Sur le vif – Vendredi 21.11.08 – 00.30h
En refusant, il y a deux heures, de désigner Olivier Jornot, l’un des fauves les plus racés de la faune politique genevoise, pour la candidature au Conseil d’Etat, les libéraux genevois viennent de commettre une erreur historique. Par confort, par adoubement du douillet, par peur de l’homme fort et de la tête qui dépasse, par une mixture de provincialisme communal (où le seul mot « péréquation » préfigure l’extase salée d’un coït) et de génuflexion féministe, ils viennent d’éliminer rien moins que le meilleur des leurs. Les libéraux genevois auraient-ils la passion du suicide ?
Ils ont cru qu’ils allaient pouvoir gagner par la sagesse de l’équilibre (jusqu’à celui, tellement convenu, des sexes), là où la politique a besoin de dépassement, de sales tronches, de rêves de gloire et de nuits blanches, de caractères de rats, et surtout d’une incomparable compétence sur les dossiers, bref j’ai nommé Olivier Jornot. L’homme capable, à la même vitesse de lumière, de vous réciter Quinte-Curce et de vous pondre, sur une nappe de papier, un projet de loi sur la police. Jornot est un fou de politique, un fou de pouvoir, et c’est justement pour cela qu’il fallait le désigner.
Au nom de quelle étrange conception la politique devrait-elle se résigner à n’être qu’une flasque aspiration au juste milieu ? Poitevine et marécageuse, quand elle pourrait être de terre ferme et de soleil, ouverte à la férocité des vents. Pas les zéphyrs : les vents ! Là encore, j’ai nommé Olivier Jornot, homme de voiles latines, de lettres et de droit, de poèmes épiques et de textes de loi. Prétorien ? Et alors ! L’Histoire retient-elle le bruit parfois coupable des bottes, crottées de la glaise du temps, ou l’innocent cliquetis des sandales ?
Au pouvoir personnel, les libéraux ont donc préféré les délices plus castratrices de l’impuissance impersonnelle. N’ayant pas osé le coup de force contre les éminences acquises, installées, ni contre le conformisme de l’équilibre, ils ont pris le risque de barrer la route du pouvoir à un homme qui génétiquement, était programmé pour l’exercer. Beau gâchis. Pour les libéraux. Et pour Genève.
Pascal Décaillet
Liberté - Page 1518
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Libéraux genevois : la passion du suicide
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Retour de l’île d’Elbe ou Waterloo ?
Il a 68 ans, il repart au combat. On le disait mort, putréfié par l’oubli, le revoici. On l’aime ou non, ça n’est pas la question, ça devrait l’être beaucoup moins lorsqu’on parle de lui. La politique, à ce niveau-là, où la mort métaphorique promène toujours ses pattes de velours, est affaire d’animaux de sang froid. Chez ces gens-là, Monsieur on guette, on soupèse, on calcule. Et, bien sûr, on tue.
De sa section historique, sa tanière, son terroir, il repart. Que se passe-t-il, dans sa tête ? Vogue-t-il, comme naguère le reclus de l’île d’Elbe sur le brick l’Inconstant, vers quelque Golfe-Juan, dans l’espoir de défricher sa route du retour, retrouver sa couronne ? Un an, qu’il en a été chassé, tout comme le Corse, lors de sa première abdication. Y songe-t-il vraiment, ou ne fait-il que donner un coup de main à la ligne dure de son parti ? A Ueli Maurer, par exemple ?
Cette Assemblée fédérale, qui lui a signifié sa disgrâce, a-t-elle une quelconque chance de se désavouer elle-même en le reconduisant ? Pas une sur cent, en vérité ! Mais le passager du brick, sur les eaux bleues de la Méditerranée, en avait-il davantage, en débarquant le 1er mars 1815 ?
Il y a, dans cette tentative de retour, comme un goût salé d’aventure, une escapade de mauvais garçon, une gavrocherie fugueuse, suicidaire comme une aube marine. Ca n’est pas pour rien que Jean Ziegler a eu des mots élogieux, dimanche, sur Blocher : les deux hommes se ressemblent, vomissent les conformismes, n’ont jamais cherché à se mouler dans la quiétude. Gauche dure, droite dure, que valent les rigidités géométriques face à la troublante chimie d’une pâte d’homme, né pour déranger ?
Pour l’heure, côté Restauration naguère poignardante, on a arboré le silence de ceux qui ont intérêt à réfléchir à deux fois. Et s’il y avait pacte des loups ? On te laisse revenir, toi ou un homme à toi, et en échange tu nous aides à reconquérir le deuxième siège PDC, au détriment des radicaux.
Fantasmes ? Sûrement. Poussières d’Empire, illusions de la résurgence. Très peu de chances, en effet, pour lui. Et sans doute, au bout de ce chemin-là, Waterloo. Mais un homme de guerre est un homme de guerre. Rien, jamais, ne l’apaise. Rien. Et surtout pas la quiétude un peu bouffie des notables.
Pascal Décaillet
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Vincent Pellegrini, l’un des meilleurs des nôtres
Depuis plusieurs années, je considère mon confrère Vincent Pellegrini, rédacteur en chef adjoint du Nouvelliste, comme un journaliste d’une rare qualité en Suisse romande. Pourquoi ? – Parce qu’il est un homme seul. Il a des convictions, très fortes, n’a nulle peur de les afficher. Il se fiche comme d’une guigne de tout ce qui fleure la mode, jusqu’à la plus frêle paramécie de modernisme, ou l’idéologie du progrès, qu’il voit et entend bêlante comme agneaux byzantins. Il est un peu fou, comme nous le sommes tous, comme l’était Léon Bloy, l’Imprécateur, comme le sont tous les minoritaires, de gauche comme de droite, croyants ou athées, qui grattent le papier contre l’esprit du temps. Sa plume est simple et précise, toujours soucieuse d’informer.Eh oui : Vincent Pellegrini, avant que d’être catholique pratiquant (ce qui relève bientôt du Code pénal), passionné d’Histoire religieuse, avant d’être l’un des rares éditorialistes de droite de ce coin de terre, osant s’assumer comme tel, et dans toute la palette culturelle de ce choix politique, avant tout cela, Vincent est un journaliste. Son blog, très étoffé (http://religions.blog.lenouvelliste.ch/), l’un des rares lieux où on ose encore nous parler du culte marial, nous livre avant tout des faits, des informations, amenées, expliquées, mises en contexte. Puis aussi des commentaires, toujours nourris de compétence. On partage ou non ses analyses, mais il y a du solide, du répondant.
Homme de droite, Valaisan, catholique de tendance plutôt conservatrice : on en fusille éditorialement pour moins que ça, dans la moderne pâleur de nos aubes ! Notre superbe cumulard, que je soupçonne un peu de désirer les flèches comme Saint Sébastien en son martyre, a donc eu droit, tout récemment, à une philippique d’une rarissime finesse, dans le « Peuple valaisan », l’hebdomadaire socialiste de ce canton, dont je vous laisse apprécier le merveilleux esprit d’ouverture et de tolérance :
« C’est le rédac’ en chef adjoint du Nouvelliste (un petit chanoine agressif et teigneux qui a dû recevoir, petit, le calendrier liturgique avant son abécédaire) qui nous gratifie ce vendredi (veille de Toussaint) d’un merveilleux “Non-dits” sur le dernier bouquin post-mortem de Soeur Emmanuelle, récemment canonisée saint patronne des onanistes. Passe encore qu’il lui pique la moitié du texte de son article (si à Halloween on peut même plus détrousser les cadavres encore fumants, on va le faire quand?) mais qu’on mette son charabia d’illuminé en page “Suisse”, moi ça me laisse perplexe… (…) Peut-être que Vincent c’est un gros feignant qui n’arrive pas à lâcher son missel pour s’intéresser à son boulot de journaliste? ».
Je ne connais pas le ci-devant Boris Michel, signataire de ces lignes, et ne brûle pas d’impatience de déboucher un blanc surmaturé en sa compagnie. Mais je m’interroge : les responsables du « Peuple valaisan », hebdomadaire socialiste, le parti des gentils, des tolérants et des donneurs de leçons, ont-ils relu ce texte avant parution ? Si oui, quel signal ont-ils voulu donner ? Affaiblir la « nouvelle orientation de droite » du Nouvelliste, courageusement défendue par le rédacteur en chef, Jean-François Fournier ? Si c’est le cas, c’est étonnant : les socialistes, hommes de gauche, devraient se féliciter d’avoir face à eux un vrai journal conservateur. A moins – je n’ose imaginer cette hypothèse – qu’ils ne croient déjà advenu, en forme de parousie, un monde dégagé de l’Histoire et de ses luttes, où la noirceur de la nature humaine aurait enfin cédé la place à la blanche enfance des anges.Bref, Vincent, et aussi Jean-François, je n’ai qu’un mot à vous dire : n’ayez pas peur. Et battez-vous.
Pascal Décaillet
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