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Commentaires GHI - Page 114

  • L'amour, la haine

     

    Commentaire publié dans GHI - 03.02.21

     

     Pierre Maudet est un personnage clivant. Il suscite d’un côté l’adulation, et de l’autre le plus féroce des rejets. C’est le lot, dans la vie, de ceux qui osent, ceux qui entreprennent. Nous sommes en démocratie : chacun de nous a le droit d’éprouver face à ce magistrat les sentiments qu’il veut. Le droit, aussi, de les exprimer. Tant qu’il ne franchit pas les limites de toute parole publique : pas d’atteinte à l’honneur, pas de diffamation. C’est valable face à Pierre Maudet. Comme c’est valable face à tout humain, sur cette terre.

     La campagne du 7 mars est rude, les pro-Maudet et les antis se déchirent. Fort bien : la virulence fait partie de l’univers politique. Mais tout de même : d’un côté comme de l’autre, chez les aficionados comme chez les adversaires, on a l’impression d’être dans des chapelles. Des sectes. Une bande de Croisés, livrés à la dévotion de leur cause, se chauffant entre eux pour mieux fulminer. Avec une haine totale de l’adversaire. On s’imagine assez aisément dans les montagnes tenues par les Cathares, à l’époque où Rome les pourchassait.

     Entre ces lignes de front d’où fusent les feux croisés, comment réagiront les citoyens genevois ? Pour ma part, j’appelle à la raison. Que chacun vote selon son cœur, et nous verrons le résultat. Mais souvenons-nous d’une chose : le très grand parti d’où vient Pierre Maudet, le parti radical, est issu d’une philosophie appelée en allemand « Freisinn », ou libre arbitre. Et se revendique, derrière Kant, de la « Vernunft », la raison. Entre citoyens libres, laissons-la un peu exister.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Journalisme : les bateleurs d'un nouveau monde

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 03.02.21

     

    « Dès que nous serons nés, vous allez voir ce que vous allez voir ! Nous allons vous étonner. Nous allons vous surprendre. Nous allons vous éblouir. Nous serons insolents. Nous serons impertinents. Nous serons décalés. Notre journal ne sera pas comme les autres. Nous traiterons l’information sous des angles nouveaux, comme vous n’en avez encore jamais vus. Nous vous proposerons un autre regard. Nous aurons de l’humour, à défriser les yacks. Nous saurons vous séduire. Nous ferons du journalisme comme personne, depuis Théophraste Renaudot, le père de la Gazette, sous Louis XIII, n’a jamais osé en faire. Pour les autres journaux, autour de nous, le coup de vieux sera terrible. Nous ferons tomber les murs. Nous détruirons les fortifications mentales. Nous pulvériserons les vieux schémas, qui vous étouffent. Venez, souscrivez, abonnez-vous, un jour nous naîtrons, et la vie en elle-même sera renouvelée ! ».

     

    J’exagère ? A peine ! Ce discours de bateleur, c’est celui qu’enfant, j’entendais tous les automnes, lorsque je me rendais aux Arts ménagers, avec mes parents. Il fallait harponner le quidam, de grandes gueules s’y entendaient à merveille, leur promettant les lendemains enchanteurs d’une batterie de casseroles, ou d’une friteuse. Vieux comme le monde ! Et le plus fou, c’est que ça marchait : les acheteurs faisaient la queue ! Dans le monde des médias, aujourd’hui, en Suisse romande, c’est la même chose : on ne parle plus ni du passé ni du présent, on se contente juste de faire miroiter l’avenir. « Nous allons naître, votre vie en sera transfigurée, juste un peu de patience, en attendant vos dons ou souscriptions sont bienvenus ». Et les voilà, nos camelots, qui déboulent sur toutes les ondes, invités à s’exprimer non sur ce qu’ils ont fait, une fois dans leur vie, non sur ce qu’ils auraient, dans le métier, réussi à lancer, et qui, quinze ans, vingt ans après, perdurerait, non sur un legs, une réussite, mais… sur ce qu’ils se proposent de faire, une fois qu’ils nous auront fait l’honneur, entre l’Âne et le Bœuf, de venir au monde.

     

    Eh bien moi, ces drôles, je ne peux supporter leurs discours. Je ne peux plus les entendre, ni eux, ni leurs fades complices qui leur donnent la parole. Le journalisme est un métier. Il est fort bien de lancer de nouvelles offres, des journaux, des émissions, des sites, tout ce que vous voudrez. Mais il est encore mieux de tenir : des années, ou, comme le journal que vous tenez entre les mains, des décennies. Tenir un quotidien, produire une émission, c’est se battre tous les jours, avec une férocité que le profane ignore, pour que votre journal, votre émission, contre vents et marées, survive. Et pour qu’il garde sa place dans la Cité. Tout le reste, c’est du boniment. A ceux qui, aujourd’hui, travaillent sur des maquettes, dans l’écrit, en radio, en TV, sur internet, peu importe le support, je dis fraternellement « Bonne chance ! ». Mais j’ajoute immédiatement : « Commencez à exister, durez déjà quelques années, et puis, si nous sommes encore de ce monde, nous discuterons ».

     

    Pascal Décaillet

  • Le populisme n'est pas une parenthèse !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.01.21

     

    Il fallait les voir, le clan Clinton, le clan Obama, se pavaner sur le parvis du Capitole ! Après quatre ans de règne de Trump, le grand retour de l’Ancien Régime. Et cette petite phrase, terrible, dévastatrice, sur leurs lèvres et sur celles de la quasi-totalité de nos braves médias européens : « La parenthèse est refermée, désormais tout va rentrer dans l’ordre ».

     

    Quel ordre ? Le leur, bien sûr ! L’ordre du Parti Démocrate. L’ordre de l’avant-Trump, et celui de l’après-Trump, immédiatement restauré, et proclamé comme tel, à la seconde même de la prestation de serment de Joe Biden. Prenez les textes, reprenez les émissions : tous nous entonnent le même refrain, celui de la saine Restauration, avec un grand R, le retour de trois petits rois, en 1814/1815, après un quart de siècle de Révolution française, de Consulat et d’Empire. Allez dans la rue, faites un micro-trottoir : tous connaissent Napoléon, personne ne sait qui est Louis XVIII.

     

    Le peuple américain a élu Joe Biden, c’est en ordre. Mais il n’a pas voté pour voir le retour des grandes familles Démocrates devant le Capitole. Il n’a pas voté pour ce petit goût, très désagréable, de déjà-vu. On a l’impression qu’on a changé de Série, mais que l’éternel générique de Dallas, avec son monde impitoyable, et son casting sans cesse recommencé, nous est à nouveau imposé. Et puis, 75 millions d’électeurs ont voté pour Trump, près d’un Américain sur deux. Les Etats-Unis sont coupés en deux, Joe Biden le sait, il doit en tenir compte, toute insolence du nouveau pouvoir, face à ces gens-là, serait une immense erreur.

     

    Cet arrière-goût de Restauration, nous avons aussi pu l’éprouver en Suisse, suite à l’éviction, le 12 décembre 2007, de Christoph Blocher. Ils étaient tous d’accord, ceux qui l’avaient dégommé, pour nous persuader que c’était pour notre bien : ils avaient abattu le tyran, comme Brutus et Cassius, les assassins de César dans la pièce de Shakespeare, ils l’avaient fait pour le bien suprême, pour la démocratie. Ils restauraient le monde d’avant la parenthèse. Et nous, peuple suisse, devions leur être éternellement reconnaissants de leur acte salutaire.

     

    Dans les deux cas, Trump, Blocher, il y a juste un petit problème. Au-delà des hommes, les idées demeurent. Le courant conservateur, y compris dans ses composantes « populistes », est là, il se porte à merveille, il est en phase ascendante. Protectionnisme, soutien aux agriculteurs, lutte contre la mondialisation, retour aux frontières, contrôle drastique des flux migratoires, défense des classes moyennes, étouffées par la fiscalité, méfiance face à la démocratie représentative, besoin irrépressible de démocratie directe, tout cela existe, avec une force inouïe, au sein des peuples. Les grandes familles, qui semblent considérer le pouvoir comme leur propriété privée, leur fief, auront beau se lover sur les marches du Capitole. En face, il y a les autres. Ils n’ont certainement pas dit leur dernier mot.

     

    Pascal Décaillet