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Bagatelles pour une erreur

 

Lettre ouverte à Monsieur Frédéric Mitterrand, ministre français de la Culture - Samedi 22.01.11 - 18.01h

 

Monsieur le Ministre de la Culture,

 

Vous portez un grand nom, celui d’un homme qui aimait les textes et les écrivains, le jaillissement du verbe sur le papier, le livre, la reliure, ce qui tisse et façonne les histoires, illumine les imaginaires, à la fois Stendhal, Jules Renard, Chardonne. Oui François Mitterrand, votre oncle, avait écrit sa vie comme un roman, il était une passion française, de cette exceptionnelle tradition qui place les Lettres avant toute chose. Avant la politique. Ne parlons pas de l’économie, tout là-bas. Quelque part.

 

Vous portez un grand nom, il était à espérer que vous vous fissiez un prénom. Je crains qu’il faille renoncer à cette idée. Hier soir, sous pression d’un lobby dont je respecte et partage d’ailleurs le combat en tant d’autres circonstances, vous avez retiré Louis-Ferdinand Céline des célébrations nationales de 2011. Il était normal que Serge Klarsfeld attende de vous ce retrait, il est dans son rôle, je n’ai nul grief à lui adresser. Encore moins à son combat pour la mémoire.

 

Mais vous, ministre, vous auriez dû lui dire non. Parce que Céline, aussi infectes fussent ses prises de position antisémites, n’en demeure pas moins, avec Gide et Proust, et un ou deux autres que chacun voudra bien ajouter ou retrancher, le plus grand écrivain français du vingtième siècle. Et vous, ministre de la Culture, c’est cela que vous devez voir. C’est cette voix-là, oui cette petite voix, certes au milieu des immondices, que vous devez considérer. Quitte à froisser, heurter, déranger. Un ministre, comme un écrivain, doit se faire des ennemis, s’il veut laisser une autre mémoire que celle, furtive, d’un passant.

 

Je sais que vous avez hésité, Monsieur le ministre, que vous n’avez pas pris cette décision de gaieté de cœur. Mais vous l’avez prise, et elle est funeste. Parce qu’elle abdique le style devant la morale, aussi respectable soit cette dernière, et je crois avoir suffisamment, dans ces colonnes, exprimé mon rejet de toute forme d’antisémitisme. Elle se saisit, votre décision, du pire instrument qui se puisse concevoir lorsqu’on ambitionne de construire une mémoire nationale : la gomme. Elle damne le réel. Elle rejette à la marge ce qui dérange. Elle s’en va corriger et le texte et l’histoire. Alors, le 1er juillet 2011, jour du cinquantième anniversaire de la mort du docteur Destouches, le « calendrier des célébrations nationales » demeurera muet. La case sera blanche.

 

Mais Louis-Ferdinand Céline vivra, Monsieur le ministre. Avec ou sans célébration. L’exceptionnelle fulgurance de ses syllabes traversera les siècles. Il demeurera réprouvé par les moralistes, et ne l’aura d’ailleurs pas volé. Et encensé pour avoir révolutionné l’écriture. Dilemme, diptyque, paradoxe qui se posaient déjà de son vivant, se perpétueront, c’est ainsi, c’est le lot des maudits. Mais cette petite voix, celle de Ferdinand Bardamu en errance entre les bribes de phrases sans verbe et les points de suspension, cette petite musique qui hante les ateliers radiophoniques et les chevets des adolescents, vous ne pourrez la faire taire. Vous ne le pourrez pas, ni ne le voulez, j’en suis sûr. Juste dommage, là, que vous soyez ministre. Le mauvais rôle. Celui qui tient la gomme. Chienne de vie. Il y a des jours où l’officialité mémorielle nous emmène en voyage, hélas, jusqu’au bout de l’ennui.

 

Pascal Décaillet

 

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