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Liberté - Page 33

  • Gena Rowlands : sous nos yeux, la vie qui passe

     
    Sur le vif - Jeudi 15.08.24 - 10.43h
     
     
    Par définition, l'inoubliable n'a nul besoin d'être rappelé. Quelques mots, pourtant, sur Gena Rowlands, qui nous a quittés hier à Indian Wells (Californie), à l'âge de 94 ans.
     
    Passionné de cinéma américain, je ne la connaissais pourtant pas, jusqu'en ces années 80, où Rui Nogueira, le plus grand passeur de Septième Art que Genève ait connu, avait consacré une éblouissante rétrospective à John Cassavetes (1929-1989) et à son épouse, Gena Rowlands.
     
    Ce fut le choc.
     
    Sous nos yeux, un cinéma américain d'auteur, indépendant, des choix artistiques tranchés, un montage de génie. Réalisateur : John Cassavetes. Actrice principale : Gena Rowlands.
     
    Sous nos yeux, autre chose. Un autre cinéma. Un univers. Un style.
     
    Un seul exemple : l'extraordinaire "Gloria", avec son travelling d'entrée sur New York qui m'avait immédiatement rappelé la première page de "L'Amérique", de Franz Kafka, que je venais de lire. Un film sur une ville. Un film sur une femme. Le visage d'une femme. Le regard d'une femme. La poursuite d'une femme, traquée dans New York. Les mouvements, le souffle d'une femme. C'était cela, John Cassavetes. C'était cela, Gena Rowlands.
     
    Grâce à Nogueira, j'ai vu les films de Cassavetes. J'ai mûri, j'ai grandi, je vieillis avec les vibrations rares de leur souvenir. Grâce à un passeur. La transmission. Le passage. La vie qui va, d'une âme à l'autre.
     
    Gena Rowlands (1930-2024) était une actrice d'exception. Exigeante, indépendante, inattendue, magnifique. Commémorer l'inoubliable est un paradoxe ? Oui. Sauf pour Gena Rowlands.
     
     
    Pascal Décaillet
     
     

     
     
     
     
  • La TVA! L'éternelle vache à lait!

     
    Sur le vif - Mercredi 14.08.24 - 19.56h
     
     
    J'ai voté avec enthousiasme pour la 13ème rente AVS. Le jour venu, ce fut un OUI historique du peuple et des cantons, je m'en suis réjoui. J'ai même qualifié ce beau dimanche de mars de date qui compte dans l'Histoire de nos assurances sociales, depuis 1947. Je n'y retranche rien.
     
    Seulement voilà : en ce 14 août de rentrée politique, le Conseil fédéral commet une erreur majeure. Ainsi qu'une manipulation dont nul citoyen lucide ne doit être dupe. Soyons clairs : en faisant appel une nouvelle fois à la TVA, et à elle-seule, il s'en va puiser dans la poche des consommateurs (et parmi eux, les plus précaires) pour boucler ce qui doit relever, par des arbitrages politiques et non par des artifices comptables, du budget ordinaire de la Confédération. Dans n'importe quel autre pays, ça susciterait un tollé. En Suisse, on fait le dos rond.
     
    Ce procédé n'est pas acceptable. On ne finance pas une assurance sociale en élevant à l'infini un prélèvement qui prétérite les plus démunis (parmi lesquels des centaines de milliers de... retraités !). La TVA, éternelle vache à lait, c'est trop facile ! Le fonds AVS est tout, sauf dégarni, il n'y avait pas une telle urgence à statuer sur un financement aussi sensible politiquement et socialement. Il fallait prendre le temps. Il appartient désormais au seul patron de la TVA, le peuple suisse, d'abord via ses élus puis lui-même en arbitrage final, de remettre l'église au milieu du village.
     
    Au moins, rendons-lui cet hommage, le Conseil fédéral épargne-t-il (sur pression intense du patronat) l'autre vache à lait, les cotisations salariales. C'est salutaire. Mais c'est insuffisant. Tout prendre chez les consommateurs, y compris de produits de base, et chez les PME (la TVA, nous les entrepreneurs, nous savons ce que c'est ; le hasard a voulu que je vienne d'y consacrer, justement ce mercredi, une partie de ma journée !).
     
    Au 1er janvier de cette année, 2024, le taux de TVA a déjà été relevé de 7,7 à 8,1%. Et voilà que le 14 août, après moins de huit mois, on lance déjà à grand fracas l'idée d'une hausse autrement substantielle, pour financer un progrès social qui doit passer soit par des choix drastiques dans le budget ordinaire de la Confédération, soit par la maturation consensuelle, dans tout le pays, d'une nouvelle forme de taxe, qui s'en prenne à autre chose qu'aux produits de consommation ou au travail. Il fallait prendre le temps, tout en versant la 13ème rente dès 2026 comme promis, de lancer un grand débat national sur la mise au point de cette nouvelle recette.
     
    Il est bon de ne pas toucher aux cotisations salariales. Il n'est pas bon de piocher chez les consommateurs ou les PME. Il faut inventer une autre voie. Et prendre le temps d'un débat politique en profondeur, dans toutes les couches de notre pays.
     
    La TVA, la TVA seule, la TVA comme éternelle vache à lait, c'est trop facile ! Désolé, mais la copie du Conseil fédéral n'est pas satisfaisante.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Tous au Ritz, au bar de Frank Meier !

     

    Barman du Ritz.JPG

     
     
     
     
    Sur le vif - Jeudi 25.07.24 - 13.30h
     
     
     
    13 juin 1940, veille de l'entrée des Allemands dans Paris, déclarée Ville ouverte, alors que le dernier gouvernement de la Troisième République s'en va officialiser la débâcle à Bordeaux. 25 août 1944, Libération de Paris. Quatre ans, deux mois et douze jours séparent ces deux dates. Cela s'appelle l'Occupation de Paris. C'est la période couverte par Philippe Collin, pour nous raconter le quotidien de Frank Meier, le barman du Ritz.
     
    Unité de lieu : tout se déroule Place Vendôme, au bar du prestigieux palace. Toute la tragédie de la France pendant ces quatre ans, la plus grande défaite militaire de son Histoire, l'arrivée au pouvoir du Maréchal, l'Armistice, le premier été (1940) avec l'occupant, les lois antisémites de Vichy en octobre, la Collaboration, la rafle du Vel d'Hiv (16 juillet 1942), les échos de la déportation, la peur qui s'installe dans les âmes, la faim qui tenaille les corps.
     
    La faim ? Partout, sauf au Ritz ! L'indécence de ce contraste, entre la France des tickets de rationnement et du marché noir, et la denrées les plus fines, les vins les plus rares, qui affluent dans cet empire créé par César Ritz, à qui a succédé sa veuve, Marie-Louise, "la douairière", l'un des personnages les mieux croqués du roman de Collin.
     
    Dans ces 413 pages, un personnage principal, le barman. Autour de lui, quelques autres, pas trop, pas de roman russe, juste ce qu'il faut. L'écriture est simple et limpide, indépendantes, phrases courtes, présent historique, le ton d'un journal, ou mieux : l'écriture radiophonique. Parfois, insérés entre les chapitres, des extraits du "Journal de Frank Meier", brefs, lapidaires, comme des jets de poésie. Je ne connaissais pas Philippe Collin, mais voilà un homme qui sait écrire.
     
    Je ne vous raconterai pas l'histoire, lisez le livre, je vous le recommande. Il est simple, accessible, il aime le lecteur, ne lui fait pas la leçon morale sur l'Occupation, ni la leçon historique. C'est une fiction, bien sûr, mais les personnages sont réels : Frank le barman, Georges son adjoint, Luciano son apprenti, la Veuve Ritz, rigoureuse et combative, Blanche la troublante, et quelques autres, surtout pas trop.
     
    Côté allemand, les deux Stülpnagel, Otto puis son cousin Carl-Heinrich, qui seront l'un et l'autre impliqués dans l'attentat du 20 juillet 44 contre Hitler. Mais aussi le colonel Speidel, l'un des rares généraux de la Wehrmacht qui garderont leur grade, après-guerre, au plus haut niveau de l'Otan. Quelques brutes de la Gestapo. Quelques crapules de la Collaboration. Et, lumineux autant que fascinant, le Capitaine Ernst Jünger, l'un des écrivains les plus importants du vingtième siècle allemand, l'un des destins les plus fous.
     
    Voilà. Je ne vous en dis pas plus. Philippe Collin est orfèvre dans l'art de nous raconter la grande Histoire par la petite lucarne d'un barman de génie, qui fait son job au Ritz du premier au dernier jour de l'Occupation, doit dissimuler ses origines ainsi que celles de plusieurs êtres, dans le palace, qui lui sont chers, se demande comment la Libération lui fera payer ses accointances avec l'occupant. Tout cela est passionnant, bien écrit. Tout cela se lit. Tous cela se délecte. Comme un cocktail rare du barman Frank Meier. Excellente lecture à vous !
     
     
    Pascal Décaillet