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Sur le vif - Page 1058

  • Les effets spécieux du Conseil d’Etat

     

    Sur le vif - Mardi 09.11.10 - 10.54h

     

    Sous la plume de mon confrère Christian Bernet, la Tribune de Genève nous en sort une toute bonne, ce matin. Une toute savoureuse. Une toute brumeuse de chez les automnales, avec feuilles mortes qui se ramassent à l’Appel (du 18 juin). Une qui relègue le plus tordu des jésuites, le plus torréfié par les effets les plus éthérés de la casuistique, au rang de simplet de village, benêt, boyet, taguenatzêt, marnozêt. Mais trêve de plaisanteries, n’étant pas socialiste, je ne suis pas là pour faire rire.

     

    Donc, dixit la Julie, le Conseil d’Etat estime que l’interdiction de l’affiche MCG n’est en aucun cas une « décision » de sa part. Et, comme il n’y a pas « décision », il ne peut évidemment (sommes-nous bêtes !) y avoir recours. CQFD. Ah, les braves gens !

     

    Pas de décision. Pas d’affiche, non plus. Pas de recours. Il ne s’est rien passé. Il n’y a d’ailleurs pas, non plus, de Conseil d’Etat. Pas de dictateur en Libye. Pas de garde noire. Il n’y a plus rien. Il n’y a jamais rien eu. Et quand on croise le président du Conseil d’Etat, déguisé en mouton, il répond comme Ulysse : « Mon nom est personne ».

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

  • Les caprices de Manuel – Comptine d’automne

     

    Sur le vif - Lundi 08.11.10 - 17.21h

     

    Bien qu’il y existe, selon Claudel, des maisons pour cela, Manuel Tornare se veut un homme de tolérance. Bon prince, ouvert, humeur enjouée, gai comme un pinson. Le premier, parlant de tout et de rien, de ses chers camarades comme de ses quatre collègues, il se révèle grinçant, tonitruant, sulfureux, moqueur, vinaigré dans le choix de la pique et de la dague. Et c’est très bien ainsi.

     

    Très bien, sauf s’il se trouve, à son tour, en situation d’être attaqué. Alors, aussi vite qu’il en faut à la palombe pour se transformer en milan, les griffes de l’homme se mettent à jaillir. Et il saisit son téléphone, Manuel, et il trame, et il ourdit, et il jacasse de venimeux propos. Et là, d’un coup, finie la tolérance. Envolée. Adieu Gide, Claudel, adieu salons mondains, place à l’ire vengeresse. Princière. Acidulée.

     

    Et il croit qu’avec la presse, il peut faire valser têtes et bustes ainsi qu’en son empire municipal, ici un courtisan, là un laquais, partout le grand miroir de la servilité. Et si, par mégarde, il n’a pas eu accès à tous les libelles que d’odieux plumitifs ont cru bon de rédiger à son endroit, alors il a droit à de hautes âmes, directement de la Tour Baudet, pour les lui signaler. Entre malmenés, on s’entraide.

     

    Le problème, c’est que la presse est libre. Et ne le demeurera que tant qu’elle se battra. Pour sa dimension critique. Contre l’esprit de cour. Contre le sirupeux empire des cocktails. Elle ne s’use, cette liberté-là, que lorsqu’on ne s’en sert pas. Que cela plaise au prince. Ou que cela lui déplaise.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

  • La mort de Charles de Gaulle – Je me souviens

     

    Dimanche 07.11.10 - 18.28h

     

    Il y a quarante ans, le 9 novembre 1970, Charles de Gaulle s’éteignait brutalement d’une rupture d’anévrisme, le soir, chez lui, alors qu’il tentait une réussite aux cartes. Ce que je faisais ce soir-là, je ne m’en souviens pas, et pour cause : ce n’est que le lendemain que le monde apprenait la nouvelle. La journée dont je me souviens comme si c’était hier est donc celle du 10 novembre 1970. J’avais douze ans et quelques mois. J’étais en cinquième (l’équivalent de la huitième), la deuxième année de l’école secondaire.

     

    A midi, je rentre de l’école. Ma mère arbore un visage de marbre, celui des mauvais jours, elle me dit qu’un « grand homme vient de nous quitter », je comprends tout de suite de qui il s’agit. Depuis la présidentielle de décembre 1965, première du genre au suffrage universel, je suivais avec passion la politique française : événements de Mai 68, départ de De Gaulle en avril 1969, présidentielle (bien fade !) de 1969 entre Pompidou et Poher, etc. La France s’était donné un nouveau président, homme de valeur, nous savions que de Gaulle s’était retiré, qu’il était allé en Irlande juste après son départ, puis en Espagne (voir Franco !) en 1970.

     

    Et moi, de mes douze ans, je me demandais souvent à quoi ce retraité employait ses journées, si ce n’est la rédaction de ses Mémoires. Nous nous disions que, peut-être, l’ermite de Colombey reviendrait une fois encore sauver la France, comme en 40, comme en 58. Hélas, nous étions là dans des années heureuses, les Trente Glorieuses, le plein emploi, et rien de pire que le bonheur pour un homme du destin. Cette France-là, deux ans après 68, ne s’ennuyait même plus, elle s’emmerdait carrément à cent sous l’heure, Pompidou était un gestionnaire du bonheur bourgeois, une sorte de Guizot de « l’Enrichissez-vous », il n’était même pas encore malade, les chocs pétroliers ne pointaient pas encore à l’horizon.

     

    Moi, je jouais avec mon ami Bertrand, je lisais « Le Monde » à la Bibliothèque municipale, mais aussi Zola et les Pieds Nickelés. Et l’hiver, j’engloutissais les murs de Tortin et du Mont-Gelé, jusqu’à trois ou quatre fois par jour. Mon héros absolu, en cette année 1970, s’appelait Bernhard Russi, qui avait remporté la descente des championnats du monde, en février, à Val Gardena. A midi, ce 10 novembre, nous avons mangé devant la télévision française (noir blanc), édition spéciale bien entendu, je me souviens très bien de gens, dans les rues de Paris, qui regardaient, à travers la vitrine, la mort de De Gaulle dans des magasins de TV, qui diffusaient les programmes.

     

    L’après-midi, à l’école, je ne m’en souviens pas. Mais le soir, prodigieuse soirée spéciale, toujours à la TV, qui avait évidemment eu le temps de préparer ses archives. Er cette soirée, avec la rétrospective de la vie du grand homme, je l’ai enregistrée sur mon Sonny noir, seulement la partie sonore bien sûr. Et cette cassette-là, qui était orange, j’ai bien dû l’écouter dix sept mille fois dans ma vie de jeune homme. Elle doit être encore quelque part, dans un carton.

     

    Le surlendemain, notre professeur de mathématiques, René Ledrappier, un enseignant d’exception, qui était le père de mon ami Bertrand, prenait congé pour aller à Colombey, aux funérailles. Son père à lui, lieutenant de chars, était tombé face aux Allemands lors de la percée des Ardennes, en mai-juin 1940. Je me souviens enfin que, M. Ledrappier s’étant absenté, nous eûmes ce jour-là, pour les mathématiques, un remplaçant prénommé Zénobe.

     

    Le week-end suivant, dans une librairie d’Annemasse, mon père, à ma demande, m’offrait, dans la collection bleue de chez Plon, les Mémoires de Guerre. Je lui en suis infiniment reconnaissant. Ce fut l’un des plus beaux de tous mes cadeaux. Ultime souvenir : ma mère m’acheta le numéro spécial de Paris Match, qui ne m’a jamais quitté, ne me quittera jamais, et où se trouve le plus grand article jamais écrit par un journaliste : la description de la journée des funérailles par Jean Cau. Avec cette dernière phrase : « Il est vivant ».

     

    Pascal Décaillet