langue allemande est plurielle, évolutive, très souple, puissamment dialectale. Elle est une musique en fusion, comme celle de l’Estonien Arvo Pärt, celui qui nous restitue jusqu’à la liquidité souterraine du minéral, dans son œuvre exceptionnelle.
     
    La langue allemande est musique et poésie. Elle est aussi mystique et théologie : l’homme qui invente la littérature allemande moderne, en 1522, n’est autre que Martin Luther, le plus grand des Allemands, avec Beethoven.
     
    Se lancer dans une Histoire des Allemagnes, de 1522 à nos jours, c’est convoquer avec passion l’Histoire de la langue allemande elle-même. Schiller, Fichte (dans ses Reden an die deutsche Nation, Berlin sous occupation française, 1807), les Frères Grimm, et le bouleversant poète Paul Celan (Allemand de Roumanie, 1920-1970, famille anéantie dans les camps) construisent toute leur œuvre autour de la langue allemande elle-même. Ils l’exhument, ils la ressuscitent parmi les morts, ils réinventent sa vie. Chez Celan, qui a choisi le Pont Mirabeau pour prendre congé de la vie, le 20 avril 1970, la langue danse autour du néant.
     
    La langue allemande n’est pas un simple support, elle est la vie elle-même, ce qui rassemble les Allemands. Les Frères Grimm, puis Brecht, Heiner Müller, Christa Wolf, se mesurent à la langue, sa puissance musicale, sa capacité d’évocation. Ils s’invitent, par immersion, dans ce liquide amniotique, celui de tous les Allemands, leur origine perdue, leur matrice.
     
    La langue allemande, c’est vrai, est d’un apprentissage exigeant. Elle sollicite le cerveau, pour la grammaire et la syntaxe, mais surtout le sens musical, l’acceptation de la souplesse dialectale. Une langue difficile, oui. Mais croyez-moi, chaque obstacle franchi est source d’une vivifiante joie intérieure. Parce qu’il vous ouvre le chemin. Il vous permet, un jour, de lire Hölderlin ou Thomas Mann. D’écouter le Deutsches Requiem en vibrant d’émotion intérieure, la même que celle de Luther, enfermé dans le Château de la Wartburg entre 1520 et 1522, arrachant à chaque mot hébraïque, ou grec, un mot en allemand de son temps. Arrachant la Bible aux clercs, pour la restituer dans l’universel de sa présence, ici et aujourd’hui. Et pour que le moindre paysan, dans la plus reculée des campagnes, puisse la comprendre. Mieux : la chanter.
     
    La langue allemande est un chemin de vie. Elle est la vie elle-même, dérisoire et fragile, parfois sublime. La vie qui danse, autour du néant.
     
     
    Pascal Décaillet

  • La jeunesse allemande en quête de récit national

     
     
    Sur le vif - Lundi 15.09.25 - 16.06h
     
     
    De toutes les nouvelles du week-end, la plus importante est évidemment le triplement du score de l'AfD dans le Land, longtemps tenu par le SPD, de Nordrhein-Westfalen, dont fait partie la prodigieuse région de la Ruhr.
     
    J'y reviendrai. Ici, et sûrement à GAC. Il y a quelque chose, Land par Land, friche industrielle par friche industrielle, déception après déception, déconvenue, effondrement d'une industrie et d'une sidérurgie naguère uniques au monde, qui est en train de se construire dans les Allemagnes. Quelque chose de fort, autrement plus puissant, en termes de renouveau de l'idée nationale, que le rattachement, par étiquettes, à telle portion droitière du curseur.
     
    La plupart des gens, y compris chez des journalistes autorisés dans des quotidiens "de référence", qui nous parlent de l'Allemagne, n'y connaissent absolument rien. Ils n'ont pas la profondeur historique. Ils n'ont pas la culture littéraire, voire musicale. Ils n'ont pas les lectures. Ils n'ont pas les témoignages hors des bornes imposées par les vainqueurs à l'Ouest, en 1945. Leur esprit manque de liberté, tout simplement.
     
    La montée de l'AfD a un sens profond. Elle répond à une insatisfaction tellurique. Mais aussi, elle dessine les aspirations des générations nouvelles. L'ancrage dans un roman national intégrant toutes les grandes périodes de l'Histoire allemande, Réforme, invention de langue allemande par Martin Luther, horreur de la Guerre de Trente Ans, relèvement extraordinaire au 18ème, sous Frédéric II de Prusse, occupation de la Prusse par les Français (1806-1813), Aufklärung, Sturm und Drang, Romantisme, Révolution industrielle, sidérurgie, charbon, deux guerres mondiales, relèvement, encore et toujours.
     
    Les jeunes Allemands ont besoin qu'on leur raconte leur Histoire. L'horreur de la Shoah, dont leurs ancêtres furent responsables, avec six millions de morts. Mais aussi, les moments d'exceptionnelle lumière de l'Histoire et de la culture allemandes. Ils ont en marre du lessivage par les standards américains, y compris musicaux. Ils aspirent à être eux-mêmes, tout simplement. C'est l'une des clefs du succès de l'AfD.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Lui est mort. Et nous, nous sommes vivants

     
     
    Sur le vif - Dimanche 14.09.25 - 10.39h
     
     
    Les idées de Charlie Kirk n'étaient pas les miennes. Mais bon sang, ce Monsieur a été assassiné. Fauché dans sa jeunesse. Il avait, nous dit-on, la passion de convaincre, par les mots, le dialogue. Il allait au contact. Il n'avait pas peur. Ce sont là des vertus, au sens le plus fort du mot, le sens latin.
     
    Ce Monsieur a été assassiné. Lui est mort, et nous, nous sommes vivants. Ce qu'il y a de plus profond en moi, dans mes adhésions spirituelles les plus inaltérables, est le respect d'une personne emportée par la mort. Quelle que soit cette personne. Que, vivante, elle vous fût amie ou ennemie. Tout cela, pour moi, s'efface. La mort est notre lot à tous. Un humain qui meurt, c'est le rappel de notre condition universelle.
     
    Cette règle, par d'innombrables adversaires de Charlie Kirk, se trouve, depuis quelques jours, largement bafouée. Jusqu'en Suisse romande, d'aucuns ne manquent pas, en mentionnant son assassinat, de le noircir post mortem. Qu'ils aillent jusqu'au bout de leur pensée, qu'ils aient au moins ce courage : le tyrannicide était justifié, c'est cela qu'ils laissent poindre ?
     
    Nausée. Perte de repères. Dans ce tournoiement de vautours autour d'un cadavre, il y a un recul d'humanité. Je ne dis pas qu'il faut aimer Charlie Kirk. Ni partager ses idées. Je dis que face à la mort, un seul mot s'impose : la décence.
     
     
    Pascal Décaillet