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Pierre Péan, confrère de lumière

 

Sur le vif - Vendredi 26.07.19 - 11.15h

 

Un confrère rare et précieux, un exemple. Pierre Péan (1938-2019), qui vient de nous quitter hier à l'âge de 81 ans, aura écrit en lettres de noblesse, en lettres d'or, le mot "enquête". Il aura pratiqué à fond, en prenant le risque de se faire des ennemis mortels (ce qui ne manqua pas), la recherche de la vérité.

Et pourtant, il ne se proclamait pas "journaliste d'investigation", il se méfiait même de l'acception véhiculée aujourd'hui par ces mots. Il préférait le terme "journaliste d'initiative". Par sa puissance de travail, son courage, la force infinie de sa solitude, il a transformé plusieurs fois ses "initiatives" personnelles de départ en œuvres de vérité et de lumière. En défaisant des légendes dorées. En refusant les vérités imposées par le pouvoir. Bref, en résistant.

J'ai lu plusieurs livres de Péan, mais celui que j'ai tant de fois relu, à fond, c'est évidemment "Une jeunesse française, François Mitterrand, 1934-1947", paru en 1994 chez Fayard. Alors que Mitterrand, pour un an, était encore au pouvoir ! Sur la couverture, le futur Président serre la main, le 15 octobre 1942, à Philippe Pétain, Maréchal de France, chef de l’État français.

Il faut lire et relire ce livre, même s'il n'est pas facile (Péan n'a pas les étincelantes qualités littéraires d'un Lacouture, ne prétend d'ailleurs en rien faire oeuvre d'écrivain), il faut le lire, et surtout ne pas se contenter de la photo. Car la photo, même si elle est parfaitement authentique, ne résume en rien l'extraordinaire complexité de l'évolution, pendant la guerre, du prisonnier de guerre évadé François Mitterrand, de Vichy vers la Résistance. Il fut un homme de Vichy, décoré de la francisque (ce qui était connu de tous), ET il fut aussi, en 43-44, un authentique résistant. Il fut l'un, et tout naturellement, il fut l'autre. C'est cette évolution, à travers la gestion d'un mouvement d'aide aux prisonniers de guerre, donc d'un véritable réseau, que Péan nous décrit avec génie.

Dans ce livre sur la jeunesse de Mitterrand, qu'a fait Péan ? Il a pris, un beau jour, en pleine euphorie mitterrandienne où la statue du Commandeur paraissait inattaquable, l'INITIATIVE, non de chercher à abattre le héros statufié (le livre n'est absolument pas à charge, comme le prétendent ceux qui ne l'ont pas lu), mais de procéder à une enquête d'une exceptionnelle méticulosité sur chaque jour (reconstituable) de la vie de l'homme, avant et pendant les années de guerre.

Que François Mitterrand ait été, jusqu'à fin 42, l'un des hommes de Vichy, n'était en rien un secret. Tout au plus le principal intéressé, ministre à trente ans en 1946, puis onze fois ministre sous la Quatrième (1946-1958), dont une fois à l'Intérieur, dans le gouvernement d'un homme d'exception (Pierre Mendès France, 54-55), s'était-il bien gardé de mettre en évidence cet aspect de son passé, préférant se réclamer de ses deux années de résistance. C'était de bonne guerre, mais nul n'était dupe.

Péan, lui, n'entre jamais dans la polémique. Il ne dit jamais "Mitterrand est vichyste", ou "Mitterrand est résistant". Il se contente, après des années de recherche, d'archéologie biographique, de témoignages originaux (son point commun avec Lacouture), de reconstituer le puzzle. Sans jamais se réclamer du concept de "journalisme d'investigation". Il ne se définit d'ailleurs jamais lui-même, n'entre pas dans les polémiques, il travaille et propose, un beau jour, les résultats de son labeur.

Le résultat, c'est l'une des lectures les plus fines, les plus intelligentes, les plus nuancées, les plus dépourvues de manichéisme, de cette incroyable période vécue par la France entre juin 1940 et août 1944, suite à une défaite (celle de 40) qui demeure sans conteste la plus terrible de toute son Histoire. Parce qu'elle fut, comme l'a admirablement montré l'historien Marc Bloch, une défaite morale, avant même que d'être militaire.

Lire ce livre de Péan sur Mitterrand n'aboutit absolument pas, contrairement à ce qu'affirment ceux qui se sont contentés de la photo de couverture, à une démolition du personnage. Loin de là ! Scrutant Vichy, Péan ne dit jamais "blanc", il ne dit jamais "noir". Il avance, toujours soucieux des faits, dans une immense zone grise. Jamais il ne juge moralement. Jamais il ne condamne par l'anachronisme, comme le font aujourd'hui tant de justiciers en chemise blanche.

Monsieur Péan, vous avez été un grand journaliste et un admirable chercheur de vérité. Avoir eu comme ennemis des BHL et des Kouchner vous honore. Le "droit d'ingérence", vous, vous l'avez pratiqué dans le silence, la solitude, le labeur infini de celui qui, contre les préjugés, réunit les pièces pour faire avancer la vérité.

 

Pascal Décaillet

 

 

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