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Liberté - Page 1511

  • Une question de style, vraiment ?

     

     

      Un style qui ne passe pas, incompatible avec nos institutions, avec l’esprit suisse. C’était, il y a un an, l’argument-choc des opposants à la réélection de Christoph Blocher. L’homme se comportait mal, avait été très méchant avec les juges, ne respectait pas la séparation des pouvoirs, et c’était pour tout cela que, malgré les 29% de voix aux élections, on l’éjectait. Dont acte. Une question de style, nous disait-on.

      Un an après, voici le ticket Blocher-Maurer. Et le chœur des âmes, les mêmes, pour commencer à trouver que Maurer non plus, ça ne va pas. Ce deuxième candidat, pourtant, cet alter ego en forme de Canada Dry, ne s’est pas particulièrement frotté au Tribunal fédéral, ni au procureur de la Confédération, n’a jamais squatté d’autre charge que celles où les urnes – ou les instances de son parti  - l’avaient porté. Une vie plus calme que celle de son chef historique, moins aventureuse, moins de risques, moins de folie, un peu moins d’indifférence à la férocité des haines. Dans Marivaux, là où on échange les masques, l’un aurait été le maître, l’autre le valet.

      Ueli Maurer : des envolées moins tribunitiennes que son mentor, voix moins grave, verbe moins éclatant, menton moins saillant, rire moins sardonique. Un peu moins à l’aise dans les ronds de sciure des luttes à la culotte, les cantines de fêtes fédérales, ou dans les fiévreuses délices de l’Alpe, où s’encornent passionnément les bestiaux. Maurer, c’est l’homme d’une époque moins épique. Après le temps des héros, celui des hommes.

      Mais même cet homme-là, il paraît qu’on n’en veut pas. On voudrait un UDC moins dur. On voudrait un UDC moins opposé à l’Europe : s’il avait la délicatesse (malgré le vote écrasant de son parti, samedi, à Dietikon), de voter oui aux bilatérales le 8 février 2009, voilà qui étofferait avantageusement son dossier. On voudrait un UDC au verbe moins champêtre, rude affaire pour ce pauvre M. Maurer, qui n’est que paysan.

      On voudrait un UDC plus présentable dans les salons, mocassins cirés, costume trois pièces, montre au gilet. On voudrait un UDC sensible au climat, et pas seulement pour protéger ses têtes de bétail. Un UDC Kyoto. Et comme M. Maurer, ce préhistorique UDC né du monstre comme dans la plus archaïque des théogonies, n’arrive désespérément pas à convenir à ces exigences, on prépare déjà un ersatz de l’ersatz. Qui pourrait s’appeler Urs Schwaller. Ah, comme tout serait plus simple si la politique n’était confiée qu’à des notaires et des notables, entre soi cooptés, sans ces détestables signaux, tous les quatre ans, de cet intrus qui s’appelle le peuple.

     

    Pascal Décaillet

  • Le chevau-léger et le Prince noir

     

     

    La brèche était ouverte, Hugues Hiltpold s’est engouffré. Il avait déjà déclaré, il y a deux mois, que le parti radical ne se ferait pas trop prier, si on le lui demandait un jour poliment, de reprendre le DIP. Bien entendu, il ne s’était avancé qu’à titre personnel, n’avait été le chevau-léger de nul Prince noir, n’avait jamais eu la moindre conversation avec François Longchamp sur le sujet. Bien entendu. C’était il y a deux mois. C’était il y a cent ans.

     

    On s’était dit que ce délicieux gentleman s’était offert un coup du milieu, avait tenté de s’encanailler, mais que tout était rentré dans l’ordre. C’est du moins ce que nous répétait l’entourage cardinalice du Prince, comme pour calmer l’ardeur de nos conjectures. Il y avait un gendre idéal qui avait joué, une fois, à la tête brûlée, mais l’incident était clos. Bien entendu, les radicaux ne caressaient d’aucune espèce de convoitise la reconquête d’une Ecole à laquelle ils avaient rendu naguère, avant Chavanne, quelque service signalé. Bien entendu. C’était il y a quelques semaines. Juste avant le napalm du Tribunal administratif.

     

    Et puis, patatrac, hier soir, Hiltpold récidive. Toujours lui : chez ces gens-là, la récurrence est une vertu, elle flambe dans les bannières. La progression dramaturgique aussi : dans un communiqué, sur le constat d’une pestilence nommée « cacade » (sic !), le franc-tireur (bien entendu solitaire) « voit mal comment Charles Beer peut prétendre diriger le DIP une législature de plus ».

     

    Bien entendu, on va continuer à nous répéter, pendant un an, que cette hypothèse d’OPA n’est que fantasmes. L’actuel conseiller d’Etat radical, pas plus que son efficace conseiller de l’ombre, ne seront jamais apparus au grand jour dans cette affaire. On aura laissé Hugues le lanceur de fusées éclairer joyeusement nos nuits : reprendra-t-il un jour les Fêtes de Genève ?

     

    A moins qu’un autre job, disponible d’ici un an, ne commence à faire frissonner les rêves hiltpoldiens. La très grande fragilité du ticket choisi hier soir par les libéraux, cette illusion de l’équilibre là où toute attaque doit se fonder sur la rupture, pourrait, à raison, faire réfléchir les radicaux dans le sens d'un double ticket. Mais les places seront chères : la non-candidature de Jornot, cette absurdité de casting, offrira à un Jornot bis l’occasion de faire du Jornot en sirotant du Canada Dry. Cet homme existe, se porte très bien, n’est pas totalement insensible à l’attrait du pouvoir. Il s’appelle Yves Nidegger.

     

    Pascal Décaillet

  • Libéraux genevois : la passion du suicide



    Sur le vif – Vendredi 21.11.08 – 00.30h

    En refusant, il y a deux heures, de désigner Olivier Jornot, l’un des fauves les plus racés de la faune politique genevoise, pour la candidature au Conseil d’Etat, les libéraux genevois viennent de commettre une erreur historique. Par confort, par adoubement du douillet, par peur de l’homme fort et de la tête qui dépasse, par une mixture de provincialisme communal (où le seul mot « péréquation » préfigure l’extase salée d’un coït) et de génuflexion féministe, ils viennent d’éliminer rien moins que le meilleur des leurs. Les libéraux genevois auraient-ils la passion du suicide ?

    Ils ont cru qu’ils allaient pouvoir gagner par la sagesse de l’équilibre (jusqu’à celui, tellement convenu, des sexes), là où la politique a besoin de dépassement, de sales tronches, de rêves de gloire et de nuits blanches, de caractères de rats, et surtout d’une incomparable compétence sur les dossiers, bref j’ai nommé Olivier Jornot. L’homme capable, à la même vitesse de lumière, de vous réciter Quinte-Curce et de vous pondre, sur une nappe de papier, un projet de loi sur la police. Jornot est un fou de politique, un fou de pouvoir, et c’est justement pour cela qu’il fallait le désigner.

    Au nom de quelle étrange conception la politique devrait-elle se résigner à n’être qu’une flasque aspiration au juste milieu ? Poitevine et marécageuse, quand elle pourrait être de terre ferme et de soleil, ouverte à la férocité des vents. Pas les zéphyrs : les vents ! Là encore, j’ai nommé Olivier Jornot, homme de voiles latines, de lettres et de droit, de poèmes épiques et de textes de loi. Prétorien ? Et alors ! L’Histoire retient-elle le bruit parfois coupable des bottes, crottées de la glaise du temps, ou l’innocent cliquetis des sandales ?

    Au pouvoir personnel, les libéraux ont donc préféré les délices plus castratrices de l’impuissance impersonnelle. N’ayant pas osé le coup de force contre les éminences acquises, installées, ni contre le conformisme de l’équilibre, ils ont pris le risque de barrer la route du pouvoir à un homme qui génétiquement, était programmé pour l’exercer. Beau gâchis. Pour les libéraux. Et pour Genève.


    Pascal Décaillet