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  • De l'usage (volontairement ?) abusif du mot "rafle"

     

    Sur le vif - Mercredi 17.06.15 - 14.27h

     

    « La rafle des Tattes, l’abri du Grütli » : c’est le titre d’un texte, au demeurant fort bien écrit (comme toujours), du conseiller municipal socialiste Sylvain Thévoz, et publié sur son blog. Il s’agit du déplacement de requérants d’asile déboutés, du foyer des Tattes (Vernier) vers un abri de protection civile de Carouge. L’affaire défraye la chronique depuis 48 heures, nous avions d’ailleurs hier soir un débat, à GAC, entre le conseiller d’Etat Mauro Poggia et la présidente des Verts genevois, Lisa Mazzone. Ce que M. Thévoz n’accepte pas, c’est le rôle de la police. Il y voit (jusque dans le titre) une « rafle ».

     

    Je ne suis pas sûr d’approuver, non plus, la méthode du Conseil d’Etat dans cette affaire. Et sur le fond, je peux faire un bout de chemin avec Sylvain Thévoz. Mais le mot « rafle » me gêne, je l’ai dit hier sur mon site Facebook, et m’en suis entretenu, en toute fraternité littéraire, avec le principal intéressé. L’Histoire étant ce qu’elle est, l’intensité de son tragique ayant vampirisé le champ sémantique de certains mots, le vocable » « rafle », hélas, n’évoque plus seulement le bon vieux panier à salade que décrit si bien Simenon dans ses « Maigret », lorsqu’il s’agit de passer un quartier au peigne fin pour amener tels mauvais garçons, ou telles « filles », dormir une nuit au violon, non sans être passés par l’anthropométrie.

     

    Il me semble tout de même, pour prendre le plus terrible des exemples, que ce qui s’est passé au Vel d’Hiv (police française, je vous prie) le 16 juillet 1942, destination Drancy et surtout Auschwitz, pourrait être de nature à faire réfléchir tout homme (ou femme) de plume et de culture (laissons les autres), lorsqu’il utilise le mot « rafle ». Bien sûr, cette horreur extrême ne saurait accaparer à jamais le sens d’un mot qui lui préexistait, sans le poids infâme de cette connotation.

     

    Alors, quoi ? Alors rien. M. Thévoz, dont j’admire le style, a le droit de choisir les mots qu’il veut, il n’est pas question de le censurer. Tout au plus, disons que j’ai un petit doute : un homme de sa culture ne pouvant ignorer la connotation dont je fais état, le recours tout de même à ce mot ne relevait-il pas, allez disons juste un peu, d’une provocation volontaire, habile, et calculée ? Dans ce cas, Cher Sylvain, vous avez réussi, puisque me voilà. Dans le rôle de l’emmerdeur. Pour vous servir.

     

    Pascal Décaillet

     

  • SSR : le géant commence à tituber

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    Edito paru ce matin en première page du Giornale del Popolo, sous le titre "Il Gigante incomincia a titubare" - Mercredi 17.06.15

     

    50,08% ! L’un des résultats les plus serrés dans l’Histoire de notre démocratie directe. Ils ont eu chaud, très chaud, les responsables de la SSR, pendant tout l’après-midi de ce dimanche 14 juin. « A la raclette », comme on dit en Valais : c’étaient d’ailleurs les mots du président de la SSR, Raymond Loretan, sur le plateau de mon émission dimanche soir, sur la chaîne privée genevoise Léman Bleu. Mais enfin, la loi passe : il y aura bien réforme du mode de perception de la taxe, un sujet technique que presque tout le monde avait oublié, tant l’essentiel des débats, dans toute la Suisse, s’était porté sur une autre question : pour ou contre la SSR ?

     

    La campagne aura été mémorable. Les partisans, d’un bout à l’autre, n’ont cessé de nous répéter l’enjeu réel du scrutin (la réforme de la taxe), mais plus ils s’égosillaient, plus les opposants braquaient leurs projecteurs sur la SSR, trop grosse, trop gourmande, trop de chaînes, trop de bureaucratie, trop à gauche, trop européenne, bref une addition d’excès. Et plus les partisans leur disaient « Ça n’est pas le sujet ! », plus les autres en rajoutaient. Devant l’opinion publique, ils marquaient des points, les opposants, parce que jusqu’à nouvel ordre, on a le droit de discuter de ce qu’on veut. Et puis, si la discussion a dévié, il faut bien croire que cela correspondait à un besoin profond, longtemps retenu, de la population : pouvoir enfin s’exprimer, pas seulement au bistrot mais par la voie des urnes, sur ce Mammouth, gigantesque, pesant, aux appétits démesurés.

     

    La campagne a été rude. Du côté des opposants, l’USAM n’a pas ménagé ses adversaires, notamment en Suisse alémanique. Du côté des partisans, d’incroyables arguments ont été utilisés : en Suisse romande, on a traité de « mauvais Romands » les opposants, parce qu’ils affaibliraient la SSR, au bénéfice (comme le Tessin !) de la fameuse « clef de répartition » de la redevance. Rationnellement, l’argument était faux, puisque précisément la SSR ne perdait pas un centime dans cette votation. Mais voilà, le combat n’avait rien de rationnel : petit à petit, les gens ont laissé sortir des années, voire des décennies, de colère rentrée contre un diffuseur public national jugé trop gâté. D’ailleurs, le résultat le plus étonnant est celui du Tessin : 52% de non, alors que votre canton tire beaucoup de bénéfices de la clef de répartition. Donc, au Tessin comme ailleurs, on a voté clairement sur autre chose que sur l’enjeu : pour ou contre la SSR, pour ou contre ses programmes, pour ou contre la Berne fédérale, peut-être. Comme si le scrutin fonctionnait comme révélateur des malaises propres à chaque région. De la même manière, pourquoi diable le Valais a-t-il, seul en Suisse romande, dit non (53,5%) ?

     

    Et maintenant ? Eh bien, la transformation du paysage médiatique suisse ne fait que commencer ! Nous sommes en pleine révolution des habitudes de consommation, des supports de réception, des modes de production. Et on vient encore nous parler d’un immense consortium national, une usine à gaz, avec des structures incompréhensibles (l’organisation institutionnelle, parallèle à la hiérarchie professionnelle), un budget démesuré, un géant blessé qui commence à tituber, et dont les faux pas risquent encore de faire bien des dégâts. Car en termes d’image, même avec sa victoire à la Pyrrhus à 50,08%, la SSR a perdu la bataille. Le réformer, la dégraisser, est désormais à l’ordre du jour, sur toutes les lèvres de Suisse, de Chiasso à Schaffhouse, de Sion à Coire !

     

    Oui, la bataille des médias ne fait que commencer. La SSR, paraît-il, fait du « service public ». Fort bien ! Et le Giornale del Popolo, il n’en fait pas, en informant jour après jour ses lecteurs ? Et les TV régionales privées, en collant à la proximité de leurs spectateurs ? Et la NZZ, avec ses pages politiques et économiques et culturelles ? Fini, le temps de l’arrogance de la SSR, comme si elle était seule au monde à produire de l’information sérieuse : le géant commence à tituber. Ça n’est pas encore la chute. Mais le temps de l’orgueil et de la superbe est terminé.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le Mammouth et ses gentilles petites soeurs

     

    Sur le vif - Lundi 15.06.15 - 10.38h

     

    Les grands vainqueurs du scrutin d'hier sont les TV régionales en Suisse romande. Non parce qu'elles vont toucher des miettes supplémentaires. Mais parce qu'enfin, pendant cette campagne, leur rôle a commencé à être reconnu. Leur rôle, dans quel domaine ? Mais précisément dans celui du service public ! Leur rôle, au coeur même de ce fleuron dont la SSR a toujours tenté de s'arroger le monopole.

     

    Dans ces conditions de début (timide) de redistribution des cartes dans les années qui vont venir, insupportable est le paternalisme soudain de la SSR, parlant à ces TV régionales comme à de gentilles petites sœurs, "nous sommes du même monde", "notre combat est le même", "notre seul adversaire, ce sont les géants étrangers", "bâtissons ensemble une place médiatique suisse forte".

     

    Tous ces poncifs œcuméniques mielleux, que révèlent-ils ? La soudaine faiblesse du Mammouth face à ces dérangeantes petites sœurs. Non en termes économiques, où il demeure totalement dominant. Mais au fond, dans un domaine bien plus dangereux : celui du combat d'images. Le travail acharné, le tissage quotidiennement renouvelé des TV régionales privées (Canal 9, La Télé, Léman Bleu, etc.) pour produire une information de proximité vivante, DONC JUSTEMENT DU SERVICE PUBLIC, commence doucement à porter ses fruits dans l'opinion. Il faudra encore de longues années d'un labeur chaque jour recommencé, pour affiner, améliorer, parfaire cette présence de proximité, mais quelque chose est lancé, qui pourrait aller loin.

     

    Pour ma part, je me méfie comme de la peste de cette paix des braves. Cette main tendue par le puissant, l'arrogant. Je recommande absolument à mes amis des TV régionales privées de ne tomber en aucun cas dans ce piège. Dans le combat, on fait la guerre. Les petites paix séparées, en rase campagne, ne servent que le plus puissant des antagonistes. Peut-être parce qu'il a besoin de souffler. Alors, comme deux boxeurs groggys, on se reposerait quelques secondes, l'un sur les épaules de l'autre.

     

    Ce modèle n'entre pas exactement dans la conception que, depuis mes plus jeunes années, je me fais du combat.

     

    Pascal Décaillet