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Liberté - Page 766

  • Martin Luther : souffle et lumière

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    Sur le vif - Vendredi 08.06.18 - 18.48h

     

    Pas un jour sans que je ne pense à l'immensité de l'importance de cette traduction de la Bible en allemand, par Martin Luther, autour de 1522.

     

    C'est l'acte fondateur de la modernité de la langue allemande. Un texte pétri de sens et du génie du verbe. Luther est un penseur, mais il est aussi un écrivain, un inventeur de mots. Pour un peuple entier, pour des millions de germanophones, il jette dans l'espace public un texte d'exception. Qui servira, plus tard, de support à Jean-Sébastien Bach, et plus tard encore à Brahms. Il propulse le texte biblique dans la langue véhiculaire des gens de son époque. Désormais, à partir de ce début du seizième siècle, ils vont au Culte, ils comprennent. Vous vous rendez compte de ce que cela signifie ?

     

    Je réfléchis à la suite de ma Série allemande, entamée l'été 2015, 24 épisodes déjà bouclés et publiés. Mon problème, comme toujours avec ce qui me passionne, est ma très grande difficulté à faire des choix. Alors, je voudrais parler de tout, en même temps, en oubliant la chronologie (oh, rassurez-vous, elle est dans ma tête, au millième de millimètre), en mêlant l'Histoire musicale (qui me dévore de plus en plus) à celle des textes poétiques, sans oublier bien sûr la politique. Et surtout, l'Histoire de la langue allemande elle-même : de Luther à Bertolt Brecht (autre génie total de l'invention verbale), en passant par le Sturm und Drang, et bien sûr les Frères Grimm.

     

    Au milieu de ce fatras, d'apparence désordonnée mais où je sais parfaitement où je vais, la permanence de figures tutélaires, cosmiques, qui m'englobent, donnent du sens à ma vie. Il y a Beethoven. Il y a Richard Wagner. Il y a Bach et Brahms, Haendel, Richard Strauss, Mendelssohn, et des dizaines d'autres musiciens allemands. Il y a tous ces poètes, auxquels je fus jadis initié par un professeur d'exception, Bernhard Boeschenstein. Il y a Brecht, Thomas Mann, et tous les autres.

     

    Tous ceux-là, oui, et tant d'autres. Mais à la source de tout, il y a Martin Luther. Et sa traduction de la Bible. Je ne suis pourtant pas Réformé, comme on sait, mais la lumière de cet homme, sur la langue et l'imaginaire de tout un peuple, me fascine totalement. Depuis l’adolescence.

     

    Lorsque je dis "Je sais où je vais", il me faut être plus précis. Je dirais plutôt qu'au milieu de la nuit, du fracas et désordre, j'ai étrangement confiance, propension qui (c'est un euphémisme) ne m'est pas exactement naturelle. Dans l'univers germanique, depuis toujours, je me sens chez moi. Intimement habité, depuis l'âge de 13 ans, sans doute depuis ma visite de l'Expo Dürer, en 1971, à Nuremberg, pour les 500 ans de la naissance du peintre, à quelques jours de ma première rencontre avec Wagner, par l'idée qu'il existe un fil conducteur du destin allemand. Un fil invisible. Un anneau précieux, à trouver ? Un... Ring. Ce qui, à un œil extérieur, non-initié à la complexité allemande, donne l'apparence d'un chaos, dissimule la cohérence d'une vérité voilée.

     

    C'est pourquoi je suis si attaché à Wagner. Et tout autant, à ce texte si singulier, si énigmatique, si secret parfois aussi, en tout cas si difficile pour moi, qu'on appelle la Bible. En la traduisant dans la langue de tous, Martin Luther a tenté - avec un génie incomparable - de donner du sens à un langage crypté. Une aventure de l'esprit, dans la puissance incarnée du verbe. Avec ou sans majuscule à ces deux mots, esprit et verbe, chacun orthographiera comme il voudra.

     

    Une chose est sûre : dans les enjeux fondamentaux du destin allemand, dans la nuit comme dans la lumière, dans la rédemption comme dans le crime, dans la joie comme dans la douleur, dans l'architecture comme dans le chaos de la destruction totale (1648, 1945), il y a la question théologique. Celle du rapport au verbe. Et c'est pourquoi, justement, cette aventure de traduire la Bible en allemand représente, à mes yeux, l'un des défis humains les plus saisissants. Peut-être Martin Luther est-il, avec Beethoven, l'Allemand par excellence. Celui qui défie l'Ordre cosmique, pour lui donner du sens.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Saint-Pierre : un discours pour rien

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 06.06.18

     

    Le discours triste et sec d’un homme qui pense à autre chose. Le catalogue, impeccable et ennuyeux, de sept intentions gouvernementales juxtaposées, sans beaucoup de lien entre elles. Un homme en chaire, sans le moindre sourire, qui procède à une énumération, entendez la part la plus fastidieuse de la rhétorique, celle où les mots défilent au pas. Je pensais Pierre Maudet meilleur dans l’ordre de l’oralité, capable de surprises, de ruptures de rythme, de pointes d’humour (il l’est, dans la vie), de variations dans les tonalités. Là, nous eûmes une sorte de lecteur contre son gré, juste l’officiant d’une parole qui ne serait pas sienne, mais collective. Comme si le verbe, âme et principe du monde, pouvait surgir d’autres entrailles que de l’individu.

     

    Alors, quoi ? Que s’est-il passé ? L’homme, attaqué politiquement, le jour même, par quatre partis du Grand Conseil sur sa petite virée en jet privé, avait-il l’esprit ailleurs ? C’est fort possible. Mais en rhétorique, peu importent les causes, seul compte l’effet. Celui qui prétend, de la chaire d’une Cathédrale où prêcha Calvin, s’adresser au public, n’a pas droit à l’erreur. Chaque faille l’expose au Jugement dernier. C’est comme l’art du micro, qui amplifie la faiblesse autant que la vertu des voix. Après tout, nul d’entre nous n’est obligé de se mettre en situation de devoir prendre la parole dans ce lieu où, pendant des siècles, l’austérité fut sanctifiée, la démesure prohibée, le péché vilipendé. Nul d’entre nous, jamais, n’est obligé de s’approcher d’un micro.

     

    Je n’analyse pas ici le fond du discours, qui définit fidèlement les ambitions du collège pour cinq ans. Avec une telle égalité des parts laissée à chacun qu’il y manque juste l’essentiel : le souffle d’un style. Ce dernier, n’en déplaise aux pédagogues du collectif, ne peut surgir que de l’univers intérieur d’un individu : on n’écrit jamais rien de bon à quatre mains, encore moins à quatorze. Et celui qui parle, toujours, s’approprie. Le rhétoricien est capteur, pirate, il saisit au vol, ramène à lui : l’oralité est, par essence, le domaine où rien ne se partage, si ce n’est justement la parole libérée du locuteur.

     

    Alors certes, il y eut tout ce qu’il fallait, un peu de Léman Express, un zeste de formation obligatoire jusqu’à 18 ans, quelques miettes sur l’excellence hospitalière : les six collègues ont dû être contents, nul ne fut oublié, sauf que le résultat rhétorique fut un échec. D’autant plus étonnant que Pierre Maudet est, d’ordinaire, plutôt bon à l’oral, mais il faut que ça vienne de lui, de sa révolte, de ses entrailles, comme à la magnifique époque de la rue du Stand, et non de l’ennui mortel d’un exercice imposé.

     

    Cet échec, dans l’ordre du discours, ne préjuge de rien. Pierre Maudet peut devenir un très bon Président. Il pourra, en d’autres circonstances, retrouver sa verve. Il aura son nom dans l’Histoire, dans les dictionnaires, sans doute sa rue. Il aura juste peiné, en ce lieu et en ce moment-là, à réveiller Calvin et les grands prédicateurs. On y survit, assurément. On survit à tout. Ou presque.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Commis-voyageur de la guerre

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    Sur le vif - Mardi 05.06.18 - 15.15h
     
     
    Et pendant ce temps, M. Netanyahou, Premier ministre israélien, poursuit sa tournée des popotes, pour convaincre les dirigeants européens de sortir de l'Accord nucléaire avec l'Iran. Après Mme Merkel à Berlin, c'est aujourd'hui M. Macron à Paris, et demain ce sera Londres.
     
    La tournée du Premier ministre israélien va bien au-delà de l'Accord nucléaire, signé sous Obama, puis dénoncé par Trump. Il s'agit, doucement mais fermement, de préparer les puissants, en Europe, à une guerre des Etats-Unis et d'Israël contre l'Iran.
     
    Une guerre qui se prépare depuis des années au Pentagone (le scénario date de bien avant l'arrivée de Donald Trump). Regardez la carte des puissances stratégiques au Proche-Orient et au Moyen-Orient : l'Iran est littéralement cerné, aujourd'hui, par les bases militaires américaines. Elles ne sont pas là pour rien.
     
    Il existe, aux États-Unis, des forces très puissantes, et très influentes, en faveur d'un conflit armé direct avec l'Iran. Il y a tous ceux qui n'ont pas digéré l'humiliation subie par les Américains à la fin de l'ère Carter, lors de la désastreuse tentative de libération des otages. Il y a les milieux évangéliques, dont on sous-estime ici la capacité de leviers idéologiques. Et puis, il y a les traditionnels soutiens d'Israël. Mis ensemble, cela commence à faire du monde. Et constitue, pour Trump, une clientèle non-négligeable pour sa réélection, en 2020.
     
    Oui, les Etats-Unis et Israël préparent, ensemble, la guerre contre l'Iran. Oui, tous les prétextes leur seront utiles, comparables à la petite fiole, naguère, de Colin Powell. Oui, ils utilisent l'Accord nucléaire, et son prétendu non-respect par Téhéran, comme cause directe pour intervenir.
     
     
    C'est dans cette optique, bien précise, que s'opère la tournée européenne de M. Netanyahou. Il n'est pas venu sur le Vieux Continent comme messager de la paix. Mais comme commis-voyageur de la guerre.
     
     
     
    Pascal Décaillet