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  • Brandt, Varsovie : le geste et la mémoire

     

    Édito Lausanne FM – Mercredi 16.04.08 – 07.50h



    Un chancelier d’Allemagne fédérale, sans doute le plus grand du vingtième siècle, à genoux devant le monument aux morts du ghetto de Varsovie. Image noir blanc, 8 décembre 1970, scène inattendue, foule étonnée, photographes pris de cours, quelque chose qui bascule dans la conscience allemande. Je m’en souviens comme si c’était hier, j’avais douze ans, j’étais saisi.

    Hier, sur les lieux de ce même ghetto, cérémonie de la mémoire. Avec, entre autres, le président israélien, Shimon Peres, enfant de Pologne, il faut s’en souvenir. 65 ans après, les hommes et les femmes d’aujourd’hui pensent aux morts et se recueillent.

    Il faut, sans cesse, dire et rappeler aux jeunes ce qu’a été l’insurrection du ghetto de Varsovie. Un acte de courage invraisemblable, dans une Pologne encore totalement sous la botte du Reich. Une Pologne où le pire du pire de l’Histoire humaine, en ce printemps 43, est en train de se produire. La solution finale, décidée quinze mois plus tôt à la conférence de Wannsee, produit ses effets, et cela va durer encore deux ans. L’Armée Rouge, qui vient de remporter Stalingrad (30 janvier), est encore bien loin. La Pologne est seule. Seule au monde.

    Plus seuls que tous, les juifs du ghetto. On sait à quel point (le rabbin Garaï, à Genève, l’a rappelé hier soir) la résistance polonaise s’est tenue à l’écart de cette insurrection. Et malgré cela, malgré le poids du monde sur eux, les gens du ghetto ont pris les armes. Et ils se sont battus.

    Dans toutes les biographies de Willy Brandt*, l’épisode de la génuflexion apparaît comme une énigme. Peut-être un acte instinctif, décidé au dernier moment, comme la poignée de mains Kohl-Mitterrand, à Verdun. Le successeur de Brandt, Helmut Schmidt, avec qui je me suis entretenu, dans son bureau de Hambourg, en 1999, de ce geste, plaide pour la thèse de l’acte improvisé.

    Peu importe, au fond. Ce qui compte, c’est que Willy Brandt l’a fait. Et ce geste a été le déclic, en Allemagne, d’un long travail de mémoire. Et ce geste venait d’un homme qui, dans sa jeunesse, avait payé d’un long exil, en Scandinavie, son opposition à Hitler. Mais qui, en cet instant de décembre 1970, avait, simplement, assumé la continuité. Sans une parole. Juste un geste. Pour l’Histoire.

    •    Gregor Schöllgen, Willy Brandt, Die Biographie, Propyläen, 2001.

    •    Brigitte Seebacher, Willy Brandt, Piper München Zürich, 2004.

    •    Carola Stern, Willy Brandt, rororo Bild Monographien, 1995.


  • Les éditorialistes et la marche arrière



    Édito Lausanne FM – Mardi 15.04.08 – 07.50h


    « Un grand pas en arrière » : c’est pas cette formule que l’éditorialiste du service public de Suisse romande, ce matin, vient de qualifier la très nette victoire de Silvio Berlusconi en Italie. Victoire reconnue par tous, à commencer par l’ancien maire de Rome, Walter Veltroni : « Le résultat est clair. La droite gouvernera ce pays ». Veltroni, homme de valeur, mais qui portait le très lourd héritage des 20 mois de Romano Prodi aux affaires.

    Bref, l’Italie, à l’issue d’une campagne parfaitement démocratique, a, pour la troisième fois de son Histoire, donné une majorité à Silvio Berlusconi. Et immédiatement, le service public de Suisse romande qualifie cette décision du peuple de « grand pas en arrière ». Au nom de quoi ? De quels éléments précieux, secrets, du dossier l’éditorialiste disposerait-il, qui auraient échappé au peuple italien ? Le peuple italien serait-il stupide ? Ignorant ? Mal informé ? N’aurait-il, comme le peuple français du printemps 2005 (au moment du référendum européen), rien compris aux enjeux du vote ?

    Aux yeux de l’éditorialiste du service public romand, soyons clairs : si l’Italie vote à gauche, pour Veltroni, c’est, comme dans les très riches heures de la Chine populaire, un grand bond en avant. Si elle vote à droite, pour Berlusconi, c’est évidemment un grand pas en arrière. La vie est simple, au fond, binaire comme un feu de gare : à gauche, c’est bien ; à droite, c’est nul. Pour le Traité européen de 2005, c’est bien ; les 55% de contre, c’est nul. Jospin, c’est bien ; Chirac c’est nul. Ségolène, c’est bien ; Sarkozy c’est nul.

    Peut-être pourrait-on aller jusqu’à imaginer d’éduquer le peuple italien ? Il faudrait, comme avant le permis de conduire, prendre des cours. Où on lui apprendrait à bien voter. À voter juste. À voter à gauche. Ne pas confondre l’obligation de la marche avant avec la stupide régression de la marche arrière. Ne pas confondre « Avanti, popolo ! » avec « Vade retro, Satanas ! ».

  • Ce cher Francis



    Édito Lausanne FM – Lundi 14.04.08 – 07.50h



    Ah, quel bonheur de retrouver hier soir, dans l’émission Mise au Point, le visage honnête et souriant de Francis Mathey ! Socialiste et sympathique : rare confluence, inattendue comme le plus pointu des oxymores.

    Début mars 1993 : comment pourrais-je oublier ces heures-là, pour les avoir vécues si intensément, à Berne, comme correspondant parlementaire ? Le Neuchâtelois René Felber vient de démissionner du Conseil fédéral, il s’agit de lui trouver un successeur. Les socialistes ne jurent que par Christiane Brunner.

    L’Assemblée fédérale, le 3 mars, en élit un autre, le Neuchâtelois Francis Mathey, l’un des hommes les plus forts et les plus compétents, à l’époque, du Parlement fédéral. Mais cet homme, sous le poids de son propre parti, de l’aile féministe, de l’aile syndicale, se voit contraint de refuser son élection. Une semaine plus tard, le 10 mars, après un psychodrame sans précédent, le Parlement trouve une issue en élisant Ruth Dreifuss.

    C’était l’époque où une clique de femmes socialistes terrorisait la politique suisse. La manière dont elles ont fait pression pour qu’un élu légitime au poste de conseiller fédéral en vienne finalement à renoncer, n’a strictement rien à envier aux méthodes qui sont tant reprochées, aujourd’hui, à l’UDC, face à Eveline Widmer-Schlumpf. Dans Mise au Point, hier soir, Francis Mathey est revenu sur cette abominable semaine, sans doute la pire de sa vie, où toute la Sainte Chapelle des Camarades faisait pression sur lui. Hier soir, bon bougre jusques au fond de l’âme, il se contentait de laisser perler son amertume, mais le décodage n’était pas si difficile.

    C’était l’époque où les manifestantes, sur la Place fédérale, tellement furieuses de la non élection de leur diva, réclamaient en hurlant le départ d’un élu légitime. Mieux : à force d’une pression hallucinante et sans précédent, la rue a fini par obtenir ce départ. Et à l’époque, les beaux esprits et les beaux éditorialistes, unanimes, saluaient cette victoire de la masse et de l’opinion contre le Parlement.

    Ce sont exactement les mêmes, aujourd’hui, qui n’en peuvent plus de nous faire la leçon sur l’absolue primauté de la légitimité parlementaire par rapport à la rue. Diable ! Y aurait-il, selon que le séisme atteint le saint PS ou l’odieux UDC, deux poids et deux mesures ?