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Commentaires GHI - Page 162

  • Affaire Maudet : le tango des moralistes

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 19.09.18

     

    D’abord, il y a tous ces cris de pleureuses autour du mot « mensonge ». Certes, Pierre Maudet a menti, c’est une réalité, tout le monde est d’accord. C’est assurément une faute politique majeure (nous allons voir pourquoi), il devra en répondre, peut-être en quittant la scène. Le dénouement, à l’heure où j’écris ces lignes, je n’en ai pas la moindre idée. Parce que nous sommes, comme au théâtre, dans la partie de l’action dramatique où l’obscur s’ajoute à l’obscur, des péripéties tentent de l’emporter sur le sujet principal, des personnages secondaires envahissent la scène. C’est comme dans Shakespeare : il y a toujours un moment, vers le milieu de la pièce, où plus personne n’y comprend rien. L’auteur, pour mieux préparer la clarification du dernier acte, accentue, juste avant, la nuit de l’incompréhension.

     

    Le mensonge. En politique, il est chose courante. Banale. On ment par exagérations pour parvenir au pouvoir, on ment pour s’y maintenir, on ment quand on s’y cramponne. On ment par action, par omission, on ment comme on respire, juste pour survivre. S’il fallait se mettre à traquer le mensonge dans le discours politique, il ne resterait plus grand monde.

     

    Pourtant, l’homme ou la femme de pouvoir ne doit pas mentir, je l’affirme, car cela constitue une faute politique. Non parce que mentir est mal, ou méchant, tout cela relève du vocabulaire de la morale, que pour ma part je bannis dans l’analyse politique. Mais parce que mentir est de nature à ruiner le crédit auprès des gens qu’on a autour de soi : les collègues de l’exécutif, le Parlement, sa propre famille politique. Et bien sûr, avant tout, le corps des citoyennes et citoyens qui vous a élu. Or, sans confiance, rien n’est possible. Un ministre sans crédit doit partir. Non parce que c’est mal. Mais parce qu’il ne dispose plus des moyens d’action pour mettre en œuvre une politique.

     

    Maintenant, il y a l’hypocrisie des pleureuses. Comme dans les funérailles méditerranéennes, elles ne pleurent pas par tristesse, mais par intérêt. En Sicile, on les paye : on rétribue une fonction. De même, les cris d’orfraies, venus notamment de la gauche, pour s’étrangler d’indignation face au « mensonge », de quelles gorges jaillissent-ils ? Mais de celles, bien sûr, qui ont le plus intérêt à une démission du ministre, donc une élection complémentaire, donc ravir le siège, donc faire basculer (pour quatre ans et demi de législature restante, c’est considérable) une majorité politique. Au profit d’une autre. Vous commencez à saisir ?

     

    Ce tango des moralistes ne doit pas duper le citoyen. Il fait partie du jeu, il faut juste en être conscient, le prendre pour ce qu’il est : une savante chorégraphie de l’hypocrisie, une prise en otage des mots pour servir des intérêts concurrents à celui du ministre en cause. Quelle que soit votre position sur l’Affaire Maudet, je vous invite à beaucoup de rigueur dans le décodage des prises de parole. La citoyenneté active, ça passe aussi par l’exercice de cette distance. A la semaine prochaine !

     

    Pascal Décaillet

     

  • Saint-Simon sur Rhône

     

    Commentaire publié dans GHI - 12.09.18

     

    S’il est, parmi des milliers d’autres, un livre révélateur sur la nature du pouvoir, c’est bien les Mémoires de Saint-Simon. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1675-1755), nous raconte Versailles et ses coulisses, les complots, les clans, les courtisans, avec une distance de plume qui force l’admiration.

     

    Par exemple, sur de longues pages, il nous décrit les dernières années, les derniers mois, les dernières semaines de Louis XIV, qui meurt à Versailles le 1er septembre 1715, après un règne de 72 ans ! Tant qu’il est vivant, même rongé par la maladie, amputé, le Roi demeure le Roi, jusqu’à son dernier souffle. Le Dauphin légitime est un enfant de cinq ans, le futur Louis XV, son arrière-petit-fils. Et c’est bien lui qui montera sur le trône, même si, dans les derniers mois de Louis XIV, d’autres plans s’échafaudent, jusque dans le Testament du vieux Roi.

     

    Le génie de Saint-Simon, c’est de nous dépeindre la sublime, l’incomparable hypocrisie de ces courtisans qui, tout en faisant semblant de demeurer fidèles au Roi qui se meurt, n’en omettent pas moins de considérer toutes les hypothèses de recomposition du pouvoir, une fois sonné le glas du souverain.

     

    Certaines pages sont saisissantes. La nature humaine, dans son état le plus réel, ses ambitions les plus noires, son absence de scrupules la plus terrifiante. Le tout, sous une plume dans la musique de laquelle sonne le Grand Siècle. On aimerait entendre ces Mémoires, avec en intermèdes la musique du plus grand musicien français, Jean-Philippe Rameau. C’est d’actualité, non ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • Pierre et les vautours

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 12.09.18

     

    Genève vit des heures difficiles. Pierre Maudet est dans la tourmente, va-t-il démissionner ? Entre le moment où j’écris ces lignes et celui où vous les lirez dans le journal, tout est possible. C’est une affaire majeure, parce qu’elle ne touche pas un médiocre, ni un oiseau de passage dans le ciel politique, mais sans doute – même ses pires ennemis le reconnaissent – l’un des plus grands talents politiques de notre canton. On peut lui reprocher mille choses, je ne m’en suis jamais privé ici du temps de son pouvoir, mais pas son aptitude à se mouvoir dans le monde de la politique. Il l’a voulu très tôt dans sa vie, il a tout fait pour y parvenir, il a brillé, brûlé les étapes, calciné ses adversaires. Et le voilà, tel Icare, fils de Dédale, avec les ailes qui fondent dans la proximité du soleil. Oui, il y a quelque chose, dans toute cette affaire, qui respire l’essence des mythes grecs, celle du tragique.

     

    Qu’a fait Icare ? Il a voulu voler trop haut. Il se disait qu’il allait impunément se confondre dans l’empire du soleil, on connaît la suite. Ce que paye Pierre Maudet, dans toute cette affaire, ça n’est pas son étrange virée familiale sous les dunes, avec tous les fantasmes narratifs de cet orientalisme. C’est, évidemment, d’avoir caché la vérité. Voire, pire (si cela est avéré par la justice), d’avoir procédé, avec sa garde rapprochée, au montage d’une contre-vérité. Cela, c’est le premier reproche, accablant parce qu’il est de nature à rompre la confiance. Mais au fond, le vrai grief, dans les strates plus ou moins conscientes des âmes, pourrait bien être d’une autre nature. Ses ennemis en veulent à Maudet d’être Maudet. Vingt ans que l’hyper-voracité de ce cannibale politique les exaspère. Vingt ans qu’il leur fait de l’ombre. Vingt ans qu’il leur file de l’urticaire. Alors, vous pensez bien, si l’homme est à terre, quelle aubaine pour les vautours !

     

    Les vautours, parlons-en. En aucun cas je ne reprocherais à un adversaire politique de Pierre Maudet, par exemple un homme de gauche, qui l’aurait toujours combattu sur ses choix, de profiter de l’hallali, en guettant l’occasion d’une élection complémentaire. Non. Mais le problème, voyez-vous, c’est qu’au plus fort de la meute, et avec les plus sonores des hurlements, il y a des gens qui, il n’y a pas si longtemps, attrapaient des lumbagos à force de prosternations devant le Prince. Pendant qu’ici, dans ce journal, tout en respectant parfaitement la personne, nous mettions en cause le système de gouvernement, notamment dans notre article « Bienvenue en Maudétie ! » (GHI du 18 avril 2018), les petits courtisans nous tombaient dessus, parce que nous n’avions rien compris à la modernité, « l’innovation », la réorganisation de la police, l’avenir radieux de la Suisse dans l’Europe. Eh bien, parmi ces mêmes marquis du Grand Coucher du Roi, il en est aujourd’hui qui exigent pour lui la corde et la potence. Toute cette histoire, sur qui nous en apprend-elle le plus ? Sur le Prince déchu ? Ou sur l’infinie noirceur de l’âme humaine ? A tous, excellente semaine.

     

    Pascal Décaillet