Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 3

  • Journalisme : éloge des artisans

    atelier_typo01.jpg 

    Sur le vif - Dimanche 21.06.15 - 17.16h

     

    Toute ma vie, je me souviendrai de mon premier papier pour la presse quotidienne. C’était à l’automne 1976, j’avais juste dix-huit ans, première année d’Uni, je commençais à écrire pour le Journal de Genève. Quelques années plus tard, après avoir déjà rédigé une foule d’articles, je commençais mes deux ans de stage dans le même journal. Il n’y avait ni écrans, ni internet : nous rédigions nos papiers sur des machines à écrire, nous les traitions nous-mêmes pour la saisie (l’envoi se faisait par pneumatique, si !), nous allions à la mise, puis au marbre, et ne quittions le journal que lorsque le numéro du lendemain était physiquement terminé.

     

    J’ai adoré cet artisanat, tout comme plus tard, en radio, le montage à la main, avec ciseaux et scotches, sur un Revox ou un Nagra. Celui qui maîtrise la fabrication prend de sérieuses options pour, un jour, maîtriser le métier lui-même. Ça vous forge un état d’esprit, une conception globale. Le journalisme, à bien des égards, appartient à celui qui sait PHYSIQUEMENT fabriquer un journal. Ou une émission de radio. De TV. Gérer un site. Etc. Si je devais un jour écrire un bouquin sur le métier, le titre serait « Eloge des artisans », ou quelque chose du genre. De toute façon, j’aime l’atelier plus que tout au monde. Col ouvert, manches retroussées. Et plus ça s’approche du métier manuel, plus j’adore. Rien de plus enivrant que de passer rue Petitot, en fin d’après-midi, laisser venir jusqu’à ses oreilles ces bribes d’instruments du Conservatoire en répétition. Inachevé, magique.

     

    Les nouveaux supports ? Bien sûr que nous, journalistes, devons nous y intéresser. Et même coller de près à la modernité. Sinon, je serais encore (un peu seul, aujourd’hui !) rue du Général-Dufour, à me coltiner des morasses envoyées par pneumatiques à mes collègues de l’étage inférieur. Donc, modernité technique oui. Mais ne nous trompons pas : l’essentiel n’est pas dans le support. Il est de savoir si nous voulons, oui ou non, tenter de donner du sens, être utiles. La question n’est pas d’être aimé, ou détesté, elle n’a aucune importance. La question est de travailler sur le contenu. Le mettre en évidence. Prendre position sur lui, autour de lui. Et au fond, l’essentiel de tout ce qu’on appelle « service public », c’est cela. Ensuite, peu importe pour qui vous travaillez. Peu importe que vous soyez de gauche, de droite ou du centre. Travaillez-vous sur le contenu ? Mettez-vous en débat les forces antagonistes de la société dans laquelle vous vivez ? Avez-vous, face au pouvoir, le recul nécessaire ? Rien que cela, c’est déjà immense. Ensuite, tout ce qui touche au style, à la cosmétique, c’est bien, évidemment. Mais ça n’est pas premier.

     

    Et puis surtout, ne cherchez pas à être aimé. Ni, d’ailleurs, à être détesté. De toute façon, si vous faites bien votre boulot, vous serez l’un et l’autre. Seuls les tièdes se frayeront une survie en trottinant dans l’indifférence. Ne suivez pas leur chemin, mais celui de votre passion intérieure. Sans oublier la rigueur de l’artisanat. Le bonheur du métier passe par tout cela. Loin du mondain, mais au cœur du monde.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Au centre de tout : l'émission. Pas la structure !

     

    Sur le vif - Dimanche 21.06.15 - 09.54h

     

    S'il faut absolument que continue d'exister une redevance, donc un soutien public à la production audiovisuelle, alors finançons des ÉMISSIONS, et non plus des ENTREPRISES entières. J'ai lancé cette idée il y a bien longtemps déjà, j'ai tous les textes publiés par moi sur le sujet. C'est donc sans doute par distraction, ou par "manque de place", que mon confrère Pierre Veya - comme, il y a quelques mois, Avenir Suisse - "omet" de me citer dans son billet, publié aujourd'hui dans les pages économiques (page 30) du Matin dimanche.



    Mais laissons là les querelles d'antériorité. L'essentiel, c'est l'idée elle-même. Pierre Veya défend absolument mon idée d'une aide publique (s'il faut qu'il en existe une), non à des ENTREPRISES en tant que telles, mais, sur l'ensemble du pays, médias publics (SSR) ou privés, à des ÉMISSIONS jugées (selon des critères à préciser) d'intérêt public.



    Critères ? Point besoin d'un rapport fédéral, ni de dix-huit mois de puissantes cogitations, pour les dégager. Cela tournera autour de l'identité et de la cohésion du pays, priorité aux émissions qui font vivre la politique, le débat, la formation de l'opinion, l'économie, la culture, le sport pratiqué dans notre pays, la vie scientifique en Suisse, etc. La vie des starlettes sera laissée aux bons soins des diffuseurs exclusivement privés, qui pourront la financer tant qu'ils voudront par la pub.



    A noter que financer des ÉMISSIONS, et non des ENTREPRISES, s'inscrit dans un esprit de travail, une vision du métier, que j'ai toujours farouchement défendus, déjà lorsque j'étais dans le "public". J'ai toujours milité pour que la production, l'émission, soient au centre de tout, et non les structures d'organisation qui les entouraient. Ayant été à la fois producteur (de longues années, toutes tranches confondues, matinales, 12.30h, Forum, et depuis une décennie producteur et entrepreneur indépendant), et chef de rubrique (nationale), je peux vous dire que le plus grand bonheur, la plus juste proximité dans l'exercice du métier se trouvent dans la première de ces deux fonctions, celle qui place l'artisanat du métier, le savoir-faire, au centre de tout.



    Je suis très heureux que Tibère Adler (Avenir Suisse) et Pierre Veya (Le Matin dimanche) aient, sur ce sujet, une convergence d'analyse avec mes vues. D'une manière générale, après une campagne où on a entendu tout et n'importe quoi, à commencer par des politiciens comme Géraldine Savary (quasiment tous les jours à la SSR) qui n'ont jamais fait une émission de leur vie (sinon comme invités !), il ne serait peut-être pas totalement inutile de commencer à donner la parole aux entrepreneurs du métier, les artisans, les professionnels, ceux qui s'investissent depuis des décennies pour produire, inventer, rénover. Ceux-là, dans la campagne du 14 juin dernier, n'ont tout simplement pas été invités à s'exprimer.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Les Chemins de la Liberté

    handsch_buddenbrooks_gross.jpg 

    Sur le vif - Vendredi 19.06.15 - 17.25h

     

    Mais enfin, que se passe-t-il avec les textes ? Pourquoi nous obsèdent-ils tant ? Chaque année, à l’approche de l’été, je me promets de relire Kafka ou Thomas Mann, Homère, Brecht, Sophocle, Gide, Céline, Cingria, Grass, Koltès. Et des dizaines d’autres. Je les lis, ou non, j’en lis d’autres, c’est la vie, c’est la chaleur, c’est le miracle de l’été.

     

    Mais d’où nous vient cet impérieux besoin de textes, et de musiques aussi ? Recommencer la vie ? Lorsque j’ai passé ma Maturité, en avril 1976, un peu avant mes dix-huit ans, ma première pulsion était d’étudier la théologie. A cause des textes. Et puis, il y eut l’autre miracle d’un autre été, d’autres voies. Mais j’y ai pensé très fort hier soir, sur mon plateau, face à Mme Elisabeth Parmentier, qui a produit sur moi (et, je l’espère, sur les téléspectateurs) une puissante impression.

     

    C’est une femme de foi et de textes, luthérienne, ayant commencé par la Germanistik avant de se lancer en théologie, elle vient d’enseigner quinze ans à l’Université de Strasbourg. L’Alsace, comme on sait, a « échappé » à la loi de 1905 : allemande de 1871 à 1918, elle n’était pas concernée par la Séparation. Du coup, nous dit Mme Parmentier, la question religieuse se vit de façon beaucoup plus calme que dans les tensions (extrêmes, ces temps) de la France laïque : on la croit volontiers.

     

    Surtout, la manière dont la future prof de théologie pratique (elle commence cet automne) à l’Université de Genève parle des textes, est saisissante. Elle a commencé, des années, par se tremper dans la littérature allemande (tiens, la traduction de la Bible par Luther, par exemple, premier texte allemand moderne), puis elle a étudié la théologie. Et ma foi (si j’ose dire), lorsqu’elle parle d’un texte « sacré » (précisant bien que ce dernier ne doit jamais être pris comme un fondement, intangible), elle nous emporte. Et elle nous donne envie.

     

    Envie de quoi ? Mais de faire théologie ! D’aller suivre ses cours ! De se mettre à l’hébreu ! De se replonger dans le grec, cette fois dans la patristique et le néotestamentaire. Bref, se coltiner amoureusement la formation (intellectuelle, et pas nécessairement sacerdotale) d’un pasteur, ou d’un prêtre. Pour ma part, aujourd’hui, si longtemps après, je le ferais dans une perspective furieusement littéraire, abordant ces textes-là avec une passion pour la parole (avec un petit p), allez disons le logos, celui dont Jean nous dit qu’il a précédé toute chose.

     

    Alors bon, si par hasard il y a, dans les lecteurs de ce texte, des jeunes (ou moins jeunes) qui ont envie de se frotter à la puissance de cette parole partagée, j’ai envie de vous inviter très fort à aller  fréquenter les cours de Mme Parmentier.

     

    Pour le reste, laissons-nous surprendre par nos lectures d’été. Ou par les musiques. Ne prévoyons pas trop. Allons de l’un à l’autre, ouvrons nos âmes. Elles en ont besoin : nos métiers nous accaparent, la passion pour eux nous serre comme les petites griffes d’une petite mère, jalouse, possessive. Ouvrir un livre, c’est donner une chance à des espaces d’affranchissement. L’un des romans très forts de Jean-Paul Sartre (Gallimard, trois volumes) porte un titre qui nous y invite à merveille. C’est un très grand livre, écrit juste au sortir de la guerre : il s’appelle les Chemins de la Liberté.

     

    Pascal Décaillet

     

     * Image : Thomas Mann - Buddenbrooks - Manuscrit original de la première page.