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Liberté - Page 565

  • Trump, trois ans après : amorce d'un bilan

     

    Sur le vif - Mercredi 20.11.19 - 12.56h

     

    J'avais été l'un des rares, en 2016, à déclarer publiquement que l'élection de Trump me semblait préférable à celle de Mme Clinton. Non que je fusse un fan de l'homme, mais son programme me semblait nettement meilleur, pour son pays et pour le monde, que celui de sa rivale.

    Défendant Trump, je ne roulais pas pour un style, mais pour une philosophie politique : protectionnisme, souci de la cohésion sociale intérieure, contrôle des flux migratoires, volontarisme d'Etat pour relancer l'économie et moderniser les infrastructures. Face à l'extérieur, isolationnisme, retour aux relations bilatérales entre Etats, rejet d'une toile multilatérale qui m'apparaît, depuis toujours, comme totalement vaine.

    Je n'éprouve pour Trump, l'homme Trump, ni sympathie, ni antipathie. On l'avait accusé, pendant la campagne, d'être vulgaire, c'est peut-être vrai, je dis juste que cela m'est indifférent : chez moi, les thèmes priment sur les hommes et les femmes, c'est son programme qui m'intéressait.

    A l'inverse, tout ce que représentait Mme Clinton m'inspirait le rejet. Appartenance à un clan démocrate, proche des faucons et des milieux bellicistes, interventionniste à souhait, toujours prêt à faire rouler la machine guerrière en brandissant au monde le Livre de la Morale. Je n'ai cessé de dire, en 2016, qu'avec Mme Clinton, ce serait la guerre. Avais-je raison ? Impossible de le savoir, puisqu'elle ne fut pas élue : on ne refait pas l'Histoire.

    Mais en parlant de guerre, une chose est sûre : Trump, tout matamore soit-il dans ses postures, ne l'a, aux trois quarts de son (premier ?) mandat, pas faite. Des opérations-marketing, comme envoyer un commando tuer le chef de l'Etat islamique, à l'instar d'Obama / Ben Laden. Des menaces, face à la Corée du Nord. Des prises de position catastrophiques (je n'ai cessé, en trois ans, de les souligner) concernant le Proche-Orient : reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël, aval donné aux colonies installées depuis 1967, isolement de l'Iran, etc.

    Des coups de gueule, des phrases malencontreuses, tout ce qu'on voudra. Mais une vraie guerre frontale, pour l'heure, non. Comparez cela, je vous prie, aux interminables bombardements menés, un peu partout, pendant les huit années de l'ère Obama. Ma crainte, en 2016, était que Mme Clinton, si elle venait à être élue, ne parvînt qu'à empirer, à cause de ses liens avec l'oligarchie militaro-industrielle américaine, ce bellicisme permanent dont les démocrates ont la spécialité.

    Je ne dis évidemment pas que Trump est parfait, et suis le premier à condamner ses déclarations sur la politique étrangère, lorsque je les juge intempestives. Je ne doute pas qu'il soit vulgaire, mal élevé, peu compatible avec les salons dorés de la Côte Est. Mais j'estime, aux trois quarts de son (premier ?) mandat, que bien des aspects de sa politique, notamment en économie intérieure et en protectionnisme, sont dignes d'intérêt, et seront retenus comme tels par l'Histoire.

    J'ignore absolument s'il sera réélu en novembre 2020. Je doute fort qu'il soit destitué. J'invite tout observateur politique à le juger sur les effets de sa politique, en tenant compte de l'économie à l'interne du pays, et non sur son côté Tartarin. Encore moins, comme cela fut fait juste avant son élection par la chroniqueuse d'un journal de révérence, sur la couleur de ses cheveux.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La Suisse, entre fragilité et rage de survie

     

    Commentaire publié dans GHI - 20.11.19

     

    C’est un petit miracle que la Suisse. Notre pays n’est pas, comme l’affirme le titre d’un ouvrage de Denis de Rougemont, « L’Histoire d’un peuple heureux ». Non, notre Histoire fut complexe, tortueuse, difficile, nous eûmes encore, par exemple, un conflit sur fond religieux en 1847, le Sonderbund. Et puis, nous eûmes les Guerres de Religion, les grands combats du dix-neuvième siècle, la lutte des classes, la Grève générale de novembre 1918. Les déchirements de l’Europe furent les nôtres. Notre prospérité n’advint vraiment qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec les grandes lois sociales, principalement l’arrivée de l’AVS, en 1948. Notre pays, comme les autres, a souffert. Comme les autres, il a vécu des divisions. S’il est, aujourd’hui, un peuple à peu près « heureux », c’est qu’il a, parfois dans la douleur, réussi à conjurer ses divisions. L’une des clefs de sa réussite, c’est la prise en compte de la fragilité, le respect des uns et des autres, à commencer par celui des équilibres.

     

    La Suisse de 1848, qui émerge au milieu d’une Europe en pleine crise, et se met en place quelques mois après la guerre civile du Sonderbund, construit sa modernité sur le pari des équilibres. Entre cantons protestants, vainqueurs, et cantons catholiques, vaincus (même si les conservateurs devront attendre 1891 pour parvenir au Conseil fédéral). Entre les villes et les campagnes. Entre la plaine et la montagne. 171 ans plus tard, nous Suisses devons constamment avoir à l’esprit cette nécessité de laisser vivre toutes les parties du pays, sans jamais en humilier aucune. Equilibres, aussi, aujourd’hui, entre les générations, entre riches et pauvres, entre consommateurs du numérique et grands oubliés des techniques modernes. Vous me direz que toute société humaine ne survivra qu’au prix d’un souci constant de sa cohésion sociale. Oui, mais en Suisse, pays où les ferments de dispersion sont d’autant plus nocifs qu’ils sont tus, parce que tabous, nous devons y veiller plus que tous les autres.

     

    La première votation à laquelle j’eus l’honneur de participer fut pour dire oui, du fond du cœur, à la création d’un nouveau Canton du Jura. J’avais même, moi qui déteste la rue, distribué des tracts pro-Jura, au Molard ! C’était en septembre 1978, j’avais juste vingt ans, je ressentais l’injustice, le décalage, qu’avaient dû vivre mes compatriotes de cette région de Suisse, à cause de décisions prises en 1815. Je n’éprouvais nulle animosité envers le Canton de Berne, mais il y avait quelque chose à corriger, une justice à restituer, un geste d’amitié confédérale à faire. Le nouveau Canton fut créé, j’en fus infiniment heureux, je n’entrevoyais là ni la victoire des catholiques, ni celle des francophones, mais simplement celle des équilibres fédéraux. Jamais je n’oublierai ce premier vote de ma vie. Je voudrais, au fond de moi, que chaque scrutin ressemble à celui-là. Où chaque fois, en glissant un bulletin dans l’urne, se jouerait non seulement l’enjeu posé, mais en éternel filigrane, le destin même du pays, entre fragilité et rage de survie.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

  • Colonialisme israélien : la Suisse doit parler

     

    Sur le vif - Mardi 19.11.19 - 15.17h

     

    C'est un nouveau pas historique franchi par les États-Unis, qui désormais ne reconnaissent plus les colonies israéliennes, issues de l'occupation de 1967, comme contraires au droit international. Position du Département d'Etat qui datait de 1978, sous Carter. En clair, la première puissance du monde, également premier protecteur de l'Etat d'Israël, avalise le fait accompli, à savoir le fait colonial.

    Si l'on ajoute cette décision à d'autres, ces derniers mois, comme la reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale d'Israël, véritable gifle aux Palestiniens et à tout processus de paix au Proche-Orient, on voit que Trump pense déjà, très fort, à l'objectif unique, pour lui, d'ici exactement un an : sa réélection.

    A cet effet, il aura besoin non seulement, comme tout candidat à la Maison Blanche, des voix traditionnellement favorables à Israël. Mais il devra bien consolider celles des évangéliques les plus extrêmes, ceux qui puisent dans leur lecture fondamentaliste de la Bible leur soutien à l'Etat hébreu. Cela, en Europe, peut nous sembler surréaliste. Mais ce courant de pensée, aux États-Unis, existe, et il est puissant.

    Nous Européens, membres ou non de l'UE, nous les citoyennes et citoyens de ce vieux continent que nous aimons, exigeons de nos autorités qu'elles tiennent, face à la politique coloniale de l'actuel gouvernement israélien, le langage de fermeté qui s'impose. Reconnaissance d'Israël, oui. Mais, avec une exacte symétrie, reconnaissance du droit des Palestiniens à disposer d'un Etat souverain. Voilà 71ans que dure le calvaire de leur peuple, aggravé depuis 52 ans.

    Tant que les États-Unis, quel que soit le Président, démocrate ou républicain, soutiendront inconditionnellement Israël, y compris dans sa politique coloniale, nul processus de paix ne sera possible. Mais le jour où les pays d'Europe, y compris notre petite Suisse, amie d'Israël et aussi des Palestiniens, clarifieront et unifieront leur message, les fronts pourront bouger.

    En attendant ce jour, il n'est pas interdit à notre Conseil fédéral, sans rien entamer à la neutralité, de dire à Israël les choses avec clarté. Condamner le colonialisme, reconnaître les droits d'un peuple bafoué à disposer de lui-même, c'est honorer sa parole, et semer l'espoir, pour l'avenir.

     

    Pascal Décaillet