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Liberté - Page 1516

  • 1er août ou 12 septembre ?

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    « Le 22 septembre, aujourd’hui, j’en fous » - Georges Brassens

    Interrogé par mes confrères du Matin sur son rapport au 1er août, Fulvio Pelli a laissé entendre que la vraie fête nationale suisse devrait être le 12 septembre. C’est ce jour-là, en 1848, qu’avait été adoptée la première Constitution fédérale suisse. Bref, la naissance de la Suisse moderne.

    Sur le fond, Fulvio Pelli a raison. Il s’est passé, entre la Révolution helvétique de 1798 et la grande année 1848, celle de toutes les Révolutions en Europe, quelque chose d’incroyablement fort dans l’Histoire de notre pays. Découverte des grands principes de la Révolution française, conquête de la liberté du commerce et de l’industrie, liberté de penser et d’éditorialiser, liberté de la presse, affranchissement de la caste des patriciens, Révolution industrielle, oui une certaine Suisse, celle d’aujourd’hui, est née dans le maelström de ces années-là.

    Ayant travaillé toute une année, en 1998, sur les 150 ans de l’Etat fédéral, fouillé toutes les Histoires cantonales de cette période, réalisé des émissions spéciales dans la plupart des cantons suisses, j’ai pu mesurer, avec mes collègues, le legs inestimable du dix-neuvième siècle sur nos consciences, nos systèmes juridiques, notre rapport à l’Etat. Cette grande année de séries historiques, à la RSR, s’était justement achevée, le 12 septembre 1998, par une émission spéciale de plusieurs heures, en direct de la Place fédérale, où nous avions interviewé en direct tous les conseillers fédéraux, en fonction ou anciens, encore vivants.

    Plus fondamentalement, grâce à une exceptionnelle collaboration des historiens cantonaux, notamment en Suisse romande, nous avions aidé nos auditeurs à découvrir la férocité des combats de ces temps-là, malheureusement encore si discrets dans les manuels scolaires. Naissance et essor de la pensée libérale-radicale, contre-courant catholique-conservateur, combats acharnés entre ces deux visions, dans des cantons comme le Valais, vivacité de la presse d’opinion, importance du facteur confessionnel, rôle capital du développement économique, et tant d’autres choses. À titre historique et cérébral, Fulvio Pelli a décidément raison : le 12 septembre, oui, devrait être notre fête nationale.

    Le problème, et qui est d’ailleurs celui de Fulvio Pelli, de sa personne, de son rapport au verbe et à l’émotion, de son hypertrophie cérébrale au détriment de l’instinct, c’est que le 12 septembre ne dit strictement rien à personne ! On peut s’en plaindre, regretter que le travail de prise de conscience historiographique ne soit pas mieux entrepris dans les écoles, mais enfin c’est ainsi : le 12 septembre, à part Fulvio Pelli, Olivier Meuwly, les frères Bender et votre serviteur, c’est un peu comme dans un refrain de Brassens : tout le monde s’en fout.

    Alors que le 1er août, date infiniment plus fumeuse, tissu d’événements recréés par une mythologie au fond assez récente (lire Anne-marie Thiesse – « La création des identités nationales », Seuil, 1999), beaucoup de Suisses adorent. Cette fête du feu et de la nuit, archaïque et primitive, pleine de chaleur et de lumière, amicale, simple et fraternelle, a su toucher le cœur de nos compatriotes. Qui serions-nous pour le leur reprocher ? Le 1er août, c’est la fête, au fond, que le peuple suisse, de partout, a voulue, plébiscitée, celle qui lui parle et lui convient. Elle donne l’impression de « venir d’en bas », sans cesse recréée, spontanément, et non d’être imposée par les autorités. C’est sa force, sa très grande force.

    Et c’est là, symboliquement, au détour d’une petite allusion à mes confrères du Matin, que viennent saillir, en même temps que ses qualités, les limites de Fulvio Pelli. Le 12 septembre, au fond, ce serait la fête des radicaux, les triomphateurs de 1848, la fête des Lumières, de la Raison, de la Jeune Suisse contre la Vieille Suisse, de la pensée articulée, soupesée, le logos, face à la tellurique obscurité des mythes.

    Le problème, c’est que les mythes ont la vie dure. Et les feux dans la nuit, année après année, de partout, rejaillissent. Et la puissance de ces signaux, à défaut de précision de leur message exact, en impose. Oh, les raisonnables pourront hausser leurs épaules tant qu’ils voudront, parler d’archaïsme, de primitivisme, de fauvisme nocturne, ils n’y pourront rien changer. C’est qu’à tant lire Montesquieu (et Dieu sait s’il faut le lire), ils ont omis d’ouvrir, ne serait-ce qu’une fois, « La Colline inspirée » de Barrès, et quelques autres livres sur l’irrationnel du sentiment de communauté nationale. Ce petit quelque chose qui vient d’en bas, s’adresse au cœur plutôt qu’à l’esprit, vous tient un peu – ou beaucoup – quelque part.

    Que vous soyez cérébral ou instinctif, Suisse ou étranger, avec ou sans papiers, avec ou sans reconnaissance de ceux qui vous entourent, partisan du 1er août ou du 12 septembre, sensible ou non aux feux follets, partisans de la Jeune Suisse ou de l’Ancien Régime, je vous souhaite à tous une belle fête nationale.

    Je dédie ces quelques réflexions à tous mes amis de la commune d’Evionnaz (VS), qui m’avait proposé le discours du 1er août, ce que j’ai dû décliner pour cause de déplacement à Munich. Où, rassurez-vous, je ne signerai aucun Accord.


    Pascal Décaillet


  • Ah, jouir dans l’obscurité du conclave ! Jouir !

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    Lundi 27.07.09 - 22h

    Donc, ils sont 246. Et c’est là le drame. 246, à qui le système permet d’élire un conseiller fédéral. Alors que la Suisse compte sept millions d’habitants, dont quatre millions de citoyennes et citoyens. Mais non, les 246, mon bon Monsieur, pas une âme de plus ! Le cénacle, bien fermé, dans la seule intimité glaçante de ses miroirs. Comme au temps lointain des bonnes vieilles Diètes d’Empire, cette ère délicieusement boueuse des diligences, lorsqu’il fallait des jours et des jours pour se rendre à Berne.

    Comme s’il était encore absolument nécessaire, aujourd’hui, de se réunir physiquement, avec la sainte chorégraphie de ce cérémonial, ces huissiers, cette galerie des glaces, ces tours de scrutin de vingt minutes chacun, cette urne qui pourrait presque être funéraire, cette heure de gloire des scrutateurs, leur habit de lumière, visages de marbre, l’air d’avoir avalé mille balais, la hiératique raideur de celui qui officie. Ah, celui qui pourrait tenir la loupe, embraser le bûcher du soleil ! Jouir par la mise à feu, jouir !

    C’est cela, oui, tout cela, tellement peu raisonnable et tellement viscéral, à quoi la caste parlementaire s’accroche, elle qui ricane dès qu’on lui parle d’élargir un jour, peut-être, le corps électoral. C’est à cette fonction-là, suprême, qu’elle s’agrippe désespérément : la sève de jouissance, régalienne et salée, de pouvoir représenter, chacun, le 246ème de la souveraineté absolue. Ainsi, les princes électeurs, dans le Saint Empire, lorsqu’ils désignaient l’Empereur. Ainsi, les cardinaux en conclave, avec leurs joues de pourpre à la croisée de leurs désirs, obscurs, inavouables. Même dans l’étreinte d’âmes, vicinale comme la noirceur du Diable, d’un confessionnal. Inassouvis. Aucune rose des vents, jamais, ne pourra orienter la sexualité d’un cardinal.

    Alors, de la gauche à la droite, on prend des airs, Monsieur. Oui, des airs, comme dans la marine. De grands airs, mystérieux. Pénétrés. Parce que, chez ces gens-là, on trame, on ourdit, on tisse, on dévide, on fait son prétendant le jour, sa Pénélope la nuit, on aiguise les couteaux, on laisse entendre, on entrevoit. C’est à cela, ce petit jeu d’augure et de Pythie, que les 246 tiennent tant, eux qui ne réformeront jamais le système sans la tempête d’une pression extérieure à leur cénacle.

    Pour l’heure, c’est vrai, on ne la voit guère venir, cette pression. Tout au plus une initiative, qui à coup sûr sera rejetée, comme le sont neuf d’entre elles sur dix, depuis 1891.

    Alors, quoi, les 246, pour l’éternité ? – Pas sûr. Non, le changement de système, le glissement vers un corps électoral plus élargi, pourrait bien venir du progressif constat, par le peuple suisse, de la malignité des vices signalés, comme en un scanner médical, de l’intérieur même du système actuel. Copinage. Consanguinité. Copains et coquins, fieffés. Jeux de coulisses, Portes qui s’ouvrent et qui claquent, comme chez Feydeau. Le palais des glaces. Avec tous ces bleus qu’on se fait à la figure. Parce que chaque miroir est une impasse, douloureuse comme le hasard. On rêverait d’y croiser l’Aventure. On ne s’y fracasse le front qu’à sa propre image. Désespérante et désespérée. Comme la mort. Pire : comme la vie.

    Pascal Décaillet





  • Les comices agricoles

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    Lundi 27.07.09 - 04.40h.


    Et c'est reparti pour le grand maquignonnage! Là où la scène politique suisse se transmue bestialement en comices agricoles, ovins et bovidés, bestiaux qu'on tâte et qu'on soupèse, regards torves des négociateurs, laines et haleines, trucs et ficelles, trocs et combines. La presse de ce week-end, notamment alémanique, avait des accents de feuille d'avis de Yonville, rubrique bétail.

    Ici, c'est Toni Brunner qui brandit la menace d'une candidature UDC, si le candidat libéral-radical devait s'avérer trop europhile. Là, c'est Ueli le Climatique qui exigeait, il y a quelques semaines, des candidats qu'ils se fassent les champions d'un « green new deal » unilatéralement décidé par les Verts, et dont Berne a déjà dit qu'elle ne voulait pas. De partout, on s'observe, on s'épie, on intrigue, on fait pression. Jusqu'aux socialistes, dont il paraît qu'ils voteraient libéral-radical, non par amour des héritiers de 1848, mais pour s'assurer, la fois suivante, du maintien de leurs deux sièges. Elle est belle, la démocratie suisse ! Il est séduisant, non, ce système d'élection indirecte où le jeu de miroirs de 246 personnes transforme la vie politique en un immense palais des glaces. Ca n'est pas le vingt-et-unième siècle, c'est la Quatrième République, où le parlement est si souverain, l'exécutif si faible, si dépourvu de légitimité tellurique, que la coulisse et la combine sont reines. Ce système vit ses dernières années. Il ne sera plus possible très longtemps.

    En attendant, qu'ils y aillent, les Verts ou les UDC ! Qu'ils présentent, chacun, un candidat. Et nous verrons bien le résultat. 10% pour l'un, 30% pour l'autre, c'est bien, mais ça n'est pas encore une majorité. Cela, les chefs de ces partis le savent parfaitement, leurs effets de manches sont donc pour la galerie. Celle des glaces. L'élu du 16 septembre sera issu des rangs libéraux-radicaux, peut-être des rangs PDC. Le système de neutralisation respective des partis, je te tiens, tu me tiens, fait de la barbichette l'organe suprême par lequel on communique. Chaque coup d'éclat se heurtant à la riposte graduée de la fois suivante. Chaque parlementaire connaissant par coeur l'ordre de passage de la prochaine élection. Le système de l'élection de notre gouvernement fédéral, c'est cela, ce sont ces calculs-là, il faut le savoir. Les comices agricoles de Yonville. Le génie de Flaubert en moins.

    Pascal Décaillet