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  • Mai 68, non merci ! (1/5)




    Édito Lausanne FM – Lundi 31.03.08 – 07.50h



    Tous les dix ans, dès les premiers jours du printemps, ça recommence. Ça doit être comme les hannetons, ou les hirondelles, ou de noirs migrateurs, aux ailes déployées. Tous les dix ans, les années en « 8 », on nous reparle de Mai 68.

    Je les aimais pourtant, les années en « 8 » : 1848, l’idée républicaine qui triomphe en Europe ; 1958 : le retour aux affaires, en France, d’un homme d’exception. Mais 68, je l’ai souvent dit et écrit, j’ai toujours eu un problème. Déjà sur le moment : j’avais dix ans.

    Dix ans, c’était trop jeune pour être dans le mouvement : tout mon rejet, dès lors, proviendrait-il de la jalousie de n’avoir pas vécu cet élan libertaire qui emporta mes aînés ? Admettons. Mais c’est un peu court.

    Il y a déjà, c’est physique, le rejet des mouvements de foule. Jamais, de ma vie, je n’ai participé à une manifestation, même quand j’étais pleinement d’accord avec la cause défendue, comme le non à la guerre en Irak, en 2003. Je n’aime pas la rue, c’est ainsi. La démocratie, ça n’est pas la foule qui hurle, c’est un peuple qui vote, dans les règles, à l’issue d’une campagne où tout le monde a pu s’exprimer. Démos contre plèthos, j’avais déjà exposé cette nuance dans une chronique antérieure.

    Et puis, cette jeunesse de 68, contre qui luttait-elle, politiquement, qui voulait-elle clairement déboulonner ? Un dictateur, un Hitler, un Ceausescu ? Non. Elle s’en est prise à un homme qui avait, un quart de siècle plus tôt, sauvé son pays, lui avait rendu l’honneur, donné le droit de vote aux femmes, puis, plus tard, d’extraordinaires institutions à son pays (après un demi-siècle, elles sont encore là). Un homme, aussi, qui avait donné l’indépendance à l’Algérie, et à d’innombrables pays d’Afrique noire. Un homme qui était, en cette fin des années soixante, mondialement admiré et reconnu. Partout dans le monde, sauf dans une frange libertaire de la jeunesse estudiantine française.

    Avoir décrit, dans leurs huées de rues comme dans des discours plus élaborés, cet homme-là comme un dictateur, fait partie des choses que je ne pardonnerai jamais à mes aînés de 68. Mais il y en a beaucoup d’autres. Notamment en matière de rapport à la culture et à la transmission. J’y reviendrai dans mes chroniques de cette semaine.

  • Pardonnez-moi, Yvonne



    Édito Lausanne FM – Vendredi 28.03.08 – 07.50h



    Il patinait, mélancoliquement, tout en bas des sondages. Il aura suffi d’une visite au cœur de la perfide Albion pour qu’il remonte en flèche. Il aura juste joué l’homme d’Etat, incarné son rôle, tout ce qu’il peinait tant à faire depuis un an. Tout ce qu’exactement, on lui demande. Et le voilà reparti. Il faut dire que lui aussi avait sa reine, sa princesse, son trésor, sa duchesse. Et qu’elle est pour beaucoup dans le retour de son succès.

    Une visite d’Etat en Grande-Bretagne, c’est du visuel pur. De l’image, encore et toujours. Savoir paraître, se tenir, rester immobile, penser constamment qu’on est là, sous les objectifs, non (quelle vulgarité !) pour délivrer un message politique, mais pour entrer dans un rituel. Immuable, toujours recommencé. Il faut figurer, incarner. Le moindre faux-pas, et c’est Azincourt, Waterloo, Mers el Kebir qui, toutes sirènes hurlantes, resurgissent.

    Il y a eu cette mini révérence, juste comme il fallait, de Carla devant la reine. Les Anglais aiment cela, guettaient cela, n’attendaient que cela. Et elle a fait juste, tellement juste, tellement bien élevée que même les flammes du bûcher de Jeanne, même Nelson, Wellington, en cette infime fraction de génuflexion, dans les consciences se sont évanouies.
     
    Un Président qui se tient bien, en compagnie de l’une des plus belles femmes du monde. Que voulez-vous de plus ? Le Président de la République française qui s’en va rencontrer son homologue, la Reine d’Angleterre. Cette même reine qui, déjà, avait reçu Charles de Gaulle, il y a si longtemps. Mais le président Sarkozy, pardonnez-moi Yvonne, tellement mieux accompagné !

    Bien sûr, un jour, il rechutera. Bien sûr, tout cela, comme dans une aurore de demi-brume, n’aura peut-être été qu’un rêve. Mais les Français, un moment, auront revu leur président présidentiel. Et ça leur aura fait tellement de bien.

  • Le vrai creuset, c’est la connaissance



    Édito Lausanne FM – Mercredi 26.03.08 – 07.50h



    « Intégrer sans exclure » : c’est, mot pour mot, pour toute une famille de pensée (dont bien des membres, aujourd’hui, dans nos différents cantons, exercent sans grand partage le pouvoir), la finalité de l’Ecole. Ce slogan, aux apparences paisibles et sympathiques, on le retrouve, brandi comme un faisceau de lumière, dans la querelle autour d’HarmoS, le projet d’harmonisation scolaire en Suisse.

    Intégrer sans exclure, ce furent, par exemple, à Genève, les années Chavanne. La vision, pendant un quart de siècle (1961-1985), d’un grand conseiller d’Etat, constructeur d’écoles, qui a su relever les défis du baby boom, l’arrivée massive de flux migratoires. L’intégration, tâche politique majeure de l’enseignement public (dans la France de Jules Ferry, on aurait dit « le creuset ») fut, sous cette ère, un objectif atteint, et cette percée sociale doit être saluée. Reste à savoir si cet accomplissement du « vivre ensemble » s’est accompagné d’une réussite de la culture et de la pensée. La réponse est non.

    L’intégration, c’est bien, c’est même une condition républicaine majeure. Mais la qualité de l’enseignement? N’en est-elle pas une autre ? La qualité, par exemple, de la lecture et de l’écriture, au primaire ? La précision, la hauteur de regard sur la structure de la phrase, cet exercice de liberté qui s’appelle (s’appelle-t-elle encore ?) l’analyse grammaticale ou logique ? Et qui permet, une fois qu’on la maîtrise dans une langue, de passer si facilement à une autre. Et puis, l’accès à quelques grands textes, n’est-ce pas cela qui, vraiment, peut fédérer une classe ? Lit-on encore Rimbaud ? Lit-on encore Hölderlin ?

    Il y a, aussi, tout ce qui touche à l’environnement politique et social. L’assurance qu’un élève de quinze ans, à la sortie de la scolarité obligatoire, aura les connaissances historiques, géographiques, civiques minimales pour se créer des repères dans la vie citoyenne. Cela, aujourd’hui, malheureusement, fait largement défaut. On peut sortir du cycle obligatoire, donc être lâché dans la nature, sans savoir, par exemple, ce qu’a été la Révolution française, fondement de nos libertés et de nos institutions. Ou la Réforme. Ou la naissance de l’Islam. C’est cette déficience, structurelle, comme inéluctable, qui devient de plus en plus inquiétante. C’est elle qui est génératrice de la pire, la plus criante des inégalités : celle des repères et du savoir. Il ne s’agit pas de briller dans des cocktails. Mais d’exister comme citoyen, comme citoyenne, ce qui est autrement plus fondamental.

    Intégrer, oui. Qui, hormis quelques ultra-libéraux ou ultra-libertaires (jonction des extrêmes oblige), viendrait prôner l’Ecole de la désintégration ? Mais que signifie vraiment, hormis son côté Jésus et « peace and love », ce « sans exclure » ? Sans exclure de quoi ? La tâche majeure « d’inclusion » de l’Ecole, avant même que d’être sociale (elle doit certes l’être), n’est-elle pas épistémique ? Le meilleur ciment fédérateur, n’est-ce pas l’exigence ? Le meilleur respect qu’on puisse avoir pour un disciple, n’est-ce pas de « l’élever » ? Le rehausser. Le tirer quelque part.

    Et si le vrai creuser, c’était de remettre, au centre absolu des objectifs, la connaissance ? Réinstiller dans les classes cette notion tellement fondamentale : l’idée d’acquérir, puis de partager une culture commune. Ou même la culture tout court. Oui, Messieurs les soixante-huitards : la Culture.