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Commentaires GHI - Page 109

  • La guerre des mots sera sans pitié

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.04.21

     

    « Pacification ». C’est le mot utilisé par les Verts, à Genève, quand ils s’expriment sur l’avenir de la mobilité en Ville. Le mot est doux, il contient la paix, la douceur d’un monde meilleur. Les Verts ne sont pas des guerriers. Ils veulent notre bonheur. Ce qu’ils appellent « pacification », en mobilité urbaine, c’est tout simplement la victoire totale de leur vision, à eux. Pistes cyclables, rues piétonnes, priorité absolue aux transports publics, voitures chassées du centre-ville. Pour une bonne partie des Genevois, les habitants de la Ville, les livreurs, les travailleurs, les petits entrepreneurs, cette éradication du trafic motorisé est la promesse d’une grande violence à leur égard, peut-même un acte de guerre. Mais les Verts disent « pacification ». Ils tentent d’imposer leurs mots, leur langage, leurs euphémismes. Ils adoucissent les vocables, pour atténuer la part d’agressivité du concept. Car ce qui, pour les uns, constituera le Paradis de la mobilité future, sera hélas perçu par d’autres comme un Enfer. Alors, pour préparer le terrain, on enjolive les mots.

     

    C’est un exemple, parmi tant d’autres. Les Verts déboulent dans notre espace sémantique et sonore avec une batterie de mots, qu’ils glissent partout, et tentent de rendre courants : « transition énergétique », « urgence climatique », « transfert modal ». Ils arrivent avec leur vocabulaire, dans leur sac à dos. Ils entendent non seulement triompher politiquement (on ne saurait le reprocher à un parti), mais refonder notre rapport au langage. Ils aspirent à prendre pied dans nos cerveaux, coloniser notre vocabulaire, imposer quelques mots-clefs, qui sont ceux de leur propagande. Ils débarquent avec leur liturgie, leur latin d’Eglise. Et nous ? Nous sommes les indigènes de leur nouveau monde, les sauvages qu’ils vont éradiquer de leurs archaïsmes. Pour notre bien, ils vont nous inculquer le vocabulaire de la rédemption.

     

    Et les Verts sont encore bien doux. A côté, par exemple, des partisans du langage inclusif, cette poisse noire, pesante, collée aux ailes de la langue française. De partout, on tente de nous l’imposer. Partout, je l’affirme, il faut résister. C’est la beauté de notre langue qui est en cause, sa capacité à l’envol, sa grâce, sa légèreté. Sa lisibilité, aussi, qui doit offrir au lecteur, à l’auditeur, un champ ouvert, accueillant à toute semaison, plutôt qu’un fatras d’obstacles. Nous sommes enfants de la langue, elle est notre mère, bienveillante et nourricière, à l’image de ces madones, qui nous sourient, sur le contour d’un sentier de montagne. Défendons notre langue, ne la laissons pas salir, surcharger, par des idéologues incapables de saisir la puissance musicale d’une syllabe, la richesse de répit d’un soupir. Ils nous ont déclaré la guerre de la langue. Eh bien, menons-la ! Si nous cédons sur ce point, alors nous aurons tout perdu. Les mots sont beaucoup plus que des outils. Ils sont les feux sacrés de nos âmes. Sur ces valeurs-là, désolé, on ne transige pas. On se bat.

     

    Pascal Décaillet

  • Le Passage

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 31.03.21

     

    La Fête de Pâques est, pour les chrétiens, le moment le plus important de l’année. Au-delà des questions de foi, qui appartiennent à chacun de nous, en solitude et en intimité, il est passionnant de se renseigner, à travers des lectures, sur le sens de cette Fête du « Passage ». Rien que la Pâque juive, Pessa’h, bien avant la Passion du Christ, nous interroge en profondeur. Elle nous rappelle l’Exode, hors d’Egypte, dans l’Ancien Testament, mais c’est aussi le début d’un cycle agricole, célébré dans des fêtes paysannes.

     

    Les Hébreux passent la mer Rouge, le Christ revient à la vie au troisième jour : tout a déjà été écrit, par des savants, sur cette préfiguration, ce jeu de miroirs entre les deux Testaments, l’un annonce l’autre, le second cite le premier, les paroles se renvoient, les textes se confrontent. Une vie ne suffit pas à se plonger dans ce dialogue des mots, entre deux traditions spirituelles aussi importantes.

     

    Je rêve d’une école genevoise qui, bien entendu au niveau du savoir et non à celui d’une quelconque propagande pour une religion, donne aux élèves les références nécessaires à comprendre tout cela. Comprendre le judaïsme. Comprendre le christianisme. Comprendre l’Islam. Pour ne citer que trois exemples. Car il y en a tant d’autres : un minimum d’initiation aux religions antiques, complexes, multiples, décentralisées, serait aussi le bienvenu. Je rêve d’une école où tous, maîtres et élèves, vibreraient de bonheur dans la passion de la transmission. A tous, excellentes Fêtes de Pâques !

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le pouvoir, celui qui vous fait jouir

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 31.03.21

     

    Ne croyez pas qu’il existe, sur la planète, le moindre pouvoir qui, dans l’ordre des relations humaines, soit présentable. Le pouvoir, d’où qu’il vienne, c’est pour le moins une pression, et souvent une oppression, exercée par un ou plusieurs humains, sur un ou plusieurs autres. Il existe certes des pouvoirs éclairés, des despotes séduisants, des tonalités atténuées, des petites voix doucereuses qui tonnent moins que les rugueuses injonctions des sergents-majors. Mais le pouvoir reste le pouvoir. Il y aura toujours un moment, entre le dominant et le dominé, où l’étincelle enclenchera l’explosion. Toujours un moment pour la rupture, l’affrontement, la tentative de renversement, le corps-à-corps de la colère.

     

    Prenez le monde politique. Regardez comme ils sont gentils, les doux agneaux, pendant les campagnes électorales. A votre écoute, « sur le terrain » : les stands, les tracts aimablement distribués, la patience à vos doléances, « Je note, chère Madame, nous allons nous renseigner sur ce problème, nous reprendrons contact avec vous. D’ici là, si vous voulez que les choses s’arrangent, ayez l’obligeance de voter pour moi ». Et ça marche ! Parce que l’autre, en face, toujours en quête d’un monde nouveau, se dit que tout va changer, qu’il tient là le bon numéro, que celui-là, élu, n’exercera pas le pouvoir comme les autres. On peut rêver. C’est un droit fondamental de l’être humain.

     

    On peut rêver, mais on déchante. Très vite. Elu dans un exécutif, le nouveau mettra quelques semaines à s’accoutumer, il montera autour de lui une garde noire, il se désignera mentalement les alliés et ceux à abattre, il se fera les griffes, commençant par écorner, et finalement lacérant. D’aucuns prendront plaisir à ce petit jeu. « Je suis le maître, je domine, j’ai ma cour, mes conciliabules, je ménage mon petit monde, j’incendie les autres ». C’est la vie, nul n’y échappe. Ni hommes, ni femmes, ni gauche, ni droite, ni gentils centristes : face à l’éternelle noirceur du pouvoir, nous sommes tous recommencés, nous accomplissons la liturgie, nous blessons, parfois nous humilions. Et de cette position dominante, nous jouissons.

     

    Le pouvoir, partout. Au sein de la famille. Au bureau. Sur le chantier. Sur le tapis boursier. Dans l’entreprise. C’est laid, c’est noir, c’est triste, c’est la vie, celle des pulsions, nul d’entre nous n’y échappe, et surtout pas ceux qui s’en croient affranchis. En latin, « dominus » signifie le maître, celui qui exerce le pouvoir, par exemple sur l’esclave. Mais il y a un autre mot, tellement plus beau, tellement plus fort : c’est le mot « magister ». Le maître, oui, mais celui qui enseigne. Celui qui transmet. Celui qui, par son savoir, ses compétences, donne l’exemple. Celui à qui Charles Péguy, dans les Cahiers de la Quinzaine (1913), rend hommage. Je voulais, à l’approche de Pâques, terminer ce texte par une note d’espoir et de lumière. A tous, excellentes Fêtes, quelque part, face à l’ouverture du Passage.

     

    Pascal Décaillet