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Liberté - Page 1512

  • Pour le retour de Victor Dumitrescu

    Sur le vif  -  Jeudi 16.10.08  11.10h

     

    Il semblerait que Victor Dumitrescu ait été évincé de cet espace de blogs. Je ne sais si cela est exact.

    Victor Dumitrescu est quelqu’un dont je ne partage pas les options politiques. Mais sa plume est vive, sa réactivité remarquable, et il est toujours courtois. Il a de l’humour, de la culture, un arrière-pays, et sans doute une souffrance, hautement dignes d’intérêt.

    Surtout : il a le courage de signer ses papiers. D’un nom et d’un prénom.

    Il est très clair, pour moi, que Victor Dumitrescu a totalement droit de cité dans ces blogs. Et qu’il doit y être réintégré au plus vite.


    Pascal Décaillet

  • Rien – ou presque – ne justifie l’anonymat


    Ou : l’élémentaire salut du Mousquetaire

     

    Vendredi 10.10.08  -  11.55 h

     

    Je l’écris et le répète depuis le premier jour : rien, ou presque, dans la Suisse d’aujourd’hui, ne justifie l’usage de l’anonymat dans l’expression d’une opinion publique. Nous sommes dans un pays libre, démocratique, nul ne risque pour sa vie, nul n’encourt la Bastille. Que volent et s’entrechoquent les idées contradictoires, oui, et comment ! Mais, de grâce, signées d’un nom et d’un prénom. A Genève, il y a certes une Régente, mais nous n’en sommes pas, pour autant, sous la Régence. Les lettres de cachet, c’est fini.

    Bien sûr, il y a des pressions, des menaces de rétorsion, de petits chefs et de grands censeurs qui vous guettent et vous cherchent noise lorsque vous prenez la plume. Bien sûr, c’est plus dur lorsqu’on appartient, par exemple, à la fonction publique, parce qu’il y aura toujours un hiérarque véreux, ou un ami qui vous veut du bien, pour vous rappeler le devoir de réserve. Cela est vrai, ne doit pas être nié, je puis comprendre que, dans ces cas-là, on aspire à protéger son identité. Et pourtant j’appelle les intéressés à, tout de même, au maximum, se dévoiler. Même si c’est dur. Même si c’est risqué. Et peut-être pour cela, justement.

    Parce que l’autre solution, l’anonymat, lorsqu’il atteint des proportions de déversoir, n’est tout simplement plus tenable. Dans cet univers de blogs de la Tribune de Genève et 24 Heures, que je considère comme une passionnante plate-forme d’expression citoyenne, et où je découvre quantité d’auteurs originaux et admirables, l’abus du masque, son usage comme paravent de lâcheté, finira par nuire à l’ensemble de l’exercice, le traîner vers le caniveau, ruiner son crédit, et finalement son intérêt pour le lecteur.

    Pour être exact, le problème, ça n’est pas le pseudonyme. Lorsque Voltaire signe un pamphlet, tout le monde sait qu’il s’agit du ci-devant Arouet, François-Marie, et qu’il s’agit d’un nom de plume. Le pseudonyme troque, en toute connaissance de cause du récepteur, une identité contre une autre. Autre chose est un certain anonymat. Pas celui du jeu d’identités, style Ajar. Mais celui qui porte l’estocade. Trop facile de se camoufler pour frapper, blesser, attenter à l’honneur. On me dira que l’éditeur connaît la véritable identité : cela ne me semble pas suffisant. Sauf dans quelques cas extrêmes, toute personne qui prend la plume comme une épée, dans la Suisse d’octobre 2008, doit avancer son nom et son prénom. Le salut, élémentaire, du Mousquetaire, avant le combat.

    D’autant que l’immense majorité des anonymes, dans cet espace où nous sommes, sont plutôt charmants. Drôles. Originaux. Rafraîchissants. Ils attaquent certes parfois, mais le plus souvent construisent, inventent, flairent d’inattendus chemins de traverse, surprennent. On y découvre des plumes de qualité, des regards. Eux, ne sont pas en cause. Hélas, l’exercice même de leur anonymat (qui, en soi, pourrait relever d’une joyeuse esthétique de masques et bergamasques) se trouve souillé par quelques professionnels de la délation généralisée et de l’opprobre. Ceux-là, profondément, nuisent à l’ensemble.

    Prenons le cas d’un conseiller d’Etat. Celui qui, bien que membre de son Département, signe ses attaques contre le magistrat, prend des risques. Donc, mérite le respect. Cet homme-là, à coup sûr, est courageux. A l’inverse, lorsque, dans un espace d’expression voisin, le mécontentement tourne au déversoir, à l’avalanche de crachats et au dévaloir d’insultes, le tout joyeusement dissimulé sous le paravent, c’est la cause même qui s’en trouve ruinée. Nous ne sommes plus dans l’anonymat littéraire, mais dans la mise en action sécurisée de la lâcheté.

    Dans ce cas-là, l’éditeur doit intervenir. Censure ? Non : sauvegarde d’un minimum de respect. Nulle liberté n’est totale : il y a des règles. Ne serait-ce que la loi. Il est, par exemple, parfaitement convenu, et même codifié, que l’espace public ne tolère ni le racisme, ni l’appel à la haine, ni l’antisémitisme. Ni les atteintes à l’honneur. Ces restrictions-là ne me dérangent pas. Je dirais même que je les salue.

    Disons-nous les choses, attaquons-nous, ne nous épargnons pas. Mais soyons dans le sujet. Et signons. Cela ne m’apparaît tout de même pas, totalement, hors de portée. En conséquence, il ne me gênerait pas outre-mesure que l’éditeur, mon confrère Jean-François Mabut, augmente de quelques crans la sévérité face à quelques abuseurs, au reste très minoritaires, mais tenaces, systématiques et récurrents, de l’espace public.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Monsieur Brel, vous me manquez


    Jacques Brel, arraché à ce monde par le cancer, à l’âge de 49 ans, il y a tout juste trente ans, n’était pas seulement un grand poète et un immense chanteur. Il était la vie même, sa stridence et sa fureur, sa passion, ses excès. Dans ma chambre d’adolescent, à longueur de soirées, je n’écoutais que lui. Et puis Ferré. Et puis Barbara. Le reste, je n’y connaissais rien. Ces géants-là me suffisaient.

    Si vous pouvez, écoutez la Radioscopie que lui avait consacrée Jacques Chancel au printemps 1973, sur France Inter, à l’occasion du Festival de Cannes, où Brel était venu présenter un film, d’ailleurs mauvais. Ce garçon-là n’était pas cinéaste, évidemment ! Il n’était fait que pour une chose : chanter sur une scène, se lacérer l’âme en public, crier sa douleur, ou sa joie, en les transfigurant par des mots.

    Chez Chancel, Brel se raconte. L’enfance, la solitude, la guerre qui dure trop longtemps, la peur des femmes, la fureur de se dépasser. Quatre ans après, il est encore cet Homme de la Mancha, ce héros à la triste figure qu’il avait si sublimement incarné sur les planches. Il lui reste quatre ans à vivre. Le sent-il ? Le sait-il ?

    J’ai vu six fois Ferré sur scène, deux fois Trenet, jamais Brel. Comme tant de gens de ma génération, je traînerai toujours ce regret de n’avoir pas eu sous les yeux la plus formidable bête de scène de la grande chanson française. Il nous reste le film de ses chansons, le miracle noir et blanc de cette pellicule si précieuse, Bobino, l’Olympia, cette énergie et cette sueur, ce désespoir et pourtant cette folie de vivre. Ce sourire, aussi, avec ces dents immenses, cette gueule d’enfant, ce regard parfois si tendre.

    Jacques Brel était bien davantage qu’un simple génie. Il était juste un homme. Un écorché d’humanité qui avait abouti dans cette vie, et réussi à dire avec des mots, et des notes, le fond de ses sentiments. Un homme n’a pas pour fonction d’être meilleur qu’un autre, ni pire. Mais d’être ce qu’il est, même si ce chemin-là est justement le plus dur.

    Chantait-il, ou bien, au fond, tentait-il d’accomplir un destin ? Ce qui est sûr, c’est ce que cette voix, ce verbe, cette sainte fureur, je les emporterai partout. Ici, et ailleurs. Dans ce monde, et dans d’autres.

     

    Pascal Décaillet