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  • Dominique Catton

     

    Sur le vif - Lundi 24.09.18 - 09.07h

     

    C'était un homme au regard de lumière, avec un sourire qui embrassait la vie. L'un de ceux, ces cinquante dernières années, qui ont le plus fait pour la culture à Genève. La culture pour tous !

     

    En nous quittant à l'âge de 75 ans, Dominique Catton laisse un vide que nul ne mesure. Son théâtre Am Stram Gram, fondé par lui en 1974, et porté infatigablement jusqu'en 2012, a donné le goût de la scène à des dizaines de milliers d'enfants, et aussi à leurs parents. C'est un exploit que de capter l'attention des plus petits, une aventure de transmission inégalable, dans la continuité tranquille des générations.

     

    Je n'oublierai jamais le moment où Dominique Catton m'avait annoncé, en buvant un verre à l'issue d'un spectacle, qu'il allait monter les Bijoux de la Castafiore, avec l'étourdissant Jean Liermier dans le rôle de Tintin. Pendant des mois, je me suis demandé comment il a allait transmettre le secret si fragile de la ligne claire, d'Hergé. Je suis allé voir la pièce : dans le mouvement comme dans la conception, la ligne claire était là, juste, grave et légère. La réussite était totale.

     

    Dominique Catton est arrivé un jour à Genève, et, pendant des décennies, il a tout donné à cette ville, ce canton, ce bout de lac épris de culture, ouvert au monde. Travailleur infatigable, toujours enthousiaste, toujours un regard d'avance sur les spectacles à suivre. Immensément attaché aux comédiens, les mettant en valeur, suivant leur carrière, allant voir les spectacles, imaginant la suite, regard de marin porté sur l'horizon.

     

    Il sera difficile d'oublier sa chaleur humaine, l'attention centrale qu'il portait à l'humain, l'intensité de son regard lorsqu'il évoquait un projet. Genève perd un grand artiste. Et un impressionnant faiseur d'artistes. Le vide laissé est immense.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Une Suisse, deux visions de l'Etat

     

    Sur le vif - Dimanche 23.09.18 - 12.49h

     

    J'étais fermement partisan des deux initiatives agricoles, je suis cet après-midi dans le camp des perdants, je respecte évidemment la décision du peuple et des cantons.

     

    Ce qui se passe, politiquement, en Suisse aujourd'hui, c'est la confirmation - une fois de plus - du fossé entre Suisse alémanique et (une bonne partie de la) Suisse romande, dans le rapport à l’État. On l'a vu maintes fois, ces dernières décennies, en matière de santé publique, d'assurances sociales, notamment.

     

    Le vrai fossé, au sein de la Suisse, ça n'est absolument pas la langue, encore moins la religion, ni même la plaine et la montagne, ni même la ville et la campagne. Le vrai fossé, ce sont les différences de perception dans le rapport à l’État.

     

    Ces différences, concernant la Suisse alémanique, n'engagent en rien une proximité avec l'Allemagne : contrairement aux idées reçues, notre grand voisin du Nord cultive, depuis Bismarck, un État social fort, et le libéralisme pur et dur n'a jamais, même au plus fort des Glorieuses de l'après-guerre, réussi à s'y installer.

     

    Non, les Alémaniques ne sont pas prudents sur le rôle de l’État par ethnie, loin de là. Ils le sont pour d'autres raisons, qui sont à chercher dans la profondeur idiomatique de chacune de leurs Histoires cantonales. Ça n'est pas non plus une affaire entre protestants (qui seraient libéraux) et catholiques (qui seraient sociaux-conservateurs), puisque même les cantons alémaniques catholiques montrent cette réserve face au rôle de l’État.

     

    Je n'ai pas parlé ici de l'essentiel : le sort de nos paysans. Je n'en ai pas parlé, parce que je voulais centrer mon propos sur cette question majeure du rapport à l’État. Aux paysans suisses, néanmoins, dont le sort ne sera pas facilité par la décision d'aujourd'hui, je veux dire toute la profondeur de mon attachement, de mon respect et de ma solidarité, à l'intérieur de notre Patrie commune, la Suisse.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Depuis trente ans, l'Allemagne joue solo

     

    Sur le vif - Samedi 22.09.18 - 18.58h

     

    Dans les trois premières décennies de l'Europe communautaire, entre 1957 (Traité de Rome) et 1989 (chute du Mur), l'Allemagne a parfaitement joué le jeu d'une participation collective au projet européen.

     

    Cette grande puissance, abattue le 8 mai 1945, très vite relevée économiquement grâce au plan Marshall (à l'Ouest) et surtout à la volonté de fer du peuple allemand, a mis du temps à ré-émerger politiquement. D'abord, parce que les vainqueurs du Reich ont tout fait pour l'en empêcher. Aussi, parce qu'il a fallu digérer la défaite, accomplir un travail de mémoire, résoudre le problème de la partition du pays en deux. Adolescent, sensible à la DDR, notamment à son projet culturel, j'étais persuadé que, de mon vivant, je ne verrais pas d'autre structure allemande que la dualité BRD-DDR.

     

    La chute du Mur, d'un coup, a bouleversé la donne. Voilà, dès 1990, sur les atlas représentant l'Europe, un géant central aux dimensions presque comparables à celles de 1936. Tout au plus, l'excroissance constituée, au Nord-Est, par la Prusse Orientale, mais aussi la Silésie, la Poméranie, n'étaient plus (officiellement) germaniques. Mais enfin, à l'exception de cette patte tendue vers les Pays Baltes, le géant était de retour.

     

    A partir de 1989, à vrai dire surtout 1990 et 1991, Kohl a franchement joué solo. Avec la Monnaie unique (copie conforme du Deutschemark), Maastricht, les investissements colossaux en Pologne et en Tchéquie, sans compter la Slovénie et la Croatie, détachées à dessein de la Fédération des Slaves du Sud pour revenir dans le giron économique germanique, le Rhénan Helmut Kohl a recommencé, dans l'indifférence générale (voire sous les vivats) à mener une politique proprement allemande.

     

    Aucun de ses prédécesseurs, ni Adenauer, ni Erhard, ni Kiesinger, ni l'immense Willy Brandt, ni l'excellent Helmut Schmidt, ne l'avaient fait avant lui. Schröder a continué. Mme Merkel aussi, jusqu'en Ukraine.

     

    Aujourd'hui, l'Allemagne de Mme Merkel ne se comporte absolument plus comme l'un des gentils 27 membres de l'Union. Elle se comporte (on l' a vu avec la Grèce) avec le paternalisme de Saint-Empire du suzerain. Un suzerain aimable, pacifique, juste dominateur sur le plan économique et financier, imposant sa stratégie commerciale sur les Marches de l'Est. Avec la politique ukrainienne de Mme Merkel, nous sommes à des milliers de lieues des géniales intuitions de l'Ostpolitik des équipes de Willy Brandt (1969-1974) : nous sommes, aujourd'hui, dans un rapport de domination et de gloutonnerie du monde germanique sur une partie du monde slave.

     

    Depuis trente ans, il m'apparaît qu'il n'existe guère de question européenne, tant cette dernière est impalpable, évanescente. Mais qu'il existe bel et bien, en revanche, la passionnante et difficile question allemande. Cela, dans l'accomplissement d'un destin et d'un dessein collectifs entamés, entre 1740 et 1786, par le Roi de Prusse Frédéric II, l'homme qui a réveillé les consciences allemandes en Europe, un siècle après la dévastation totale du pays, en 1648.

     

    Le destin allemand est en marche. Depuis trente ans, il chemine sous la bannière européenne. Bientôt, il n'en aura même plus besoin.

     

    Pascal Décaillet