Sur le vif - Jeudi 06.03.25 - 17.08h
La question, pour moi, n'a jamais été d'être pour l'Ukraine ou pour la Russie. Pas plus qu'elle n'était, pendant les Guerres balkaniques (années 1990), d'être pour la Serbie ou pour le Kosovo. Je me suis rendu au Kosovo, en 1998, pour un reportage. Et en Ukraine, en 2004, au moment de la Révolution orange. Dès qu'on rencontre les gens, on voit les choses différemment, et on a très vite tendance à embrasser leur cause. Il faut d'ailleurs se méfier de cette sympathie, quand on est sur le terrain.
Non, la ligne de démarcation, dans l'approche intellectuelle, se situe entre ceux qui analysent l'Histoire, en commençant PAR EN PRENDRE CONNAISSANCE (avec les longues années d'ascèse que cela implique), et ceux qui veulent immédiatement désigner des bons et des méchants. Ceux-là ne sont pas des observateurs, mais d'éternels moralistes. Les mêmes, dans les années 1990, diabolisaient le Serbe, et aujourd'hui n'en peuvent plus de vitupérer le Russe. Les mêmes ! Exactement les mêmes !
Pour ma part, je ne juge jamais un Etat, ni les relations qu'on doit avoir avec lui, en fonction de son régime du moment. Les régimes passent, les Etats demeurent. On me dira cynique. J'accepte l'adjectif. Je ne suis pas un moraliste, j'observe l'Histoire, je tente de reconstituer la chaîne de causes et de conséquences. Mon héros, tout sauf un moraliste, c'est Thucydide. J'ai commencé, dès l'âge de quinze ans, à lire dans le texte original sa Guerre du Péloponnèse, rédigée il y a 25 siècles. Il y analyse, avec un génie glacé et une lucidité époustouflante, les impérialismes rivaux, sur mer et dans les îles, de Sparte et Athènes. Il y dévoile les vraies raisons du conflit, qui sont évidemment économiques. C'est Marx, avant l'heure.
Pour moi, l'Ukraine est l'exemple même de conflit qui doit être analysé froidement. Décrypter la propagande des Russes, mais aussi celle des Ukrainiens, celle des atlantistes, celle des Européens en croisade pour le réarmement. Et, chez ces derniers, les vraies raisons, qui sont évidemment de politique intérieure. Une bonne expédition guerrière, au service du Bien, avec un bon Satan à abattre, ça détourne à merveille les attentions, alors qu'on est en train, par exemple, de pulvériser, dans son propre pays, le record de l'endettement. N'est-ce pas, M. Macron ?
Pascal Décaillet
Commentaires
Merci pour cette analyse
J'adhère en partie à l'analyse. Mais qqs questions demeurent : est-ce que le réarmement des pays européens n'est pas realiste si l'on considère le rapport de force et la logique militaire Russe ? A minima pour peser dans les discussions ?
Aussi, sortir du bien et du mal c'est evident mais n'y a t-il pas un sujet autour des valeurs (et non de la morale) qui distingue les pays européens et la Russie ? Au dela de la seule raison economique et de l'expansionisme americain, vous n'abordez jamais ce theme pour expliquer la méfiance et les oppositions en cours entre les pays de l'ancien bloc de l'est et la Russie, j'ai le sentiment que cela a son importance...
Les régimes passent, les Etats demeurent, on ne saurait mieux dire et il n'y a rien de cynique dans vos propos. On ne saurait juger un Etat en fonction de son Gouvernement et chaque journaliste qui se respecte devrait avoir des connaissances approfondies de l'histoire et cela prend du temps. Ce qui est le plus révoltant en ce moment, hormis le fait que la Russie a agressé l' l'Ukraine, c'est bien le fait que certains dirigeants européens souhaiteraient presque que le conflit se généraliste à toute l'Europe pour redorer leur blason et notamment parce qu'ils ont lamentablement échoué sur le plan intérieur. C'est exactement la définition d'un comportement non seulement cynique mais surtout machiavélique.
Voici une phrase de Chesterton, journaliste génial comme vous savez : “Le véritable problème de notre monde n’est pas qu’il soit déraisonnable, ni même qu’il soit raisonnable. Le problème le plus courant est qu’il est presque raisonnable, mais pas tout à fait. La vie n’est pas illogique, mais elle est un piège pour les logiciens. Elle semble juste un peu plus mathématique et régulière qu’elle ne l’est en réalité.” On vit dans un monde de systèmes, dixit Donella H. Meadows du MIT.
Encore une fois, vous avez parfaitement raison Monsieur Décaillet. Vos commentateurs, bien que soutenant votre point de vue ne peuvent s’empêcher de rester affublés du préjugé occidental. Ils ne veulent pas entendre ce que dit et répète Vladimir Poutine. Ils insistent : c’est la Russie qui a attaqué l’Ukraine, il faut défendre les valeurs de l’Occident, la vie n’est ni logique ni illogique, elle est !