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Sur le vif - Page 3

  • Proche-Orient : la lucidité ne conduit pas à l'optimisme

     
     
    Sur le vif - Lundi 13.10.25 - 16.47h
     
     
    Elle est belle, elle est humaine, elle est infiniment respectable, la lueur d'espoir, dans un camp comme dans l'autre, au Proche-Orient. Pour ma part, j'ai toujours souhaité la paix, la concorde, la dignité d'Etat pour tous, dans cette région du monde si chère à mon coeur. Puisse cette lueur d'espoir déboucher sur quelque chose de fort, où les mots remplaceraient les armes, la main tendue remplacerait la main qui tue, la passion de comprendre remplacerait l'ignorance et les préjugés, la connaissance des langues, comme dans le feu d'une Pentecôte, remplacerait le fracas de Babel.
     
    Mais hélas, la lucidité n'incite pas à l'optimisme. C'est peu dire que cet espoir de paix, aussi légitime soit-il chez les belligérants, leurs familles, est d'une immense fragilité. Soyons francs : il n'y a, pour l'heure, ni chemin de paix sincère, comme avait pu l'être celui d'un Yitzhak Rabin, ni pulsion des cœurs à se rapprocher. Toute l'immense violence de ces deux dernières années est encore là, son fracas, ses cicatrices, l'empire de cette souffrance. Nous ne pouvons, en l'état, qu'espérer un cessez-le-feu qui tienne, ce serait déjà extraordinaire pour les populations civiles. Mais le mot "paix" est prématuré. Il faudra tellement de temps pour y parvenir, un jour, peut-être.
     
    Et puis, pourquoi le taire, nulle paix durable ne peut provenir d'un deus ex machina, venu d'un Nouveau Monde, dix mille kilomètres à l'Ouest de Jérusalem ou de Gaza. La paix exige lenteur, écoute, travail de réconciliation, réouverture des âmes fermées, des cœurs endurcis, laisser la place aux mots, à la langue, mais aussi à un long silence de cicatrisation. La paix, la vraie, ne se décrète pas à la Maison-Blanche, elle n'est pas là pour servir le blason de son locataire du moment. Elle doit surgir des antagonistes eux-mêmes, à commencer par les plus extrêmes d'entre eux, dans les deux bords.
     
    La passion pour le Proche-Orient exige, de la part des observateurs que nous sommes, l'élan des cœurs. Mais elle exige, tout autant, la plus implacable des lucidités. L'exercice de cette dernière, pour ma part, ne m'amène pas ce soir à l'optimisme.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Pour un Panthéon sans Président

     
     
    Sur le vif - Vendredi 10.10.25 - 13.06h
     
     
    Entre la profanation d'une tombe, qui est immonde, et l'insupportable unanimisme, il aurait pu, tout de même, exister hier le seul espace qui vaille : celui du respect, certes, pour un homme, encore plus pour un mort, mais n'empêchant en aucune manière l'exercice de la lucidité critique sur son oeuvre, son legs à la Place Vendôme.
     
    Hélas, cela ne fut pas le cas, ou beaucoup trop peu. Liturgie présidentielle comme paravent d'une perdition. Obédience, génuflexion, de la Macronie médiatique. Sanctification béate, là où aurait dû s'appliquer la nuance. Bref, à peu d'exceptions près, tous derrière l’instrumentalisation de Macron.
     
    S'il doit exister un Panthéon, alors il est immensément malsain que le grand-prêtre en soit le chef d'Etat en exercice. Au moins, en 64, pour Jean Moulin, Charles de Gaulle "menhir dans sa longue capote battue par le vent glacé", avait laissé parler Malraux. Mais le Président à la fois maître de cérémonie, metteur en scène, hagiographie officiel, moraliste en chef, récupérateur, il y a quelque chose de l'ordre d'une dérive.
     
    Quelle dérive ? Celle de Macron ? Oui. Mais la dérive de tout pouvoir, d'où qu'il vienne, lorsqu'il prétend, en plus de régir la Cité, organiser et orienter la mémoire.
     
    L'exercice de la fonction critique, si chère à Robert Badinter, ne lui a paradoxalement pas été appliqué. On l'a juste sanctifié, non pour lui, mais pour accorder un sursis de crédit à un pouvoir prêt à tout pour ne pas voir sa propre fin.
     
     
    Pascal Décaillet

  • C'est avec son pire ennemi qu'il faut négocier

     
     
    Sur le vif - Jeudi 09.10.25 - 15.25h
     
     
     
    J'ai eu souvent l'occasion de m'entretenir avec Michel Rocard, qui fut Premier Ministre de François Mitterrand entre 1988 et 1991. Il était, dans l'ordre de la conversation, un homme de grande valeur.
     
    Lors de notre dernière rencontre, je l'avais reçu sur le plateau de GAC, et nous nous étions entretenus, hors antenne, du principe de négociation. Il avait lui-même, en 88, de Matignon, préparé avec acharnement les Accords sur la Nouvelle-Calédonie, entre Caldoches et Kanaks. Rocard n'était pas un colonial, il avait un respect profond pour le droit à l'autodétermination de tous les peuples du monde. Jeune politicien, proche de Mendès France, pendant la Guerre d'Algérie, il l'avait montré. Cette sensibilité anti-coloniale, je l'ai toujours partagée.
     
    Surtout, Rocard venait, lors de son passage à Genève, de se pencher en profondeur, lui le Protestant français, sur les négociations, incroyablement intenses, ayant précédé l’Édit de Nantes, au moment terrible des Guerres de Religion. Il y avait trois partis : les Protestants, les Catholiques (derrière le duc de Guise, notamment), et les émissaires du Roi.
     
    Et Rocard notait une chose : si on veut, un jour, un bon Traité, alors il faut négocier dans la pire des douleurs, avec son pire ennemi. Rien ne sert, disait-il, de négocier avec un mou, un gentil, ou un émissaire qui n'aurait pas l'autorité de sa fonction. Non, il faut négocier avec le pire de ses ennemis !
     
    Si la France a eu l’Édit de Nantes (avril 1598), qui a mis fin aux Guerres de Religion, c'est évidemment grâce à un souverain d'exception, Henri de Navarre, devenu Henri IV. Mais c'est aussi, et surtout, parce que les Accords furent négociés par les pires ennemis. Ils avaient juste eu l'intelligence de s'asseoir autour d'une table. Et commencer à laisser émerger la parole, plutôt que l'acte de tuer.
     
    En ce jour où, nous dit-on, l'espoir d'une solution politique commence peut-être à poindre au Proche-Orient, je pense à Michel Rocard. Je pense à Henri de Navarre. Je pense à l’Édit de Nantes. Je pense au peuple d'Israël. Et je pense au peuple de Palestine, à qui je souhaite, plus que jamais, la dignité d'un Etat.
     
     
    Pascal Décaillet