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Depuis trente ans, l'Allemagne joue solo

 

Sur le vif - Samedi 22.09.18 - 18.58h

 

Dans les trois premières décennies de l'Europe communautaire, entre 1957 (Traité de Rome) et 1989 (chute du Mur), l'Allemagne a parfaitement joué le jeu d'une participation collective au projet européen.

 

Cette grande puissance, abattue le 8 mai 1945, très vite relevée économiquement grâce au plan Marshall (à l'Ouest) et surtout à la volonté de fer du peuple allemand, a mis du temps à ré-émerger politiquement. D'abord, parce que les vainqueurs du Reich ont tout fait pour l'en empêcher. Aussi, parce qu'il a fallu digérer la défaite, accomplir un travail de mémoire, résoudre le problème de la partition du pays en deux. Adolescent, sensible à la DDR, notamment à son projet culturel, j'étais persuadé que, de mon vivant, je ne verrais pas d'autre structure allemande que la dualité BRD-DDR.

 

La chute du Mur, d'un coup, a bouleversé la donne. Voilà, dès 1990, sur les atlas représentant l'Europe, un géant central aux dimensions presque comparables à celles de 1936. Tout au plus, l'excroissance constituée, au Nord-Est, par la Prusse Orientale, mais aussi la Silésie, la Poméranie, n'étaient plus (officiellement) germaniques. Mais enfin, à l'exception de cette patte tendue vers les Pays Baltes, le géant était de retour.

 

A partir de 1989, à vrai dire surtout 1990 et 1991, Kohl a franchement joué solo. Avec la Monnaie unique (copie conforme du Deutschemark), Maastricht, les investissements colossaux en Pologne et en Tchéquie, sans compter la Slovénie et la Croatie, détachées à dessein de la Fédération des Slaves du Sud pour revenir dans le giron économique germanique, le Rhénan Helmut Kohl a recommencé, dans l'indifférence générale (voire sous les vivats) à mener une politique proprement allemande.

 

Aucun de ses prédécesseurs, ni Adenauer, ni Erhard, ni Kiesinger, ni l'immense Willy Brandt, ni l'excellent Helmut Schmidt, ne l'avaient fait avant lui. Schröder a continué. Mme Merkel aussi, jusqu'en Ukraine.

 

Aujourd'hui, l'Allemagne de Mme Merkel ne se comporte absolument plus comme l'un des gentils 27 membres de l'Union. Elle se comporte (on l' a vu avec la Grèce) avec le paternalisme de Saint-Empire du suzerain. Un suzerain aimable, pacifique, juste dominateur sur le plan économique et financier, imposant sa stratégie commerciale sur les Marches de l'Est. Avec la politique ukrainienne de Mme Merkel, nous sommes à des milliers de lieues des géniales intuitions de l'Ostpolitik des équipes de Willy Brandt (1969-1974) : nous sommes, aujourd'hui, dans un rapport de domination et de gloutonnerie du monde germanique sur une partie du monde slave.

 

Depuis trente ans, il m'apparaît qu'il n'existe guère de question européenne, tant cette dernière est impalpable, évanescente. Mais qu'il existe bel et bien, en revanche, la passionnante et difficile question allemande. Cela, dans l'accomplissement d'un destin et d'un dessein collectifs entamés, entre 1740 et 1786, par le Roi de Prusse Frédéric II, l'homme qui a réveillé les consciences allemandes en Europe, un siècle après la dévastation totale du pays, en 1648.

 

Le destin allemand est en marche. Depuis trente ans, il chemine sous la bannière européenne. Bientôt, il n'en aura même plus besoin.

 

Pascal Décaillet

 

 

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