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Sur le vif - Page 1062

  • Le Conseil national n’est pas une garderie

     

    Sur le vif - Mardi 25.01.11 - 11.23h


    Jean-Charles Rielle : à titre privé, le meilleur des hommes. Sympathique, chaleureux, charmeur. Dans ses combats sectoriels, notamment contre le tabac, un croisé efficace. Comme conseiller municipal, naguère, de la Ville de Genève, du bon boulot aussi. Hélas, comme conseiller national, au terme presque d’une législature, il n’a guère convaincu. Comme une bonne partie des nouveaux venus de 2007 de la délégation genevoise, il a donné l’impression que Berne, la vie fédérale, la dimension suisse (et non seulement genevoise) des problèmes lui étaient un peu étrangers. Un Christian Lüscher, tout au contraire, sort plus ferme et plus crédible de cette première législature, il va s’avérer un candidat sérieux pour ravir à la gauche l’un des deux sièges des Etats.

     

    Interrogé sur ce thème par ma consœur Sandra Moro, dans le Temps de ce matin, Jean-Charles Rielle décoche une réponse hallucinante : « Une première législature permet avant tout de faire ses classes, cela prend du temps de connaître à fond les dossiers et de s’imposer dans son groupe ».

     

    Non, Monsieur Rielle. Non, non et non.

     

    Le Conseil national n’est ni une école maternelle, ni un atelier d’apprentissage. Il est un organe majeur de la Confédération, celui qui en prépare les lois. Il n’est pas question d’y envoyer des débutants, comme on enverrait ses enfants en Suisse alémanique, pour parfaire leur pratique de la langue de Brecht et de Kafka (ne je dis jamais « celle de Goethe », il y a tant d’autres auteurs immenses). Il est hors de question de considérer la première législature, donc quatre années complètes sous la Coupole, comme une sorte d’école préparatoire. Le revendiquer confine à l’amateurisme. J’ai vu arriver Christophe Darbellay, fin 2003, au Conseil national. Le premier soir, il maîtrisait déjà tous ses dossiers, le second il exigeait que son groupe l’écoute. Le mercredi de la deuxième semaine (jour de la chute de Ruth Metzler et de l’élection de Christoph Blocher), il était, entre chaque tour de vote, celui vers lequel convergeaient naturellement les élus de son parti, pour se concerter.

     

    Qu’avait fait Christophe Darbellay, auparavant ? Il avait été le numéro deux, à 29 ans, de l’Office fédéral de l’Agriculture, avait défié son propre camp dans une épopée mémorable en Valais, avait pris des risques considérables, posé la politique en termes de destin et de métier. Je sens moins ces choses-là chez d’autres.

     

    Il y a des politiciens qui ont une très forte équation locale, ce qui est d’ailleurs louable et nécessaire. Mais qui ne donnent pas leur pleine mesure dans la vie fédérale, plus complexe. Il faut connaître l’allemand, lire la presse alémanique, et aussi tessinoise, prendre la dimension de la complexité multiculturelle du pays. Et ses preuves, il faut les faire tout de suite. Donc, accepter de se faire des ennemis, à commencer par son propre camp. A trop vouloir jouer la gentille transversalité, ou considérer la Chambre du peuple comme un club de foot, ou de copains, accomplit-on vraiment ce pour quoi les gens vous ont élu ?

     

    Pascal Décaillet

     

    *** PS à 14.15h: nous venons d'apprendre, à l'instant, que Jean-Charles Rielle renonçait à sa candidature pour un deuxième mandat au National. Hommage à lui pour cette courageuse décision, et bon vent pour sa carrière municipale!

  • Hans Fehr : réactions nauséabondes

     

    Sur le vif - Dimanche 23.01.11 - 17.52h

     

    En se rendant vendredi soir à l’Albisgüetli, la traditionnelle fête annuelle de l’UDC zurichoise, à laquelle participait la présidente de la Confédération, le conseiller national Hans Fehr a été sauvagement agressé par des « Chaoten ». Dûment tabassé, il a dû se rendre aux urgences.

     

    Je connais bien Hans Fehr. C’est un homme d’une parfaite courtoisie. Ses combats, il les mène avec des mots, jamais avec les poings. Ce qui lui est arrivé est parfaitement dégueulasse. Inadmissible dans une démocratie.

     

    Mais il y a plus nauséabond encore. Ceux qui, tout en condamnant hypocritement l’agression, laissent entendre que l’UDC paierait là le tribut de son style politique, et qu’au fond Hans Fehr ne l’aurait pas volé. Au fond d’eux-mêmes, sans doute se réjouissent-ils de la correction subie par l’un des ténors du premier parti de Suisse.

     

    Alors, juste une seconde, imaginons. Posons comme hypothèse qu’une éminente personnalité socialiste ou Verte, Christian Levrat ou Ueli Leuenberger, ait été rossée par des activistes d’extrême droite. Vous les voyez déjà, sur cinq colonnes et en caractères géants, les unes de nos journaux ? Vous les entendez, les concerts d’indignation ? Et Strasbourg par ci, et le « droit supérieur » par là, et les manifs pour hurler à la décadence de notre vie politique.

     

    Mais pour Hans Fehr, rien de cela. Des regrets, dans le meilleur des cas, polis et compassés. Dans le pire, hélas courant, une avalanche de perfidies sur le thème, à vomir en l’occurrence, de l’arroseur arrosé.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Bagatelles pour une erreur

     

    Lettre ouverte à Monsieur Frédéric Mitterrand, ministre français de la Culture - Samedi 22.01.11 - 18.01h

     

    Monsieur le Ministre de la Culture,

     

    Vous portez un grand nom, celui d’un homme qui aimait les textes et les écrivains, le jaillissement du verbe sur le papier, le livre, la reliure, ce qui tisse et façonne les histoires, illumine les imaginaires, à la fois Stendhal, Jules Renard, Chardonne. Oui François Mitterrand, votre oncle, avait écrit sa vie comme un roman, il était une passion française, de cette exceptionnelle tradition qui place les Lettres avant toute chose. Avant la politique. Ne parlons pas de l’économie, tout là-bas. Quelque part.

     

    Vous portez un grand nom, il était à espérer que vous vous fissiez un prénom. Je crains qu’il faille renoncer à cette idée. Hier soir, sous pression d’un lobby dont je respecte et partage d’ailleurs le combat en tant d’autres circonstances, vous avez retiré Louis-Ferdinand Céline des célébrations nationales de 2011. Il était normal que Serge Klarsfeld attende de vous ce retrait, il est dans son rôle, je n’ai nul grief à lui adresser. Encore moins à son combat pour la mémoire.

     

    Mais vous, ministre, vous auriez dû lui dire non. Parce que Céline, aussi infectes fussent ses prises de position antisémites, n’en demeure pas moins, avec Gide et Proust, et un ou deux autres que chacun voudra bien ajouter ou retrancher, le plus grand écrivain français du vingtième siècle. Et vous, ministre de la Culture, c’est cela que vous devez voir. C’est cette voix-là, oui cette petite voix, certes au milieu des immondices, que vous devez considérer. Quitte à froisser, heurter, déranger. Un ministre, comme un écrivain, doit se faire des ennemis, s’il veut laisser une autre mémoire que celle, furtive, d’un passant.

     

    Je sais que vous avez hésité, Monsieur le ministre, que vous n’avez pas pris cette décision de gaieté de cœur. Mais vous l’avez prise, et elle est funeste. Parce qu’elle abdique le style devant la morale, aussi respectable soit cette dernière, et je crois avoir suffisamment, dans ces colonnes, exprimé mon rejet de toute forme d’antisémitisme. Elle se saisit, votre décision, du pire instrument qui se puisse concevoir lorsqu’on ambitionne de construire une mémoire nationale : la gomme. Elle damne le réel. Elle rejette à la marge ce qui dérange. Elle s’en va corriger et le texte et l’histoire. Alors, le 1er juillet 2011, jour du cinquantième anniversaire de la mort du docteur Destouches, le « calendrier des célébrations nationales » demeurera muet. La case sera blanche.

     

    Mais Louis-Ferdinand Céline vivra, Monsieur le ministre. Avec ou sans célébration. L’exceptionnelle fulgurance de ses syllabes traversera les siècles. Il demeurera réprouvé par les moralistes, et ne l’aura d’ailleurs pas volé. Et encensé pour avoir révolutionné l’écriture. Dilemme, diptyque, paradoxe qui se posaient déjà de son vivant, se perpétueront, c’est ainsi, c’est le lot des maudits. Mais cette petite voix, celle de Ferdinand Bardamu en errance entre les bribes de phrases sans verbe et les points de suspension, cette petite musique qui hante les ateliers radiophoniques et les chevets des adolescents, vous ne pourrez la faire taire. Vous ne le pourrez pas, ni ne le voulez, j’en suis sûr. Juste dommage, là, que vous soyez ministre. Le mauvais rôle. Celui qui tient la gomme. Chienne de vie. Il y a des jours où l’officialité mémorielle nous emmène en voyage, hélas, jusqu’au bout de l’ennui.

     

    Pascal Décaillet