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Sur le vif - Page 266

  • Philippe Jaccottet et le Romantisme allemand : une ou deux pistes

     
    Sur le vif - Dimanche 28.02.21 - 15.00h
     
     
    Il est n'est pas simple de définir le Romantisme allemand. J'ai moi-même mis des décennies avant de clarifier ma perception de cet immense mouvement littéraire qui s'annonce un peu avant la Révolution française (avec le Sturm und Drang, dès les années 1770), et s'étend sur le début du 19ème siècle. De façon contemporaine à la Révolution, au Consulat, à l'Empire, aux débuts de la Restauration, il y a des poètes allemands qu'on peut qualifier de Romantiques, je ne parle pas ici du Romantisme musical, bien plus ample encore dans sa durée.
     
    Oui, j'ai mis des décennies, et ne suis aucunement au bout de mon chemin. Mon rapport au Romantisme littéraire, aujourd'hui, est à des années-lumière de ce qu'il a été comme collégien, jusqu'en 1976, puis comme étudiant. Il m'a fallu beaucoup lire, et surtout me dégager d'innombrables préjugés sur ce mouvement. Si j'écris cela aujourd'hui (je n'aborderai la question que dans quelques années, pour ma Série en 144 épisodes), c'est que l'un des hommes qui m'ont aidé, par son travail d'écrivain et de traducteur, à cheminer avec un peu plus de précision sur le Romantisme allemand, c'est justement Philippe Jaccottet.
     
    D'abord, ce poète et traducteur, qui vient de nous quitter, ne passe pas son temps à nous dire "Le Romantisme allemand, c'est ceci, c'est cela". Ce genre de considérations, dont nous avions certes besoin à 18 ans pour les cours généraux, style "Deutsche Literatur im Überblick", n'est plus de mise dès que nous avons affaire, dans le sens étymologique grec du mot "poésie", à un praticien. Le poète, c'est l'artisan des mot, celui qui fait. Le traducteur, c'est celui qui transpose un acte second (le sien) sur l'acte premier. Dans cet univers-là, nul besoin d'étiquettes, mais de savoir-faire.
     
    Le Romantisme allemand existe-t-il, au fond ? Hölderlin, le plus grand poète allemand, est-il un Romantique ? Est-ce si important de l'affirmer ? Chaque trajet poétique de ces années, pendant et après la Révolution française, n'est-il pas à prendre en soi, dans l'équation de chaque praticien des mots avec cette extraordinaire langue allemande en pleines retrouvailles avec son corpus lexical ancien, le plus souvent médiéval ? Lisez les Discours à la Nation allemande de Fichte (auxquels j'ai consacré un épisode de ma Série, en 2015, https://pascaldecaillet.blog.tdg.ch/archive/2015/07/21/serie-allemagne-no-2-les-discours-a-la-nation-allemande-1807-268897.html, vous y retrouverez une réflexion sur la langue elle-même, autant que sur la politique. Ouvrez n'importe quelle page du Dictionnaire de la langue allemande, des Frères Grimm, vous tomberez sur un travail de précision et de clarification sur la germanité même des mots. C'est cela, le contexte du Romantisme allemand.
     
    Alors Jaccottet, pourquoi ? Parce que justement, il ne disserte sur rien de tout cela, tout en le connaissant par coeur ! Il n'explique pas, n'enrobe pas, il écrit comme poète, ou alors il traduit. Il travaille sur les poètes (Hölderlin), les plus grands romanciers (Thomas Mann, Musil). Il fait oeuvre de pontonnier : chaque mot, chaque souffle, chaque silence nous est par lui, dans l'autre langue (le français), restitué. C'est le miracle de cette transmutation que, tout simplement, il nous livre. L'Odyssée traduite par Jaccottet est en soi une oeuvre poétique. Hölderlin par Jaccottet, tout autant.
     
    Et c'est ainsi que le poète-passeur Jaccottet, par la pratique et non par les étiquettes, nous fait progresser dans notre compréhension de la substance même du Romantisme allemand. Il ne nous dit pas "Le Romantisme, c'est cela". Non, il prend des textes, et nous restitue leur part de trésor dans une langue qu'un non-germanophone puisse saisir.
     
    Ce travail est immense. Jaccottet traducteur, tout autant que Jaccottet poète, nous élève. Il nous restitue la part de la terre, et du monde sensible, beaucoup plus que l'imagerie céleste, éthérée, olympienne, que certains veulent coller au Romantisme. Il le fait, non comme une démonstration théorique, mais par la minutie de son artisanat. Il est poète au sens grec, il est celui qui fait.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Joe Biden : Bonne nuit, les petits !

     
    Sur le vif - Samedi 27.02.21 - 16.54h
     
     
    Non, chers amis de Biden, vous qui avez passé quatre années à vomir sur Trump, quoi qu'il fît, votre vieux monde ne renaîtra pas.
     
    Votre champion, c'est celui de la Restauration. Dans vos têtes, Trump n'a été qu'une parenthèse. Un cauchemar. Avec Biden, on se réveille, on revient à la vraie vie, celle d'avant. On rétablit, comme en 1815, l'ordre ancien, celui qui à vos yeux n'aurait jamais dû disparaître.
     
    L'ordre ancien, c'est celui d'une Amérique qui camoufle son hégémonie mondiale derrière le paravent de la toile multilatérale. En Corée, puis beaucoup plus tard dans le Golfe persique, on ne disait pas "expédition américaine", mais "troupes de l'ONU". Quand on a bombardé Belgrade, en avril 1999 (pendant que j'interviewais l'ancien Chancelier Helmut Schmidt, dans son bureau de Hambourg), on disait "troupes de l'OTAN".
     
    Troupes de l'ONU, troupes de l'OTAN : personne n'est dupe, personne ne l'a jamais été. Derrière ces entités prétendument pluralistes, il y a une puissance, un empire, devenu hégémonique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis d'Amérique. Il faut nommer les choses pour ce qu'elles sont.
     
    L'ordre multilatéral, 1945-2016, c'est le Congrès de Vienne des vainqueurs américains à l'Ouest, qui ne disent pas "Nous dominons le monde", mais "L'ordre du bien, dont nous ne sommes que l'une des parties, doit s'imposer". C'est un mensonge, tout le monde le sait : il ne sont pas "une partie", ils sont le moteur, le chef.
     
    Pendant quatre ans, Donald Trump nous a proposé autre chose. Conformément à ses engagements de campagne, il a retiré son pays de cette toile mondialiste dont il saisissait parfaitement la vanité. Il a rompu avec le discours de gendarme du monde, ou ne l'a tenu que pour défendre, là où il fallait des signes, les intérêts supérieurs de son pays. Dans le même temps, à l'interne, il a redressé la situation économique et sociale, jusqu'à la crise sanitaire, dont je ne sache pas qu'il faille lui imputer la responsabilité. Début 2020 encore, les États-Unis avaient renoué avec une santé économique plus vue depuis longtemps.
     
    Joe Biden fera-t-il mieux ? Nous verrons. Mais pour l'heure, il apparaît comme le farouche restaurateur de l'Ancien Monde. Pendant huit ans, sous Barack Obama, il était le vice-président des États-Unis d'Amérique. Il partage en cela toute la responsabilité de ce qui a été commis, notamment en termes de bombardements continuels, sur des théâtres d'opérations souvent peu médiatisés. Il n'est pas le successeur de Donald Trump. Il est son prédécesseur. Il incarne la vision du monde de la seconde partie du vingtième siècle, 1945-2016. Il veut à tout prix restaurer cet Ancien Régime, qui conditionne tous les logiciels de son cerveau.
     
    Il est une sorte de Louis XVIII, apaisant et débonnaire. Il ne déborde jamais, ne dérape jamais, ne transgresse jamais la bienséance de cette Amérique-là. On le verrait presque en Nounours, ou en marchand de sable, du sommet de son nuage, nous disant avec une paternelle bienveillance : "Bonne nuit, les petits !".
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Quand Joe fait la bombe

     
    Sur le vif - Samedi 27.02.21 - 09.35h
     
     
    Donald Trump : strictement aucune guerre, en quatre ans.
     
    Joe Biden : premiers bombardements après un mois au pouvoir. Il en reste 47 !
     
    Ça lui a fait plaisir, à Joe. Ça lui rappelle les huit ans où il était vice-président de Barack : une bombe, toutes les vingt minutes, quelque part dans le monde. La plupart du temps, sur des théâtres d'opérations oubliés, délaissés par les médias.
     
    Le voilà de retour, le vieux bellicisme démocrate. Et nos belles âmes applaudissent ! "S'il a bombardé, c'est qu'il avait ses raisons". La bonne cause. La cause du Bien.
     
     
    Pascal Décaillet