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Liberté - Page 669

  • Là où des âmes ouvertes nous attendent

     

    Publié sur mon site FB - Vendredi 18.01.19 - 11.13h

     

    La hargne inimaginable des intellectuels - ou ceux qui se prétendent tels - contre les réseaux sociaux en dit plus long sur eux-mêmes, leur panique face à une dépossession, que sur l'objet de leur discours.

     

    Monde académique (totalement dépassé par la soudaine mise en partage horizontale des connaissances), médiateurs d'hier et d'aujourd'hui, journalistes persuadés que tout cela n'est qu'un cauchemar passager, et que la vie, la vraie, celle d'avant, va pouvoir reprendre avec de bonnes vieilles rotatives à 20 millions, de bons vieux centres d'impression et d'expédition, de bons vieux courriers de lecteurs (qu'on publie dix jours après), de bonnes vieilles quadrichromies, envoyées par morasses, via le pneumatique : bref, le Journal de Genève de mes premières années.

     

    Et moi, né il y a soixante ans, des décennies de métier, une passion plus intacte que jamais, je suis un fervent partisan des réseaux sociaux. Bien sûr, ils ont des défauts ! Mais pour la partie qui m'intéresse, celle de l'accès à l'information et à la connaissance, le service de renseignements, la mise en partage (fraternelle, et de bonne foi) de ce qu'on sait, le choc direct avec des styles, l'irruption (eh oui) de talents insoupçonnés dans l'ordre de l'écriture, la rapidité, l'apparition de comètes, je trouve aux réseaux sociaux bien des qualités.

     

    Je dis cela, d'autant plus que dans ma vie, il m'est arrivé, une ou deux fois, de lire l'un ou l'autre livre. Ou quelques milliers, je ne sais plus. Et j'en lis encore. Et j'en lirai toujours. J'en discutais l'autre soir avec Jean Romain : rien, aucune technique, n'a réussi jusqu'ici à remplacer le côté incroyablement pratique, affectif, physique même, de ce qu'on a appelé, il y a deux mille ans, le codex, le livre relié, à la place du rouleau de papyrus.

     

    Le réseau ne tue pas la télévision, qui n'a pas tué la radio, qui n'a pas tué l'écrit. Les inventions s'ajoutent. Mais nous, nous devons prendre, au-delà des nouveautés techniques, la mesure de la révolution cognitive que représente l'avènement du réseau social. Fin des mandarins, fin de la verticalité de la transmission, disparition progressive des corps intermédiaires et des médiateurs, construction collective d'un savoir pluriel, polymorphe. Avec, comme dans les dizaines de milliers de vidéos amateurs des gilets jaunes, la mise à disposition d'un matériau autrement plus crédible que l'image montée, mise en scène et commentée par les chaînes au service du pouvoir.

     

    Alors, amis des rotatives à 20 millions, haussez les épaules, tant que vous voudrez. La nostalgie est un droit, Dieu sait si je le revendique ! Mais de grâce, laissez le monde aller. Il n'y aura pas de retour au statut antérieur aux réseaux sociaux. Il n'y aura pas de Restauration. Il n'y aura pas de retour à votre ordre.

     

    Quant à nous, gens des réseaux sociaux (si vous me lisez, c'est que vous en êtes, peu ou prou), battons-nous avec la dernière énergie pour les enrichir des meilleurs contenus possibles. Surprenons-nous les uns et autres. Séduisons-nous. Transmettons-nous nos connaissances. Enseignons-nous mutuellement. Bref, vivons. Parce que la vie est précieuse. Celle de l'esprit n'a que faire des vecteurs : elle s'immisce partout, là où des âmes ouvertes nous attendent.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Image et vérité

     

     Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.01.19

     

    Un moment de surréalisme, ce samedi 12 janvier, en pleines manifestations des gilets jaunes : sur le plateau parisien d’une chaîne continue, un ineffable beau parleur nous dit que tout va bien, et que Macron reprend la main. Pendant qu’il parle, en total décalage avec ses propos, l’image qui s’offre aux spectateurs est celle d’un incroyable bordel, avec fumigènes et lances à eau, devant l’Hôtel-de-Ville de Bordeaux, cette ville illustre de Gironde qui eut pour Maire, à la fin du seizième siècle, un certain Montaigne.

     

    Le parisien, en plateau, pérore. Simultanément, l’image bordelaise dit exactement le contraire. De fait, il faut s’interroger sur le rôle de la police, ce samedi 12, dans des villes comme Toulouse ou Bordeaux. Elles ont eu, assurément, la main fort lourde : était-ce toujours justifié ?

     

    Surtout, se pose la question de l’image. Entre les images dûment choisies, mises en scène, montées et commentées par les TV proches du pouvoir, et les dizaines de milliers de vidéos privées circulant sur les réseaux sociaux, il y a lieu de prendre sérieusement en considération cette seconde catégorie. Des bribes de vie, brutes, certes parcellaires (donc à remettre dans leur contexte), mais autrement plus porteuses de vérité que ce que veulent bien nous balancer les stations pro-Macron.

     

    Sauf dans de très rares cas : par exemple lorsque l’image en direct, celle de Bordeaux, vient contredire sans filet les propos hallucinants du petit marquis bavard d’un régime qui s’effondre.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Suisse-Europe : ne lâchons rien, restons libres !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.01.19

     

    D’abord, dire une chose, haut et fort : la Suisse est, dans toutes les profondeurs de ses entrailles, un pays européen. Son destin n’a rien d’insulaire : il s’est construit, au fil des siècles, en fonction des événements extérieurs. Aucune des grandes lames de fond ayant déferlé sur le continent européen n’a épargné la Suisse : ni l’Empire romain, ni la structure féodale, ni les grands ordres chrétiens, ni l’invention de l’imprimerie, ni la traduction de la Bible en allemand par Luther (1522), ni la Réforme, ni la Contre-Réforme, ni les Lumières, ni la Révolution française, ni l’épisode napoléonien, ni la Restauration, ni le romantisme, ni la Révolution industrielle, ni le printemps des peuples de 1848 (début de la Suisse moderne), ni le Kulturkampf, ni l’Encyclique Rerum Novarum de Léon XIII (1891), ni les deux Guerres mondiales. Dans tous ces mouvements tectoniques, la Suisse a été secouée, comme ses voisins. La thèse de l’insularité ne vaut pas un clou.

     

    Oui, la Suisse est un pays européen. Le destin du continent est le sien. Sa position géographique, centrale, configure ainsi les choses. Simplement, nous ne sommes pas membre de la structure appelée « Union européenne ». C’est ainsi : les choses, depuis 1957 (Traité de Rome) se sont faites sans nous. Nous avons, certes, constamment négocié avec Bruxelles, mais nous avons choisi de rester dehors. Hors de la structure, mais pas hors de l’Europe ! Dans la longue dialectique, déjà six décennies, engagée entre la Suisse et l’Europe communautaire, notre atout principal est, simplement, de rappeler ce que nous sommes. Un pays d’Europe, ami de tous, désireux d’entretenir avec ses voisins les meilleures relations, mais férocement attaché à ses institutions, sa démocratie directe, son fédéralisme, son indépendance nationale, sa souveraineté. Il n’y a là aucune animosité, aucune déclaration de guerre : juste dire à Bruxelles : « Nous sommes un pays libre, nous entendons le rester ».

     

    Dans les négociations, le Conseil fédéral doit absolument avoir cette tonalité-là : courtoisie sur la forme, implacable fermeté sur le fond. En aucun cas les négociateurs ne doivent arriver avec le complexe d’infériorité du petit face au géant : la Suisse est un pays libre, une nation souveraine, elle défend avec rage les intérêts supérieurs de ses citoyens, c’est cela le rôle de nos négociateurs, et non chercher à plaire à Bruxelles. Et surtout, ne rien précipiter ! Quelle UE sortira des élections européennes de mai 2019 ? Quelle place, au sein même du conglomérat, vont y reconquérir les différentes nations ? Quelle place pour la nation française, la nation allemande, la nation italienne, la nation hongroise ? Partout en Europe, comme en 1848, gronde la voix des peuples, partout l’exigence démocratique émerge, partout l’aspiration à la démocratie directe fait surface. Face à cette gigantesque incertitude, nous, la petite Suisse, nous aimons nos institutions, nous avons déjà la démocratie directe, nous vivons ensemble dans la paix et le respect mutuel. Aucune raison, donc, de paniquer face à l’Europe ! Affirmons ce que nous sommes, ne lâchons rien, restons libres.

     

    Pascal Décaillet