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Liberté - Page 261

  • Oskar Lafontaine : les mots d'un Allemand, pour les Allemands

     
    Sur le vif - Dimanche 29.05.22 - 07.02h
     
     
    Dans une Allemagne vermoulue par l’atlantisme, une grande voix s’élève, il était temps. Oskar Lafontaine, 79 ans, ancien Ministre-Président de la Sarre, ancien patron du SPD, le parti de Willy Brandt, rappelle les vérités historiques, les chaînes de causes et de conséquences, ayant conduit à la guerre en Ukraine.
     
    Lafontaine n’est pas un homme à fables. Il a été l’enfant terrible de la sociale-démocratie allemande, il en a combattu la dérive blairienne, il a évolué vers des horizons plus à gauche (Die Linke, qu’il vient de quitter avec fracas), il a défendu toute sa vie les valeurs du travail et de l’industrie. Son père est mort au combat. Oskar Lafontaine est un très grand Allemand, sa voix porte.
     
    Sur l’Ukraine, que dit-il ? Ma foi, exactement ce que vous pouvez lire ici depuis des mois. Ou sous d’autres plumes, hélas trop rares, en Suisse romande.
     
    Il rappelle la longue et patiente approche des frontières russes par les Etats-Unis, depuis la chute du Mur. Le bellicisme des Américains contre la Russie et la Chine. La part de provocation, pour les Russes, que comporte cette stratégie offensive. Que diraient les Américains, si les Russes se positionnaient à Cuba (comme sous Kennedy), au Mexique, ou au Canada ?
     
    Lafontaine parle. Et enfin, dans le débat politique allemand, s’élève une voix de la clarté. Elle contraste avec l’illisible, l’inaudible Olaf Scholz. L’actuel Chancelier, lui aussi SPD, multiplie les signes de contradictions. Un jour, on se dit qu’il sera l’homme de la grande Ostpolitik de Willy Brandt. Le lendemain, il délivre des signaux totalement antagonistes, s’alignant sur la doxa américaine. Quatrième puissance économique du monde, première puissance d’Europe, l’Allemagne mérite mieux. Elle n’a plus besoin de plaire à tous, comme du temps de son nanisme politique.
     
    Avec ou sans Scholz, l’Allemagne est en plein réveil stratégique. Elle réinvente ses énergies. Elle se réarme, comme jamais depuis 77 ans. Elle file doux devant les Américains, mais jusqu’à quand ? À l’Est, avec ou sans Scholz, elle a sa propre politique d’expansion, sur le terrain de l’économie : Pologne, Bohème, Pays Baltes, Hongrie. Partout, elle s’implante. Partout, elle gagne.
     
    Alors, dans ce pays d’une vitalité exceptionnelle au cœur de l’Europe, la voix d’Oskar Lafontaine rappelle qu’il existe un autre destin allemand que celui de l’obédience atlantiste. Et que nul n’a à dicter aux Allemands leurs relations avec la Russie. Ni la nature profonde, historique, de leur tropisme vers l’Est.
     
    Ce sont là des paroles importantes. Les mots d’un Allemand, pour les Allemands. À nous de les décrypter comme tels, dans la connaissance intime des fondamentaux germaniques. Le plus loin possible de la liturgie de la morale. Et des bons sentiments.
     
     
    Pascal Décaillet

  • La course à l'échec

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 25.05.22

     

    Le élections, à Genève, c’est toujours la même chose. La gauche, en ordre de bataille. La droite, en désordre et en pagaille. Ce samedi 21 mai, deux partis gouvernementaux qui entendent le rester pour la prochaine législature, les socialistes et les Verts, ont désigné leurs candidats pour les élections au Conseil d’Etat.

     

    Oh, ça n’est pas pour tout de suite (avril 2023), mais il faut serrer les rangs le plus tôt possible, montrer sa cohésion, ou tout au moins en donner l’impression. Deux candidats par parti : Carole-Anne Kast et Thierry Apothéloz pour les socialistes, Fabienne Fischer et Antonio Hodgers pour les Verts. Le carré d’attaque est constitué.

     

    Il ne s’agit pas ici de savoir si chacun de ces candidats, individuellement, respire la transcendance. Mais de voir le phénomène de groupe. Il est cohérent, positif. A l’inverse, la droite donne encore l’impression de nager en eaux troubles. Certes, on commence à connaître les candidats à la candidature. Mais rien n’est sûr. D’autres peuvent encore surgir, dans certains partis. Quelle alliance ? Quel jeu d’ensemble ? Quelle stratégie commune ? Mystère et boule de gomme, même si Bertrand Reich, Président du PLR, a lancé de clairs appels à l’unité.

     

    La gauche unie, la droite hésitante. Le signal, à dix mois du premier tour (2 avril 2023), n’est pas bon pour tous ceux, à Genève, qui sont déjà plus que fatigués de cette majorité gouvernementale de gauche, depuis la complémentaire du printemps 2021. Courir à l’échec, est-ce pour l’éternité la maladie héréditaire de la droite à Genève ?

     

    Pascal Décaillet

  • Couchepin, Delamuraz : portraits croisés

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 25.05.22

     

    Je pourrais écrire un livre sur mes zones de convergences avec Pascal Couchepin, Conseiller fédéral de 1998 à 2009, dont j’ai suivi de près la carrière politique pendant plus de vingt ans, et aussi sur ce qui nous sépare. Les différences, d’abord : ses relations au capitalisme financier, au libéralisme économique, aux Etats-Unis d’Amérique (Irak, 2003), n’emportent pas mon adhésion. Le point commun : le goût de l’Etat. Il fut un homme d’action, et moi un simple observateur, un commentateur. Je l’ai tant de fois interviewé, surtout en radio, quand il était chef de groupe à Berne, puis Conseiller fédéral, mais aussi en TV. Et toujours, quel que fût mon accord ou mon désaccord avec ses propos, j’ai apprécié l’intelligence de l’homme, sa clarté, sa lucidité. Il est un esprit avec qui le dialogue est un enrichissement. Il aime discuter, croiser le fer, comme on le fait dans les bistrots valaisans, depuis la nuit des temps.

     

    Avec Jean-Pascal Delamuraz, son prédécesseur au Conseil fédéral (1983-1998), que j’ai très bien connu aussi, j’ai beaucoup moins le souvenir de discussions : son verbe fusait par irruptions, parfois des traits de génie, des formules pour l’Histoire (« dimanche noir », 6 décembre 1992, échec de l’EEE), des piques, des saillies d’humour comme des comètes, mais pas ce goût de l’argument démonstratif du radical valaisan. Au fond, le radical vaudois ne cherchait pas tant à convaincre qu’à exister très fort, si possible dans le cœur des gens. Le Valaisan, dans la grande tradition philosophique du Freisinn, croit aux lumières de l’argument juste. Peut-être sa très longue expérience de minoritaire, comme radical, dans un Valais naguère dominé par les conservateurs, lui a-t-elle aiguisé, dès les très jeunes années, cette nécessité de la démonstration comme une arme. Pour tenir tête à la scholastique. Le moins qu’on puisse dire est qu’il s’en est servi.

     

    Delamuraz, Couchepin : deux monstres sacrés du radicalisme romand, les derniers grands, au niveau fédéral, comme à Genève nous eûmes Guy-Olivier Segond. Ils étaient réputés ne pas s’aimer, le second guettant toute faiblesse du premier pour un jour prendre sa place. C’est possible. Mais jamais, de ma vie, je n’ai entendu l’un dire du mal de l’autre. Ils étaient infiniment différents, c’est sûr, Delamuraz buveur, jouisseur, fraternel dans le contact physique, Couchepin toujours se dominant. Le Valaisan, apôtre de la Raison triomphante, celle de Kant et de toute la philosophie allemande de l’Aufklärung, à qui le radicalisme suisse doit tant. Le Vaudois, où semblait toujours poindre la folie, toujours à la lisière de la démesure, l’homme qui surprend, l’homme qui surgit.

     

    Pourquoi je vous parle de ces deux hommes ? Parce qu’ils m’ont marqué. Ils viennent d’une très grande famille politique, celle qui a fait la Suisse moderne. Ils avaient, comme nous tous, des qualités, des défauts, connaissaient leurs propres faiblesses, leurs limites. Ils aimaient leur pays. Ils étaient de cette espèce rare, en voie de disparition, qu’on appelle des hommes d’Etat.

     

    Pascal Décaillet