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Sur le vif - Page 5

  • C'est avec son pire ennemi qu'il faut négocier

     
     
    Sur le vif - Jeudi 09.10.25 - 15.25h
     
     
     
    J'ai eu souvent l'occasion de m'entretenir avec Michel Rocard, qui fut Premier Ministre de François Mitterrand entre 1988 et 1991. Il était, dans l'ordre de la conversation, un homme de grande valeur.
     
    Lors de notre dernière rencontre, je l'avais reçu sur le plateau de GAC, et nous nous étions entretenus, hors antenne, du principe de négociation. Il avait lui-même, en 88, de Matignon, préparé avec acharnement les Accords sur la Nouvelle-Calédonie, entre Caldoches et Kanaks. Rocard n'était pas un colonial, il avait un respect profond pour le droit à l'autodétermination de tous les peuples du monde. Jeune politicien, proche de Mendès France, pendant la Guerre d'Algérie, il l'avait montré. Cette sensibilité anti-coloniale, je l'ai toujours partagée.
     
    Surtout, Rocard venait, lors de son passage à Genève, de se pencher en profondeur, lui le Protestant français, sur les négociations, incroyablement intenses, ayant précédé l’Édit de Nantes, au moment terrible des Guerres de Religion. Il y avait trois partis : les Protestants, les Catholiques (derrière le duc de Guise, notamment), et les émissaires du Roi.
     
    Et Rocard notait une chose : si on veut, un jour, un bon Traité, alors il faut négocier dans la pire des douleurs, avec son pire ennemi. Rien ne sert, disait-il, de négocier avec un mou, un gentil, ou un émissaire qui n'aurait pas l'autorité de sa fonction. Non, il faut négocier avec le pire de ses ennemis !
     
    Si la France a eu l’Édit de Nantes (avril 1598), qui a mis fin aux Guerres de Religion, c'est évidemment grâce à un souverain d'exception, Henri de Navarre, devenu Henri IV. Mais c'est aussi, et surtout, parce que les Accords furent négociés par les pires ennemis. Ils avaient juste eu l'intelligence de s'asseoir autour d'une table. Et commencer à laisser émerger la parole, plutôt que l'acte de tuer.
     
    En ce jour où, nous dit-on, l'espoir d'une solution politique commence peut-être à poindre au Proche-Orient, je pense à Michel Rocard. Je pense à Henri de Navarre. Je pense à l’Édit de Nantes. Je pense au peuple d'Israël. Et je pense au peuple de Palestine, à qui je souhaite, plus que jamais, la dignité d'un Etat.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Un homme d'exception

     
     
    Sur le vif - Jeudi 09.10.25 - 10.40h
     
     
    Il y a 33 ans, le 8 octobre 1992, s’éteignait l’un des plus grands hommes d’Etat allemands. Correspondant au Palais fédéral de la RSR, immergé jusqu’au cou dans la campagne du 6 décembre (je sillonnais la Suisse dans tous les sens), je lui avais consacré un hommage, dans la matinale du lendemain.
     
    Né en 1913 dans la superbe Ville Hanséatique de Lübeck, qui fut aussi celle de Thomas Mann, il a refusé le Troisième Reich, passé douze ans en exil en Scandinavie.
     
    Revenu en Allemagne, il fut un incomparable Maire de Berlin, puis Vice-Chancelier et Ministre des Affaires étrangères, et enfin, de 69 à 74, le premier Chancelier social-démocrate de l’après-guerre.
     
    En décembre 1970, première visite d’un Chancelier allemand à Varsovie, il surprend le monde entier en s’agenouillant devant le monument aux morts du Ghetto. L’année suivante, il sera Prix Nobel de la Paix.
     
    Willy Brandt, toute sa vie, a porté son regard vers l’Est, quitte à se faire détester par les Américains. Sa géniale intuition de l’Ostpolitik l’a amené à établir, enfin, des relations avec la DDR.
     
    J’ai absolument tout lu sur lui, en allemand comme en français, toutes ses biographies, toute sa correspondance, tous ses discours : Willy Brandt portait en lui une intime conviction de l’unité allemande retrouvée. Pas celle du Rhénan Kohl, capitaliste et atlantiste, qui phagocytera avec une inimaginable vulgarité la DDR. Non, Willy Brandt respectait la Prusse, la Saxe et la Thuringe, leur Histoire, leur rapport à l’Etat, à l’organisation sociale, où le marché n’a JAMAIS régné en maître. Bref, il avait profondément compris l’essence historique et philosophique de la DDR. Le capitaliste Kohl, lui, n’y a vu qu’un marché à racheter.
     
    Willy Brandt voulait une unité du cœur et de l’âme de tous les Allemands, c’était un visionnaire, un homme d’exception, l’un de ceux que j’admire le plus au vingtième siècle, avec de Gaulle et Mendès France.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Le Roi est nu, le Roi est seul, le Roi doit partir

     
     
    Sur le vif - Lundi 06.10.25 - 14.38h
     
     
    Emmanuel Macron : un homme intelligent, charmant, cultivé, doté d'une belle plume, ou alors bien entouré, beau parleur, excellent dans les discours.
     
    Bref, l'homme ne manque pas de qualités. Mais un homme d'Etat, ça n'est pas un homme tout court. Il faut qu'il y ait en lui le génie de l'Etat. C'était le cas avec Charles de Gaulle. Aussi, certes autrement, avec François Mitterrand.
     
    Chez Macron, la dimension d'Etat, celle d'un Philippe le Bel, celle d'un Louis XI, celle d'un Carnot, d'un Mendès France, n'apparaît pas. L'homme se donne à briller. Il aime la Cour. Il aime presque physiquement les puissants du monde, il adore les empoigner amoureusement, les embrasser. Chez lui, la diplomatie est une étreinte recommencée. Dans l'ordre de l'horizontalité de classe, les puissants en haut, les gueux en bas, il excelle.
     
    A lui seul, par réaction, il réveille Marx, la presse de gauche rhénane des années 1840, Engels, la dialectique hegelienne, la prise du Palais d'hiver, la Révolution allemande de 1919, le bain joyeux de Mao dans le grand fleuve.
     
    Que signifie l'inimaginable bordel de son second mandat, d'ailleurs déjà largement installé lors du premier ? Politiquement, l'échec du grand rêve MRP, très Quatrième République, de vouloir construire une majorité par le Centre. Pour une raison simple : en politique, il y a la droite, la gauche. Les dominants, les dominés. La lutte des classes. Au milieu de ces feux d'antagonismes, bienvenus dans une perspective dialectique, le Centre n'est qu'une illusion. Un Marais. Une eau de bénitiers, trempés des doigts de mille pécheurs et pécheresses.
     
    La preuve de cet échec ? Depuis 2017, Macron nous promet de résorber les extrêmes. Huit ans après, ils ne se sont jamais aussi bien portés. Les vrais chefs, en France, dans une forêt de prétendants futiles, sont Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. La première est aux portes du pouvoir. Elle n'a plus qu'à introduire la clef.
     
    Alors voilà, Macron, cet homme intelligent, nous prouve par l'acte qu'en politique, briller seul dans un Palais des Glaces, entouré des seuls courtisans, ne sert à rien. Il faut une vision de l'Etat. Et il faut une vision POUR l'Etat. Car en France, depuis mille ans, rien ne se fait sans l'Etat. Que fait de Gaulle, en 44, pour éviter une guerre civile entre maquis communistes et partisans des Américains ? Partout en France dévastée, il rétablit l'Etat.
     
    Cette dimension, austère et sacrificielle, celle d'un Charles de Gaulle avant tout, Macron ne l'a pas. Alors, tel une divinité carthaginoise, flaubertienne, assoiffée de sacrifices humains, il envoie ses Premiers ministres, l'un après l'autre, dans la dévoration par le feu.
     
    Aujourd'hui, lundi 6 octobre 2025, le Roi est nu. Le Roi cherche la lumière, mais il a sacrifié tous les fusibles. Le Roi est seul. Le Roi doit partir.
     
     
    Pascal Décaillet