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Liberté - Page 901

  • Le pouvoir à Genève : oligarchique et familial

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    Sur le vif - Samedi 21.11.15 - 18.47h

     

    Il faudra bien, quand même, écrire un jour un livre sur la nature et la structure du pouvoir à Genève. Je vous le dis tout de suite : c’est complexe. Je doute qu’il existe, dans notre ville, dans notre canton, une personne qui exercerait, seule, un pouvoir phénoménal. Il y eut certes James Fazy, mais c’était il y a longtemps. Il y eut aussi, dans mes premières années au Journal de Genève, il y a trente ans, Christian Grobet. Fils d’ingénieur, je dois être l’un des rares, dans ma profession, à savoir lire un plan de chantier. Et j’aimais, en ces vertes années, monter chez ce grand homme, au septième étage de la rue David-Dufour : nous n’étions que quatre ou cinq, il déployait ses plans, tel un général à la veille de la bataille, il était à la fois Dieu tout puissant et simple contremaître. Précis, lucide. Incroyablement concret. Oui, j’aimais. Il y eut sans doute, aussi, Guy-Olivier Segond. Et quelques autres. Pas beaucoup.

     

    J’ignore si les choses sont différentes ailleurs (mon seul point de comparaison, vraiment professionnel, est la Berne fédérale), mais il me semble que le secret du pouvoir à Genève, c’est d’être partagé avec beaucoup de dilution, de subtilité, comme si des voiles d’opacité devaient atténuer notre perception du réel. C’est l’article de ma consœur Sophie Davaris, dans la Tribune de Genève de ce matin, qui m’a ramené à ce sujet, toujours rampant dans mes préoccupations. Il y est question des HUG, qui auraient mandaté, pour des travaux externes, des gens un peu trop proches de leurs dirigeants, voire l’entreprise de certains de leurs dirigeants stratégiques, elle-même. Légalement, cela pose la question de l’attribution des marchés publics, régie par une loi. Pour ma part, je laisserai cet aspect aux juristes, et reviens à mes perpétuels étonnements face à la structure du pouvoir à Genève : plurielle, décentralisée, associative. Et assurément oligarchique, car on y retrouve, un peu partout, les mêmes personnes.

     

    Car le pouvoir genevois, ça n’est pas seulement le Conseil d’Etat. Ni le Grand Conseil. Ni les Mairies, les Conseils municipaux. Ni l’administration, avec ses hautes-fonctionnaires. Ni les pontes des banques, des assurances, du négoce du grain, des multinationales. C’est tout cela un peu, certes. Mais ce sont aussi quelques dizaines (pas plus) de Conseils de fondation, ou d’administration de grandes régies (HUG, TPG, SIG, etc.), qui assurent le pilotage d’importants navires, dotés de beaucoup d’argent, financés par les contribuables, ou usagers, que nous sommes.

     

    Or, dans ces Conseils d’administration, ou de fondation, qui retrouve-t-on ? Réponse : toujours les mêmes ! Genève n’a pas son pareil pour distribuer les fauteuils à une petite clique tournante de personnes, qui trottinent, clopin-clopant, d’un Conseil à l’autre, d’une présidence à l’autre. On peut être président de l’un et vice-président de l’autre. On se connaît. On se tutoie. On mange ensemble. On neutralise ses antagonismes politiques par des excursions communes. On s’adoube. On se reconnaît. On s’observe. On se ménage. Tout cela est très associatif, très partagé, un rien bonhomme dans le paraître. Mais ne nous y trompons pas : si peu de gens, individuellement (un ou deux, quand même), exercent un vrai pouvoir, l’ensemble de la structure, dans sa subtilité plurielle, son partage associatif, ses réseaux d’intérêts, constitue bel et bien un redoutable pouvoir.

     

    C’est cela, la vraie leçon de l’affaire des HUG. Ou d’autres régies, bien sûr. Ne parlons pas des Conseils de fondation des grandes institutions culturelles, où gravitent aussi toujours les mêmes, ici un généreux mécène, avec eux les représentants des partis, sans oublier les anciens. Ah, les anciens : Genève est sans comparaison dans l’art de dorer d’ultimes lumières le blason de ceux qui, ayant servi, peinent à se résoudre à disparaître. Alors, on les recycle. On les achète, un peu. On les garde avec soi. En compensation, ils s’interdiront de critiquer le pouvoir en place. Et feront bénéficier des mille feux de leur expérience ceux qui leur versent leurs jetons de présence.

     

    C’est un peu cela, le pouvoir à Genève. Je laisse à chacun de vous le soin, si ça vous amuse, de coller, ici ou là, comme dans un puzzle, quelques noms sur quelques cases. Très vite, vous verrez qu’il n’y a, pour les postes-clefs, pas tant de noms. Toujours les mêmes. Ils ne sont pas élus par les citoyens que nous sommes. Mais adoubés, entre eux. Comme des Conseils de Sages. Ou de médiévales Bourgeoisies, survivant aux institutions républicaines. Rassurez-vous, rien d’illégal. Juste quelque chose d’infiniment familial. Qui respire le Sud. Mais hélas, pas toujours en été.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Ticket UDC : zigzag Zoug !

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    Sur le vif - Vendredi 20.11.15 . 20.25h

     

    Un Alémanique, Un Romand, un représentant de la Suisse italienne : qui dit mieux ? Le Zougois Thomas Aeschi, le Vaudois Guy Parmelin, le Tessinois Norman Gobbi. Après les candidatures des années de soufre et de rupture (Blocher en 1999, Blocher en 2003, Blocher en 2007), voici que l’UDC, parti qui vient de triompher au Conseil national (18 octobre 2015), nous invente la perfection d’une triple candidature isocèle. Du raisonnable pur sucre ! On dirait un ticket radical des toutes grandes années, celles où il fallait soupeser le catholique et le protestant, le Vaudois à nuque raide, le Zurichois Bahnhofstrasse, l’urbain et le vilain, le montagnard et l’homme du Plateau, le visionnaire et le raisonnable : Vernunft, pardi !

     

    Il y aurait à dire sur le choix romand. Assurément, le groupe UDC, aujourd’hui à Berne, peu amateur de farces, s’est pourtant rabattu sur Maître Patelin. L’autre était-il jugé trop fou ? Il est vrai que sous la Coupole, la folie ne se déguste que parcimonieusement. De toute manière, comme je l’ai déjà écrit, le Romand aura fort peu de chances : il y en a déjà deux au Conseil fédéral, MM Burkhalter et Berset, on voit mal en quel honneur il en faudrait en troisième. Pas facile, non plus (mais on peut toujours se tromper), de donner beaucoup de chances au Tessinois Norman Gobbi : malgré ses qualités, il est tout de même perçu comme l’homme de la Lega, passé miraculeusement à l’UDC comme Henri, roi de Navarre, avait un jour troqué sa religion, au prix d’une messe, pour entrer triomphalement dans Paris, et, le temps, d’un règne exceptionnel, refaire la France.

     

    Alors ? Alors Thomas Aeschi ! Ce soir, le Zougois, qui serait le premier du genre après Philipp Etter (1934-1959) et Hans Hürlimann (1974-1982), apparaît comme le favori. Sera-t-il élu ? Impossible à dire ! Pour avoir couvert en direct, pendant deux décennies, les élections au Conseil fédéral, je puis affirmer que, jusqu’au dernier moment (disons jusqu’à 4 heures du matin, le Jour J), tout demeure possible. Y compris l’élection d’un candidat non-officiel. C’est parfaitement possible. Ce fut le cas, en 1959, du grand Hanspeter Tschudi (1959-1973), contre Walther Bringolf, jugé trop à gauche. Ce fut le cas, en 1973, de Georges-André Chevallaz contre le Genevois Henri Schmitt. Ce scénario existe parfaitement dans la liturgie de l’Assemblée fédérale.

     

    Le verdict, ce sera le 9 décembre. Jusqu’au dernier moment, tout sera possible. Ainsi va la vie fédérale. Mais enfin, pour le moment, en cette soirée du vendredi 20 novembre 2015, nous retiendrons en priorité la perfection isocèle du triangle proposé. Presque trop sage ! Elle symbolise le retour au calme après les candidatures de combat. Ce soir, l’UDC devient un parti comme un autre. Suisse, triangulaire, responsable. Non, je n’ai pas dit « ennuyeux ». Allez, disons juste « patelin ». Pour la route.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Emissions religieuses : le flambeau est à prendre

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    Sur le vif - Jeudi 19.11.15 - 16.28h

     

    Il ne s’agit pas ici de défendre un pré carré. De plaider pour les catholiques. Ou pour les protestants. Ou pour les juifs. Ou pour qui vous voudrez. Il s’agit de savoir si le géant de l’audiovisuel suisse, financé par la redevance, disposant d’un budget qui demeure incroyablement confortable, avec un nombre exorbitant de chaînes radio et TV dans toute la Suisse, entend encore assumer cette fameuse mission de service public, par lui-même rabâchée comme blason.

     

    Les émissions dites « religieuses » à la RTS ont considérablement évolué ces dernières décennies. Quand j’étais enfant – nous les écoutions assidument – elles étaient vraiment la voix des différentes paroisses, principalement catholiques ou protestantes. Chacun y plaidait pro domo, c’était d’ailleurs présenté comme tel, on les écoutait comme on va à la messe, ou au culte. Et puis d’autres, bien sûr, ne les écoutaient pas : chacun fait ce qu’il veut du bouton de son transistor ou de son poste TV.

     

    Mais depuis, quel changement ! Pendant toutes mes années à la RSR, j’ai vu ces émissions évoluer. Ce qu’elles ont perdu en vocation missionnaire, en parfum d’encens, elles l’ont infiniment compensé en curiosité, en ouverture, en pluralité, en rigueur d’information. Bref, de « porte-parole » des différentes communautés religieuses, elles sont progressivement devenues de remarquables émissions d’information, ouvertes, pointues, renseignées, sur les différents courants spirituels, philosophiques, de la planète. Ainsi, par exemple « Hautes Fréquences », le dimanche soir, en radio. En clair, en quelques décennies, ces émissions sont passées du stade du catéchisme à celui de l’information sur le « fait religieux », dont on parle tant pour les écoles. Qui s’en plaindra ?

     

    Pressée par des besoins financiers, la RTS s’apprête à les supprimer. Elle a tort. Sur le fond, comme sur le signal. La mission de la SSR est de refléter la Suisse dans toute sa pluralité, ses composantes, sa savoureuse et magnifique complexité. Les différentes facettes de l’engagement spirituel en font partie. Au même titre que la vie politique, sociale, culturelle, économique, sportive, etc. Vous connaissez ma passion pour l’Histoire suisse, à laquelle j’ai consacré, à la RSR justement, tant de séries : je souhaite bonne chance à toute personne entendant empoigner l’Histoire de notre pays en prétendant faire l’impasse sur la Réforme, les Guerres de Religion, les grands conflits confessionnels du dix-neuvième, l’invention du radicalisme et du Freisinn, celle (en réaction) de la démocratie chrétienne, le Sonderbund, le Kulturkampf, etc. etc. etc. Et je ne parle ici que de questions internes au christianisme. Nous avons, dans notre pays, d’importantes communautés juives, musulmanes, et autres : elles constituent une part inaltérable de notre construction commune.

     

    Et puis, nous avons des athées, des agnostiques. Nous avons des philosophes, des historiens des religions (dont une école remarquable, depuis des décennies, à Genève, celle des Rudhardt et des Borgeaud), qui constituent un pôle d’excellence dans la réflexion sur ces questions. Nous avons, à Genève, Lausanne et Neuchâtel, la grande tradition des penseurs issus de la Réforme. Nous avons, à Fribourg, une école dominicaine de pointe, nous avons les Revue Choisir, Nova & Vetera (fondée par le futur Cardinal Journet). Nous avons des pôles d’étude sur l’islam, le judaïsme, les religions antiques. Sur tout ce superbe faisceau d’énergies, il faudrait soudain faire silence ? Pour ma part, je dis non.

     

    Je dis non comme citoyen. Je dis non comme auditeur, téléspectateur, lecteur. Je dis non, au titre des antennes de nos consciences. Je dis non, au nom de l’ouverture. Ces émissions, la SSR ne veut plus les assumer ? Soit ! Eh bien il appartient dès aujourd’hui au monde du privé de ne pas demeurer inerte. Montrer, comme il le fait si bien des années pour la politique, qu’il est, lui aussi, parfaitement capable de produire, sur ces questions-là, du « service public ». Je dis cela, et entame dès aujourd’hui une réflexion, comme entrepreneur, sur la part que je pourrais apporter dans ce domaine. Parmi d’autres, bien sûr. En partage, en partenariat avec d’autres. Après tout, nous avons sous la main les compétences. Nous avons le réseau. Nous avons, immensément, l’envie. A partir de là, attaquons. Nous ne laisserons pas tomber la réflexion sur les questions spirituelles, au sens large. Nous ne tomberons pas dans le piège de les évacuer pour des raisons économiques. Au contraire, nous allons ouvrir un chantier. Ne pas le faire, ce serait laisser aux orties une part constituante de notre identité suisse. Dans sa pluralité. Dans la mutualité du respect. Dans la petite magie, toujours si fragile, et justement fascinante, de ce pays que nous aimons.

     

     

    Pascal Décaillet