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  • Carla et la raison d'Etat



    Donc, le très doux Hashim Thaci, actuellement Premier ministre du Kosovo, naguère chef de guerre de la très douce UCK, l’Armée de libération nationale, aurait, en 1999, fait déporter 300 Serbes vers l’Albanie, aurait fait prélever sur eux des organes, qu’il aurait vendus à des trafiquants internationaux. Cet épisode, gravissime s’il s’est bien produit, c’est Carla del Ponte qui l’avance. Une femme que nul, ici bas, ne pourra suspecter, vous en conviendrez, de serbophilie aiguë.

    L’important, dans cette affaire, n’est pas le devoir de réserve, par rapport à son Département, de celle qui est aujourd’hui ambassadrice de Suisse en Argentine. Ne vouloir, comme beaucoup le font ce matin, présenter le problème que sous cet angle organique, c’est épouser la vision du DFAE. Et c’est, surtout, faire bien peu de cas du fond du problème, s’il se vérifie.

    La question est : Hashim Thaci, aujourd’hui l’homme fort de Pristina, auprès de qui une bonne partie de l’Europe fait des courbettes, a-t-il, oui ou non, en 1999, commis cet acte ? Faut-il rappeler les yeux de Chimène, à l’époque, de nombre de journalistes romands, au nom d’un romantisme christo-guevaresque, pour l’UCK ? Ces horreurs de la guerre, qu’on a tant condamnées chez les Serbes, faudrait-il, les yeux mi-clos, feindre de les ignorer, dans l’autre camp ?

    Reste la question de la soudaine sévérité du DFAE face à la promotion du livre par Carla del Ponte. Que de doctes leçons, ce matin, sur les ondes et dans les journaux, pour saluer l’application ferme de la ligne par Berne ! Que cet index soit pointé, précisément, par un Département en pleine histoire d’amour avec Pristina (où Madame Calmy-Rey, parmi les premières, vient se de rendre, et de rencontrer Hashim Thaci), ne semble pas exagérément exciter les esprits. Point n’est besoin, pourtant, d’avoir lu Machiavel ni le saisissant « Bréviaire des politiciens » de Mazarin, pour savoir qu’il existe, en politique, des vérités bonnes à taire. Cela porte un nom : cela s’appelle la raison d’Etat.


  • Les larmes amères de Pierre Aubert



    Édito Lausanne FM – Lundi 07.04.08 – 07.50h



    Il est assez pathétique de lire, dans le Temps de ce matin, les jérémiades et les lamentations de l’ancien conseiller fédéral Pierre Aubert sur le sort réservé par l’UDC à la pauvre Eveline Widmer-Schlumpf. Pathétique, aussi, d’entendre sonner des sirènes féministes dans une affaire qui n’a strictement rien à voir avec la cause des femmes ; la récupération en est même ridicule. Pathétique, de voir la quasi-unanimité des commentateurs de Suisse romande tirer à boulets rouges sur la méchante UDC. Et, par la même occasion, ne donner qu’en bref, ce matin, comme en passant, les victoires de ce parti dans les cantons d’Uri, Thurgovie et Glaris.

    Ces victoires, au lendemain de celle de Saint-Gall, sont évidemment une réponse du peuple au tour de passe-passe parlementaire du 12 décembre dernier. Les 29% du 21 octobre 2007 étaient bien la victoire de l’UDC blocherienne, et non celle de Madame Widmer-Schlumpf, ni celle de Samuel Schmid. Le Parlement, certes, peut élire qui il veut, mais le peuple, dans les différents scrutins cantonaux de la législature, et surtout en octobre 2011, a toute latitude, comme dans le chœur d’une tragédie, pour lui répondre.

    Non, les larmes de Pierre Aubert n’y pourront rien changer. La Suisse est bien le seul pays au monde, lorsqu’un chef politique arrive en tête des élections, à le renvoyer à la maison ! Et installer, à sa place, une personne certes de qualité (les mérites politiques de Madame Widmer-Schlumpf, dans son canton, ne sont pas en cause), mais totalement étrangère à l’incroyable dynamique de victoire du parti, depuis vingt ans.  C’est cela qui ne va pas, c’est cette manipulation du 12 décembre, a fortiori cette alliance totalement contre-nature entre la démocratie chrétienne (Christophe Darbellay), l’aile dure des Verts (Ueli Leuenberger), l’aile combattante des socialistes (Christian Levrat). Cette alliance, d’un soir, ou d’une nuit, quelle cohérence a-t-elle, que signifie-t-elle, en quoi est-elle porteuse de prémices sur la législature ?

    Elle n’était que le concordat d’un moment, pointue comme l’extrémité d’une vague, aiguë comme l’opportunisme. D’ailleurs, les premiers signaux de Christophe Darbellay, dans la législature, ont plutôt été, à droite toute, d’occuper le terrain laissé vacant par Christoph Blocher, que de parachever le non-lieu d’une alliance avec les socialistes et les Verts. Tuer, pour mieux remplacer. Vieux comme la politique, comme Brutus, classique, limpide.

    A tort ou à raison, l’UDC soupçonne Eveline Widmer-Schlumpf d’avoir eu intelligence avec l’ennemi, les socialistes, dans l’affaire du 12 décembre. Les leçons que ce parti entend en tirer n’appartiennent qu’à lui. Et ne doivent lui être dictées ni par les partis concurrents, ni, surtout, par le Conseil fédéral, que la vie interne des partis ne regarde tout simplement pas. Je parle ici d’une éventuelle exclusion de l’UDC. Pas du Conseil fédéral : élue par le Parlement, la Grisonne y est légitime. En tout cas jusqu’en décembre 2011. Là, ça pourrait bien être une tout autre affaire.

  • Mai 68, non merci ! (5/5)



    Édito Lausanne FM – Vendredi 04.04.08 – 07.50h



    Ils ont vécu un grand rêve qui n’était que pour eux, leur sexe, leur épanouissement, leur jouissance, mais n’ont rien su transmettre. Année après année, de bourgeons en floraisons, à l’approche de mai, de nostalgie en espérance, ils venaient guetter le recommencement. Mais rien, jamais, ne venait. La vie ne les avait pas compris, l’ingratitude du siècle non plus, encore moins la génération suivante, dont ça n’était, simplement, pas l’histoire.

    Ils n’ont rien su transmettre, parce qu’ils n’avaient rien voulu recevoir. Le monde commençant avec eux, ils en étaient la sainte aurore, que rien n’aurait su précéder. D’où leur abolition de l’Histoire, leur amnésie volontaire : surtout ne rien hériter, ne rien devoir à la génération de leurs parents. Quand on réinvente l’univers, pourquoi s’embarrasser du fatras et du fracas de l’Histoire des hommes ? Leur rêve, au fond, n’était pas tant celui du grand soir que du premier matin, il était de Genèse plus que d’Apocalypse. De la nuit du passé, table rase.

    Rien su transmettre. Ils ne faisaient que revivre, entre eux, comme dans l’ombre des confréries, le frisson de leur printemps magique. Ils ont lutté de toutes leurs forces, dans les écoles, contre la transmission de connaissances élémentaires, celles, simplement, qui peuvent donner aux élèves quelques outils, quelques repères, sur la Terre ou dans le fil du temps. Ils disaient, par exemple, en Histoire, que la chronologie n’était qu’une fiction comme une autre. Peut-être. Mais, pour s’en délester, ne faut-il pas d’abord s’en être imprégné, comme le solfège, la grammaire ? Imaginer que ces ascèses-là pussent aussi être, pour d’autres, sources de jouissance, imaginer que la jouissance pût aussi être d’une autre nature que juste sexuelle, les dépassait. Et les dépasse encore.

    Car les soixante-huitards ne sont pas morts. Ils sont même, en nombre, au pouvoir. Il en est par exemple, en Suisse romande, à la tête de bien des écoles, systèmes ou administrations scolaires. Ils y traînent encore la majestueuse solitude de leurs rêves d’antan, gouvernent sans ménagement, se montrent sourds à toutes voix discordantes, et jusqu’à les étouffer. Aveugles à toute autre conception du savoir que la leur, qu’ils qualifient immédiatement de réactionnaire.

    Ils trônent, du sommet de la plus haute tour, entre eux, comme des frères, des gardiens. Juste entre eux. Juste quelques-uns. À jouir (ah, jouir, toute leur vie !) de ce qu’ils condamnaient avec tant de haine : le pouvoir.

    Juste quelques-uns. De moins en moins. Encore un peu de patience. Les générations, comme les illusions, finissent toujours par passer.