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Sur le vif - Page 496

  • Béglé multiplié par 246

     

    Sur le vif - Lundi 29.07.19 - 10.55h

     

    Si chaque élu aux Chambres fédérales avait le dixième de l'énergie de Claude Béglé, le dixième de sa curiosité, de son réseau, de ses antennes, de son ouverture au monde, de sa capacité à dialoguer, de ses connaissances linguistiques, de sa puissance de travail, oui, si notre Parlement, c'était Béglé multiplié par 246, notre pays ne se porterait pas trop mal.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Plus européen que la Suisse, tu meurs !

     

    Sur le vif - Samedi 27.07.19 - 17.34h

     

    Minoritaire, la Suisse ? Vous plaisantez ! De la Baltique au Sud de la Sicile, deux des langues parlées en Suisse, l'allemand et l'italien, sont parlées. Deux de nos langues nationales, pour longer l'éperon central du continent européen !

    Des rivages les plus occidentaux de la Bretagne, avancés dans l'Atlantique, jusqu'aux bords de l'Oder, à la frontière entre Prusse et Pologne, deux de nos langues nationales : le français et l'allemand.

    Au coeur du continent, à la croisée de ses langues, de ses religions, de ses philosophies, la Suisse.

    Il n'y a pas de pays plus européen que la Suisse. Toutes les grandes secousses historiques du continent, toutes ses grandes structurations, furent aussi les nôtres : la romanisation, la christianisation, la féodalité, l'imprimerie, l'humanisme, la Réforme, la Contre-Réforme, les Traités de Westphalie (1648), les Lumières, la Révolution française, l'épopée napoléonienne, la Restauration, le Printemps des Peuples en 1848, le Kulturkampf, la Révolution industrielle.

    Certes, au vingtième siècle, la Suisse n'a pas eu à s'impliquer dans les deux conflits mondiaux. Ce qui a pu donner l'impression d'une insularité heureuse. Mais c'est une illusion : si la Suisse doit impérativement demeurer souveraine et indépendante, cela ne signifie nullement qu'elle puisse agir comme si elle n'était pas intrinsèquement européenne. Peut-être l'un des pays les plus européens !

    La Suisse peut parfaitement demeurer hors de l'Union européenne, négocier âprement le statut de ses relations avec Bruxelles, défendre ses intérêts supérieurs. Elle le peut, et selon moi, elle le doit. Mais en aucun cas elle ne peut nier la profondeur historique, philosophique, de son enracinement dans l'identité européenne.

    Observons l'Europe. Voyageons-y. Visitons-la. Apprenons ses langues, tiens mon prochain grand chantier sera le grec moderne. Pénétrons-nous de sa culture. Prouvons à nos frères et soeurs du continent qu'on peut se sentir immensément européen, jusqu'au bout des ongles, jusqu'aux tréfonds de l'âme, sans être partie prenante de cette structure provisoire, évolutive, soumise à tant d'imprévisibles mutations, qu'on appelle, administrativement, l'Union européenne.

    Ne méprisons pas ceux qui en font partie, ils résultent d'autres Histoires, l'universel n'existe pas, tout surgit des particularismes locaux.

    Ne les méprisons pas. Mais à l'inverse, ne les sublimons pas de cette appartenance. Que chacun vive sa vie. Que chacun aille son chemin. Le nôtre n'est ni meilleur ni pire qu'un autre. Mais il est le nôtre, et nous l'aimons.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Pierre Péan, confrère de lumière

     

    Sur le vif - Vendredi 26.07.19 - 11.15h

     

    Un confrère rare et précieux, un exemple. Pierre Péan (1938-2019), qui vient de nous quitter hier à l'âge de 81 ans, aura écrit en lettres de noblesse, en lettres d'or, le mot "enquête". Il aura pratiqué à fond, en prenant le risque de se faire des ennemis mortels (ce qui ne manqua pas), la recherche de la vérité.

    Et pourtant, il ne se proclamait pas "journaliste d'investigation", il se méfiait même de l'acception véhiculée aujourd'hui par ces mots. Il préférait le terme "journaliste d'initiative". Par sa puissance de travail, son courage, la force infinie de sa solitude, il a transformé plusieurs fois ses "initiatives" personnelles de départ en œuvres de vérité et de lumière. En défaisant des légendes dorées. En refusant les vérités imposées par le pouvoir. Bref, en résistant.

    J'ai lu plusieurs livres de Péan, mais celui que j'ai tant de fois relu, à fond, c'est évidemment "Une jeunesse française, François Mitterrand, 1934-1947", paru en 1994 chez Fayard. Alors que Mitterrand, pour un an, était encore au pouvoir ! Sur la couverture, le futur Président serre la main, le 15 octobre 1942, à Philippe Pétain, Maréchal de France, chef de l’État français.

    Il faut lire et relire ce livre, même s'il n'est pas facile (Péan n'a pas les étincelantes qualités littéraires d'un Lacouture, ne prétend d'ailleurs en rien faire oeuvre d'écrivain), il faut le lire, et surtout ne pas se contenter de la photo. Car la photo, même si elle est parfaitement authentique, ne résume en rien l'extraordinaire complexité de l'évolution, pendant la guerre, du prisonnier de guerre évadé François Mitterrand, de Vichy vers la Résistance. Il fut un homme de Vichy, décoré de la francisque (ce qui était connu de tous), ET il fut aussi, en 43-44, un authentique résistant. Il fut l'un, et tout naturellement, il fut l'autre. C'est cette évolution, à travers la gestion d'un mouvement d'aide aux prisonniers de guerre, donc d'un véritable réseau, que Péan nous décrit avec génie.

    Dans ce livre sur la jeunesse de Mitterrand, qu'a fait Péan ? Il a pris, un beau jour, en pleine euphorie mitterrandienne où la statue du Commandeur paraissait inattaquable, l'INITIATIVE, non de chercher à abattre le héros statufié (le livre n'est absolument pas à charge, comme le prétendent ceux qui ne l'ont pas lu), mais de procéder à une enquête d'une exceptionnelle méticulosité sur chaque jour (reconstituable) de la vie de l'homme, avant et pendant les années de guerre.

    Que François Mitterrand ait été, jusqu'à fin 42, l'un des hommes de Vichy, n'était en rien un secret. Tout au plus le principal intéressé, ministre à trente ans en 1946, puis onze fois ministre sous la Quatrième (1946-1958), dont une fois à l'Intérieur, dans le gouvernement d'un homme d'exception (Pierre Mendès France, 54-55), s'était-il bien gardé de mettre en évidence cet aspect de son passé, préférant se réclamer de ses deux années de résistance. C'était de bonne guerre, mais nul n'était dupe.

    Péan, lui, n'entre jamais dans la polémique. Il ne dit jamais "Mitterrand est vichyste", ou "Mitterrand est résistant". Il se contente, après des années de recherche, d'archéologie biographique, de témoignages originaux (son point commun avec Lacouture), de reconstituer le puzzle. Sans jamais se réclamer du concept de "journalisme d'investigation". Il ne se définit d'ailleurs jamais lui-même, n'entre pas dans les polémiques, il travaille et propose, un beau jour, les résultats de son labeur.

    Le résultat, c'est l'une des lectures les plus fines, les plus intelligentes, les plus nuancées, les plus dépourvues de manichéisme, de cette incroyable période vécue par la France entre juin 1940 et août 1944, suite à une défaite (celle de 40) qui demeure sans conteste la plus terrible de toute son Histoire. Parce qu'elle fut, comme l'a admirablement montré l'historien Marc Bloch, une défaite morale, avant même que d'être militaire.

    Lire ce livre de Péan sur Mitterrand n'aboutit absolument pas, contrairement à ce qu'affirment ceux qui se sont contentés de la photo de couverture, à une démolition du personnage. Loin de là ! Scrutant Vichy, Péan ne dit jamais "blanc", il ne dit jamais "noir". Il avance, toujours soucieux des faits, dans une immense zone grise. Jamais il ne juge moralement. Jamais il ne condamne par l'anachronisme, comme le font aujourd'hui tant de justiciers en chemise blanche.

    Monsieur Péan, vous avez été un grand journaliste et un admirable chercheur de vérité. Avoir eu comme ennemis des BHL et des Kouchner vous honore. Le "droit d'ingérence", vous, vous l'avez pratiqué dans le silence, la solitude, le labeur infini de celui qui, contre les préjugés, réunit les pièces pour faire avancer la vérité.

     

    Pascal Décaillet