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Liberté - Page 973

  • Au coeur du monde, la solitude

     

    Samedi 29.11.14 - 17.17h

     

    L’homme seul me fascine, entendez l’humain dans sa dimension de solitude. Cette dernière, ne pas la confondre avec isolement : elle doit pour moi relever d’un choix, ou tout au moins d’une inclination profonde de l’âme. Être seul, ça n’est en rien rejeter l’autre, bien au contraire. C’est poser, pour un moment, la verticalité de son existence sur la terre. Au rendez-vous, il y a aura, au sens de la physique, la pesanteur, que serions-nous sans elle ? Mais il y aura une fierté d’être. Une clarté. L’homme qui prie est seul. L’homme qui meurt est seul.

     

    L’homme seul est justement dans la totalité du monde, là où le grégaire n’en vit que le fragment. L’opposition n’est pas entre solitude et universel, mais entre l’universelle solitude et le compagnonnage corporatiste. J’affirme ici aimer les gens, mais à l’absolue condition de les rencontrer isolément, laissant au temps la mission de ciseler chaque contour, chaque destin humain. Ce que je rejette absolument, ça n’est pas le monde, mais le mondain. Perte de temps, de substance, fausses chaleurs. « Et vous, comment allez-vous, laissez-moi votre carte, déjeunons un de ces jours » : cela, je ne l’ai jamais pu, ne le pourrai jamais. Mais rencontrer dans les yeux, dans l’authenticité d’une souffrance, la sincérité d’une nostalgie, un humain, là je dis oui.

     

    Je me demande souvent si la solitude n’est pas l’ombilic du monde, la note blanche, ou ronde, qui en musique marque la pause. Plus l’univers, autour de soi, est dense, urbain, jaillissant de mille clameurs, plus la nécessité du vide et du silence s’impose. Affirmer sa solitude, ça n’est en rien renier ce monde. Juste s’en extraire – un temps – pour mieux le vivre, mieux vibrer, mieux en percevoir la brûlante présence. En cela, la contemplation de l’apparente immobilité botanique, au-delà du sublime, m’apparaît comme la naissance de l’éloquence, justement dans le cœur retrouvé du silence.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Nos préférences à nous

     

    Sur le vif - Jeudi 27.11.14 - 12.42h

     

    Depuis des années, et déjà bien avant l’apparition de ces deux mots dans le langage politique genevois, je défends l’idée de préférence cantonale. Aujourd’hui, cela semble aisé. Mais croyez-moi : il a fallu traverser bien des solitudes, encaisser bien des attaques, avant de parvenir à cette acceptation du concept. Encore cette dernière n’a-t-elle rien de définitif : en politique, tout peut se retourner, les périodes de protectionnisme et celles de libre-échange alternent, c’est la vie des peuples, la vie des nations.

     

    Oui, je suis favorable à la préférence, bien avant qu’on en parle en tant que telle, et qu’un certain mouvement n’en fasse son cheval de bataille. A partir de là, deux possibilités. Soit vous cessez de me lire, vous me traitez de réactionnaire, de frileux, de régressif, de populiste. Nous en resterons là, et nous demeurerons bons amis, car je ne juge jamais un humain à la seule aune de ses idées. C’est même là, dans mon appréciation globale d’un être, l’un des derniers paramètres qui entrent en considération. Ce qui m’amène à des affinités aussi nombreuses à gauche qu’à droite, chez les hommes et les femmes, les catholiques, les juifs, les protestants, les musulmans, les agnostiques, les athées. Et même les ramoneurs.

     

    La deuxième possibilité, c’est de m’écouter défendre la préférence cantonale sans aussitôt entrer en catalepsie. A cette catégorie de gens, je commencerai par dire que toute communauté humaine, organisée à l’intérieur de frontières, a ontologiquement pour mission de défendre en priorités les siens. Les citoyens ou les résidents, à voir. Mais en tout cas, ceux qui participent organiquement à la communauté. Dire cela n’a rien de xénophobe, et ceux qui nous brandissent ce mot, nous mentent. La xénophobie, étymologiquement peur de l’étranger, nous amène à rejeter ce dernier, lui coller des étiquettes négatives, l’humilier dans l’essence même de son altérité. Dans le concept de préférence, rien de cela. En aucun cas on n’acceptera la stigmatisation de l’autre. Simplement, on s’efforcera de privilégier économiquement ceux qui sont déjà là. Ceux qui, antérieurement, ont participé à l’effort. Ceux qui, venant d’ailleurs, ont déployé des signes et des preuves de leur attachement aux coutumes et aux traditions locales. Ce trajet d’initiation, loin de se limiter aux seuls Etats, ou cantons, est propre à toute société humaine organisée.

     

    Vous me direz : pourquoi défendre seulement la préférence cantonale, confinant cette chronique aux seuls horizons genevois, et ne pas oser (malgré sa connotation en France) le terme de préférence nationale ? Je vous répondrai que vous avez parfaitement raison. Au niveau d’une Genève très exposée – trop – à la concurrence transfrontalière, je défends la préférence cantonale. Et en effet, au niveau national, je soutiens la préférence pour les résidents suisses. Mes positions, depuis des années, ont toujours été parfaitement claires à cet égard, par exemple le 9 février, par exemple Ecopop. Il m’apparaît urgent que notre pays reprenne le contrôle de son immigration. Non pour y renoncer, il n’a jamais été question de cela, et ceux qui l’affirment, nous mentent. Mais pour la RE-GU-LER.

     

    Aujourd’hui, cela n’est absolument pas le cas, la libre circulation jouera des tours terribles à notre pays le jour où la croissance se tassera. C’est aujourd’hui qu’il faut anticiper, par un meilleur contrôle des flux migratoires. Dire cela n’a rien de xénophobe, n’affecte en rien l’amitié que nous portons à nos voisins, nos amis, à tous les peuples de la terre. Simplement, la Suisse, faisant le jeu d'un patronat trop gourmand, a trop ouvert les vannes. Le canton de Genève s’est trop laisser emporter, pour le profit d’une minorité, dans l’euphorie transfrontalière. Dans ces deux domaines, à ces deux échelles, l’heure du protectionnisme a sonné. Non pour l’éternité. Mais pour un certain temps. Dans cette phase, nous entrons. J'aspire absolument à ce que cela se fasse sans la moindre haine de l'autre, sans la moindre dévalorisation, en total respect de chaque individu. Mais néanmoins fermement. Il n'y a rien d'incompatible.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Revoici la littérature allemande !

    hyperion1796.jpg 

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 26.11.14

     

    En programmant coup sur coup Heiner Müller (Vie de Grundling, mise en scène Jean Jourdheuil, jouée au Théâtre du Loup) et Hölderlin (Hypérion, mise en scène Marie-José Malis, du 2 au 6 décembre), la Comédie de Genève nous offre deux textes absolument superbes de la littérature allemande. Le premier, de 1976. Le second, de 1797, l’âge d’or de l’Allemagne artistique, en permanente révolution poétique, et d’ailleurs musicale.

     

    Il faut saluer cette double programmation. J’ai vu avec bonheur la pièce de Jourdheuil, et redoute un peu, malgré ma passion pour le poète (directement transmise, il y a longtemps, par le saisissant germaniste Bernhard Böschenstein) Hypérion, programmé sur une durée de 3h45 ! Il faudrait un jour, je pense, et n’écris pas seulement cela en fonction d’une fatigue passagère, que les gens de théâtre, tout en maintenant leur exigence artistique, pensent au public. Il y a certaines durées de spectacle qui sont vraiment très difficiles.

     

    Mais l’essentiel n’est pas là. Heiner Müller, c’était (et c’est encore, jusqu’au 30 novembre) une rare réussite visuelle, une succession de tableaux capables à la fois de ravir les sens, et laisser courir la rêverie. Hypérion, ce sera dès le mardi 2 décembre la tentative de mettre sur une scène l’un des textes majeurs de la littérature allemande. Par une femme qui s’est déjà frottée à Pasolini, Kleist ou Pirandello. Dans tous les cas, félicitations à la Comédie d’oser l’exigence. Oser le génie.

     

    Pascal Décaillet