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  • Mai 68, non merci ! (4/5)



    Édito Lausanne FM – Jeudi 03.04.08 – 07.50h



    Ils ont voulu abolir l’Histoire, cette discipline tellement bourgeoise ; même l’Histoire ouvrière ne leur convenait pas, parce que c’était encore de l’Histoire. Ils ont fermé les yeux sur le passé, à commencer par le passé tout proche, ce qu’avaient vécu leurs parents, la Seconde Guerre mondiale. Au point d’oublier que l’homme qu’ils conspuaient, avait, moins d’un quart de siècle avant leurs ébullitions libertaires, rendu l’honneur à leur pays. Et que d’autres pavés, contre d’autres hommes en armes représentant un régime autrement infamant, alors, avaient été lancés. Cela, ils l’ont parfaitement ignoré. Aucune allusion, jamais.

    Il faut les lire, leurs slogans, les prendre au sérieux, dans leur littéralité. Par exemple : « CRS-SS ! ». Musicalement, génial, j’en conviens, rythmé, dense, avec ce trio de sifflantes : aucun publicitaire n’aurait fait mieux. Ah, le sens du verbe, ils l’avaient, ce qui pourrait peut-être, un soir d’ivresse ou de demi-brume, amorcer de me les rendre sympathiques. Mais sur le fond, juste une minute : comparer les Compagnies républicaines de sécurité, qui n’étaient certes pas des doux mais représentaient un Etat démocratique et respecté du monde, avec les pires phalanges du pire régime du vingtième siècle ! La puissance de percussion de ce pentasyllabe magique exonérait-elle ses auteurs d’un minimum de réflexion sur l’énormité de la comparaison ? Les conséquences, en termes d’amalgames, furent dévastatrices.

    Oui, ce fut le début de longues années où tout ce qui n’était pas de leur bord était immédiatement qualifié de « fasciste ». Ou « réactionnaire ». Ainsi, ils s’adressaient non seulement à l’extrême droite (très faible à l’époque) qui ne l’aurait pas volé, mais à l’ensemble de la droite républicaine, qu’elle fût gaulliste ou libérale. Dès que vous n’étiez pas dans leurs normes, leur système, leur abolition de l’Histoire, leur monde de comitards et d’assemblées générales, vous étiez un fasciste. Les faisceaux, la Marche sur Rome, Gabriele D’annunzio, la reconquête de Fiume, ils n’en avaient jamais entendu parler : leur culture historique était plus asséchée qu’un marais.

    Tellement aveugles, tellement centrés sur eux-mêmes, leur plaisir, leur sexualité, leur jouissance, qu’ils ne voyaient pas le monde, autour d’eux, reprendre ses formes de toujours. Persuadés d’avoir été centraux, l’ombilic événementiel du vingtième siècle, la nouvelle naissance du monde, ils ne pouvaient – ne peuvent toujours pas – concevoir que l’immense majorité de la société, autour d’eux, ait pu se reconstituer, continuer sa vie, sans eux. Sans leurs slogans. Sans l’incandescence de leurs rêves. Ni que l’Histoire puisse se réinviter, comme elle l’a toujours fait, dans la vie des gens et celle des peuples.




  • Mai 68, non merci ! (3/5)



    Édito Lausanne FM – Mercredi 02.04.08 – 07.50h



    Ils ont pris les manuels, les ont lacérés. Trop figés, trop fermés, poussiéreux. Trop Jules Ferry, Troisième République. Ils ont pris les affluents des fleuves, aux noms magiques, le Loiret, le Gardon, et ont décrété qu’il était désormais inutile de les connaître : à quoi bon ce fatras ? Trop Péguy, trop terroir, trop Barrès. Aux orties, la liste des rois de France, des présidents, les grandes batailles, les grands traités, ce qui façonne l’identité nationale. Ils ont voulu une Histoire sans dates (c’est tellement vulgaire, les dates), une géographie sans capitales, des langues sans grammaire.

    C’est tellement fastidieux, la grammaire. Si vulgairement pointilliste de commencer par le particulier pour aller vers le général, ce qui s’appelle, depuis la nuit des temps, construire un savoir. Alors, ils sont venus, comme des commis-voyageurs de médications miraculeuses, nous abreuver de méthodes « globales ». On a vu le résultat.

    Ils ont voulu une Histoire sans grands hommes. Et surtout sans récits. Seulement des structures, des grands mouvements économiques. Bien lents, bien ennuyeux. Surtout ne jamais mettre en avant l’individu, cet ignoble résidu de la culture bourgeoise. Ils en avaient un sous la main, en Mai 68, de grand homme, l’une des figures les plus marquantes de l’Histoire de France, un visionnaire, un solitaire, un libérateur, mille fois plus révolutionnaire que leurs petites éruptions cutanées d’affranchissement individuel. Ils ne l’ont, tout simplement, pas vu. La plupart d’entre eux, les Glucksmann, les Debray, ont admis, avec le recul, ce que cette non-reconnaissance avait eu de ridicule. Mais c’était trop tard.

    Libertaires à l’extrême, ils ne pensaient qu’affranchissement individuel. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux sont devenus des libéraux, voire des ultras : la République, au fond, avec ce qu’elle implique de contrat social, n’était guère leur problème. Ils ne pensaient pas politique, organisation d’une société, cimentation, intérêt collectif, devoirs de chacun envers la communauté, institutions. Ils pensaient, avant tout, à eux-mêmes.

    À écouter leurs récits, on a l’impression que la société française des années soixante était une dictature, avec à sa tête un Franco ou un Pinochet ! C’est ce qu’ils racontent – certains d’entre eux – aujourd’hui encore, à la Radio. Ainsi, sur France Inter, ce vendredi 21 mars 2008, lors de la remarquable journée spéciale sur ce thème, dont j’ai eu l’occasion, sur les routes de France, d’écouter toute la tranche 14h – 20h. À entendre certains énergumènes, on pourrait croire que la fin des années soixante, c’était l’Occupation, qu’ils étaient des résistants, que de Gaulle avait gagné ses étoiles de maréchal. On peut en sourire. Moi, une telle déformation de la vérité historique me donne, tout simplement, la nausée.

  • Mai 68, non merci! (2/5)



    Édito Lausanne FM – Mardi 01.04.08 – 07.50h



    Ils voulaient jouir sans entraves, c’était écrit sur leurs murs. Enfin, sur les murs des autres. Il y a ceux qui jouissent sans entraves, ceux qui ont besoin d’entraves, de fer ou de cuir noir, pour jouir, ceux qui ne jouissent jamais, ceux qu’une étincelle enflamme, ceux qui pourraient passer devant Rome en feu, tout juste en sifflotant. Animal politique, l’homme est aussi une bête polymorphe.

    C’était une aventure personnelle, au fond, des dizaines de milliers de rêves individuels. C’était une grande illusion libertaire, je respecte cela, je puis à peu près le saisir. Mais ils prétendaient parler de politique. Ils prétendaient parler de Révolution. Un si beau mot, bouillant comme un astre en fusion. Ils n’avaient que ce mot-là, partout.

    Politiquement, ils n’ont rien révolutionné du tout. Sur le moment, en France (oui, je sais, le mouvement était plus large, mais je parle ici de la France), ils ont même réveillé le pays de la peur, d’où les élections de juin, et le bleu horizon de la Chambre la plus réactionnaire depuis 1919. De leurs rêves, politiquement, rien n’est resté. Rien, si ce n’est leur désir de jouissance, joué et rejoué dans les années 1970. Oh, pour parler de sexe, ils étaient si forts.

    Ils étaient des révoltés, pas des révolutionnaires. Ils étaient, pour beaucoup, une jeunesse nantie, dans une France prospère, et leur mouvement n’a strictement rien à voir avec celui des ouvriers. Dès que ces derniers ont eu, grâce au jeune Chirac et à Georges Séguy, les accords de Grenelle, et cette poussée du SMIC comme une fusée, ils sont bien vite rentrés travailler. Le parti communiste, plus encore que le parti gaulliste, détestait 68. La plupart des dirigeants de l’époque, à commencer par François Mitterrand, sont passés complètement à côté du mouvement, et je ne suis pas sûr que l’épisode de Charléty, opportuniste plus que sémantique, ait vraiment grandi cet homme admirable qu’était Pierre Mendès France.

    Ils voulaient jouir sans entraves, interdire d’interdire, du passé faire table rase. Soit. Mais qu’ont-ils obtenu, vraiment ? Ils voulaient renverser le pouvoir, n’ont fait que le conforter, et dans sa frange la plus dure, la plus bourgeoisement pompidolienne, la jouissance, suintante et sudoripare, par le bas de laine. Au génie visionnaire de Charles de Gaulle, succédait, pour des années, la tranquillité des gestionnaires. La victoire de Guizot sur Bonaparte.

    Socialement, je ne dis pas. Familialement, je ne dis pas. Vestimentairement, je ne dis pas. Sexuellement, je veux bien. Mais politiquement – c’était tout de même le champ avoué de leurs attentes – Mai 68 est un échec.

    Demain, je vous parlerai enseignement. Ou je vous raconterai la traversée de la Bérézina. Ce qui revient à peu près au même.