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Liberté - Page 793

  • Genève internationale : oui, mais laquelle ?

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.06.18

     

    Genève est une ville internationale. Elle ne l’est pas par nature, ne l’a pas toujours été, mais elle en est une, c’est le fruit de l’Histoire, notamment depuis le dix-neuvième siècle. En soi, c’est une chance extraordinaire. Je suis né et j’habite encore dans le quartier des Nations, j’adore m’y promener, toujours la même boucle, féérique, depuis des décennies. Il est magique de se dire qu’on arpente la deuxième ville de Suisse, et qu’on voit défiler sous nos yeux des représentants du monde entier, dans toute sa diversité. Souvenirs du Président Wilson, de Clemenceau, Lloyd George, le Négus, Mendès France, Churchill, la résistance algérienne du FLN, on pourrait multiplier à l’infini. J’ai moi-même couvert l’Assemblée générale décentralisée à Genève de l’ONU, qui accueillait en 1988 Yasser Arafat. Oui, la dimension internationale de Genève est magique.

     

    Mais il y a tant à faire pour en changer l’image. Genève accueille des organisations internationales, des Missions permanentes, fort bien. Mais il faut dire une chose : tout ce petit monde, aussi respectable soit-il, est perçu par les Genevois comme une galaxie à part. On les voit, on les croise, on les salue à peine (eux non plus, d’ailleurs), chacun vit dans un univers séparé. Les regards, le plus souvent, s’évitent, sauf heureusement entre voisins d’immeuble, où on prend le temps de se connaître. Eh bien j’affirme ici qu’il est temps de changer l’image de la Genève internationale. Pour cela, il faut, de part et d’autre (les Genevois, les internationaux), cheminer sur les voies de la connaissance. Ne perdons pas notre temps à nous appesantir sur l’aspect technocratique de la mission de beaucoup de ces gens. Valorisons au contraire la richesse de leurs origines, mettons-la en miroir de la nôtre, échangeons, dialoguons.

     

    Cela passe par la culture. Quand on commencera à parler des pays d’Afrique, par exemple, rappelons leur Histoire, la variété de leurs langues et de leurs coutumes, qui vont de l’Empire de Tombouctou aux ultimes confins du Fleuve Niger, ou du Zambèze, ou des Grands Lacs, alors là, oui, pourront surgir des étincelles de reconnaissance mutuelle. Je rends ici hommage à mon confrère Gorgui Ndoye, journaliste sénégalais, mais surtout porteur d’une conscience panafricaine qui mérite d’être relevée, interrogée, discutée. Alors oui, allons-y pour la Genève internationale, et cette présence planétaire dans ce petit coin de terre, entre Lac, Jura et Salève. Mais entamons avec les gens de tous pays un dialogue de la connaissance. Pour beaucoup de pays d’Afrique (je reviens à ce continent), nous avons une langue commune, le français. Ils nous ont légué des auteurs, comme Senghor, qui figurent au Panthéon de nos poètes.

     

    C’est de là, de ce trésor commun, celui des mots, des arts, de la musique, que doit partir la grande entreprise de reconnaissance mutuelle. Parce que, désolé, se contenter de rapporter au jour le jour les décisions technocratiques et souvent ennuyeuses de leurs Organisations internationales, ça n’est pas suffisant pour le chemin de connaissance qui sied, entre frères humains, égaux, sur la planète.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Image : les Manuscrits de Tombouctou.

     

     

  • Cela s'appelle la politique

     

    Sur le vif - Mercredi 27.06.18 - 08.08h

     

    La préférence indigène entre en vigueur en Suisse dans quatre jours. Il y a encore quelques années, elle était une option inimaginable dans notre pays. Nous n'étions que quelques-uns, au niveau cantonal et national, à en défendre l'idée.

     

    Le dogme libéral et libre-échangiste régnait en maître absolu. Il régentait les consciences, formatait les éditorialistes. Il fallait à tout prix que le marché du travail fût ouvert, sans entraves, à tous, pour légitimer le principe sacré de libre circulation des personnes, réputé sanctifiant pour la vitalité de notre économie. Le libre-échangisme était devenu l'opium des élites mondialisées.

     

    Le résultat, on l'a vu : les bénéfices de ce grand casino des personnes et des biens n'ont profité qu'à une minorité, notamment dans le sacro-saint commerce extérieur, sur l'autel duquel on a strangulé notre monnaie. Cette prospérité n'a pas été répartie sur l'ensemble du tissu social de notre pays. Des patrons ont pratiqué la sous-enchère, avec une main d'œuvre étrangère peu regardante sur les salaires. On a trop souvent oublié les demandeurs d'emploi qui résidaient déjà dans notre pays. On a laissé mourir notre agriculture.

     

    Ce libéralisme du profit immédiat est une impasse. On commence enfin à s'en rendre compte ! Il est temps de revenir à l'économie au service de l'humain. Ca passe par des communautés nationales définies, délimitées par des frontières protectrices pour les plus faibles. Avec des lois, démocratiquement votées. Des peuples qu'on écoute. Des souffrances sociales dont on tient compte. Cela porte un très beau nom, lorsqu'il échappe à la combinazione des partis et aux basses manœuvres des ambitions individuelles : cela s'appelle la politique.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le grand bazar cosmopolite

     

    Sur le vif - Dimanche 25.06.18 - 08.24

     

    Le libre-échangisme commercial, tel qu'il prévaut depuis vingt-cinq ans en Europe, n'est en aucun cas une fatalité. Ni, comme on nous l'assène à coups de massue, la voie naturelle vers une prospérité étendue et partagée.

     

    Tout cela, c'est l'appareil lexical de la propagande ultra-libérale, sa liturgie. En vérité, la philosophie du libre-échange est un choix politique très précis. Le génie de ses partisans est de nous l'avoir administré comme un dogme.

     

    Les dogmes ne sont pas morts. Au 19ème siècle, on en proclamait sur l'infaillibilité du Pape, ou sur l'Immaculée Conception. Aujourd'hui, on édicte et propage le dogme de l'infaillibilité du libre-échange. On prend une position économique, et on nous l'impose comme la seule voie possible. Cela, depuis le 9 novembre 1989, la chute du Mur de Berlin.

     

    Le libre-échangisme est un choix, bien précis. Il a un dieu : la Marché. Il a un Veau d'or : la libre concurrence internationale. Il sublime le commerce extérieur, affame l'agriculteur, abolit les réglementations douanières qui, jusque là, protégeaient justement les plus faibles, les plus déshérités.

     

    Le libre-échangisme sanctifie la transaction financière, l'exonère de tout contrôle d'Etat, accentue les inégalités, dissout la mission régulatrice des nations. Il construit un grand bazar cosmopolite, où l'usure est souveraine, la spéculation impunie. Les marchands ont repris le contrôle du Temple.

     

    Le libre-échangisme se rit des peuples, des Etats, des nations. Les repères politiques, ceux de la mémoire et des émotions partagées, ne l'intéressent pas. On spécule sur une marchandise, on en dilue les traces, on la fait circuler au plus offrant, sans entraves.

     

    Et avec la marchandise, on fait circuler les hommes et les femmes. On abat les frontières, on laisse déferler les masses sur des communautés humaines organisées depuis des siècles, avec des règles, des protections sociales conquises de haute lutte, au service des plus faibles. La fragilité de leurs équilibres, on la saccage. On la piétine.

     

    Ces édifices de solidarité sociale, de mutualité, qui faisaient la fierté de nos pays, on les ratiboise. Il faut laisser la place au grand marché cosmopolite, la nouvelle religion. Universelle, apostolique.

     

    Le libre-échangisme ne relève ni du hasard, ni de l'inéluctable. Mais d'un choix politique, parfaitement précis, traçable, identifiable. Il pourra donc être détruit, le jour venu, par la masse supérieure d'un choix contraire. Celui qui, sans abolir l'échange ni l'ouverture, rétablit comme unité de base la notion de communauté nationale. Avec, à l'intérieur de cette dernière, la cohésion sociale, l'attention aux plus faibles, la solidarité. Toutes ces valeurs que le Marché sanctifié tente, avec une inouïe vulgarité, de nous faucher.

     

    Pascal Décaillet