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Liberté - Page 1197

  • « On ne permet de dire qu'à celui qui ne peut rien »

     

     

    Suite de mes entretiens avec le jeune écrivain Grégoire Barbey - Jeudi 19.07.12 - 16.22h

     

     

    GB - Pascal, en rapport avec le titre de votre blog, pourriez-vous me parler de la liberté ? Qu'incarne-t-elle à vos yeux ? Et quelle est-elle ? Ce sont des questions, vous qui aimez l'Histoire, qui ont traversé les âges sans jamais n'avoir trouvé ne serait-ce qu'une réponse satisfaisante...

     

    PaD - Je ne suis pas philosophe, et serait bien incapable d'en donner une explication philosophique. La création de mon blog coïncide à peu près avec l'époque où j'ai créé mon entreprise, acquis des locaux et du matériel, et même (plus tard) engagé des collaborateurs. En clair, je me suis lancé dans le vide, comme entrepreneur indépendant. L'une des multiples acceptions de ce mot, « liberté », pour moi, c'est cela. Il y a du vertige et du risque. J'aime.

     

    GB - Je pense que nous philosophons toutes et tous, à notre manière. Oui, votre entreprise est une forme de liberté. Je me suis toujours interrogé sur ce mot, qui tient à cœur à tant d'êtres humains, mais qui pourtant n'a aucun fondement. Je suis comme Einstein dans ce dilemme, je ne crois pas à la liberté, car cela supposerait que nous sommes vierges de tout déterminisme extérieurs et de nécessités intérieures. Insoluble, au fond.

     

    PaD - Tant de choses nous déterminent, c'est sûr. Mais pour la part qui dépend de nous (Epictète), il vaut absolument le coup d'élargir au maximum le champ du possible. Au risque de vous décevoir, je suis peu au parfum des puissantes réflexions des philosophes sur la liberté. Mais très concerné par le frottement mesurable de l'Histoire : liberté de la presse, liberté d'expression, liberté de commerce. Les trois, avec une étonnante simultanéité, apparaissent autour de la Révolution française. Y compris dans nos cantons romands.

     

    GB - Les philosophes grecs ne discutaient pas de la liberté. Pour eux, elle était acquise. Or, en parler revenait à la remettre en question. Cette liberté de la presse, n'est-elle pas également déterminée par certains rapports de force, notamment financiers ? Tout n'est pas entièrement libre. Nous pouvons nous exprimer, mais nos blocages intérieurs ne nous feront pas dire ce que nous ne voulons pas. Par crainte. Tout cela relève d'une extrême complexité.

     

    PaD - Admettons qu'aucun journal ne soit totalement libre. Soit par la rigidité d'une charte rédactionnelle. Soit, en effet, par la nature des actionnaires. Certes. Mais, dans les grandes lignes, la presse de nos pays est une presse libre. Et c'est une chance inouïe que nous avons, quand on se compare à tant d'autres pays. Quant à nos blogs - le mien, le vôtre - nous sommes très libres de nos propos, non ?

     

    GB - Ah, si seulement ! Il y a, derrière ces blogs, des yeux qui scrutent, qui épient. J'avais, il y a quelques mois, publié un article. Censuré. Alors, cette liberté, permettez-moi de ne point y adhérer.


    PaD - Elle n'est jamais totale ! Mais rien, dans la vie, n'est total. Rien n'est absolu. C'est sans doute pour cela que j'ai toujours préféré la lecture des livres d'Histoire, avec la réalité tangible de ce qu'ils montrent, à celle des philosophes. Je parle ici de mes lectures non-littéraires, vous l'avez compris. A ce propos, si jamais l'Histoire récente de l'Italie vous intéresse, je vous recommande absolument la monumentale biographie de Mussolini par Pierre Milza, chez Fayard.

     

    GB - Oui, l'Histoire de l'Italie m'intéresse, je note votre conseil. Elle est le berceau de l'Europe telle que nous la connaissons aujourd'hui, avec la Renaissance, et la transgression de valeurs séculaires dont elle fut l'instigatrice. C'est cette forme-là de liberté que j'apprécie. Secouer les esprits immobiles. Interroger les certitudes. Non rien, en effet, n'est absolu. À part peut-être les mots.

     

    PaD - A votre âge, en 1979 (où j'ai passé mon été à Losone !), je ne disposais strictement d'aucun espace éditorial. J'écrivais déjà des articles au Journal de Genève certes, mais c'étaient des piges, évidemment pas des éditos. Et vous, en début de carrière, vous jouissez déjà avec votre blog, qui est de bonne facture, d'une liberté quasi-totale d'expression dans l'espace public. Vous vous rendez-compte de la chance que vous avez ?

     

    GB - Oui, je m'en rends compte. Et j'essaie d'employer cette liberté à bon escient, en la portant dans tous les domaines susceptibles de m'intéresser. J'en suis reconnaissant, mais quelque part, me revient toujours en tête la phrase de Denis Diderot par laquelle je conclurai : « La liberté d'écrire et de parler impunément marque, soit l'extrême bonté du prince, soit le profond esclavage du peuple. On ne permet de dire qu'à celui qui ne peut rien. »


    PaD - Magnifique citation ! Mais un conseil : n'attendez jamais, en matière éditoriale, qu'on vous « permette » quoi que ce soit. La liberté, prenez-la. Arrachez-la. Ne demandez rien à personne. Foutez-vous de l'avis de vos pairs, et même de vos proches, de vos amis. Soyez un emmerdeur. Une sale tronche. Il me semble d'ailleurs que vous avez, dans cet ordre-là, plutôt bien commencé. Continuez !

     


    GB + PaD

     

     

     

  • Journalisme politique

     

    Sur le vif - Jeudi 19.07.12 - 09.55h

     

    Toute ma vie, je me suis battu pour le journalisme politique. Celui qui parle des affaires de la Cité, met en débat les énergies contradictoires, fait connaître au public les enjeux citoyens et les acteurs de la politique, décrypte leurs intentions, commente leurs décisions. Partout où je suis passé (Journal de Genève, Radio Suisse Romande, radios et TV privées), j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour qu'existent des pages, des émissions où l'on parle de politique. Ce combat, à l'intérieur des rédactions, n'est jamais gagné d'avance. Il est même le fruit d'un travail de persuasion qu'on peine à imaginer.

     

    Pourquoi ? Parce que le politique, au sens large, disons l'intérêt pour les grandes aventures communes, les institutions, l'Histoire, les assurances sociales, les combats syndicaux, le choc des idées, n'est pas nécessairement l'obsession prioritaire des rédactions. Depuis un quart de siècle, le journalisme dit « de société » a gentiment phagocyté les paginations, pas toujours pour le meilleur. Ne parlons pas du « people », qui a transformé, ces dernières années, l'un de nos bons journaux populaires romands en une véritable machine à tout dire, à commencer par n'importe quoi, sur la vie privée des gens. Pour ma part, je ne supporte tout simplement pas cela.

     

    Lancer une émission politique, dans un média, que ce soit Forum à la RSR ou « Genève à chaud », sur Léman Bleu, ou bien d'autres encore, nécessite d'abord de persuader ceux qui vous font confiance, parfois contre l'avis de nombreux pairs, qui maugréent en ruminant que « la politique, ça n'intéresse personne ». Le seul moyen de leur prouver le contraire, c'est évidemment de faire l'émission, et de se battre pour qu'elle réussisse. Affirmer que ce combat est mobilisateur de toutes les énergies, c'est peu dire, et sûrement pas assez par rapport à la réalité, qui est dévorante.

     

    Mais enfin, les résultats sont là. Depuis qu'existe Forum (et le défi a été parfaitement poursuivi après mon départ), on n'a jamais autant parlé de politique, sur les ondes, en Suisse romande. Depuis qu'existe « Genève à chaud », on n'a jamais autant parlé de politique à Genève. On aime ou pas, certains détestent, d'autres adorent, mais les faits sont là : le champ du débat politique a été considérablement augmenté. La presse écrite, d'ailleurs, mise en concurrence par ce style d'émissions, a superbement réagi en lançant ses sites « online », attaquant de front l'audiovisuel sur sa vertu cardinale : la rapidité de l'information. Et cette concurrence, entre les rédactions, est formidablement stimulante.

     

    Une chose encore : la part d'émission citoyennes, et de débats politiques, dans les TV privées (Léman Bleu, La Télé, Canal 9) par rapport aux mêmes segments du service dit public. Elle est infiniment supérieure ! Alors que la RSR diffuse Formule 1 et séries américaines, ainsi qu'un nombre incalculable d'émissions n'ayant strictement rien à voir avec le service public, ce sont les privés, paradoxalement, qui augmentent, d'année en année, le champ du débat citoyen. Et culturel. Et sportif, sur leurs zones de diffusions : regardez comme Léman Bleu, par exemple, donne la parole aux petits clubs locaux, aux acteurs sportifs d'ici. Des milliers d'entre eux y passent, chaque année. Idem sur La Télé. Idem sur Canal 9.

     

    Toute ma vie, là où je serai, que ce soit sur le papier, dans les ondes radio ou TV, et de plus en plus sur internet, je continuerai de me battre pour la présence de la politique. Parce qu'elle me passionne depuis la campagne présidentielle de décembre 1965, parce que je ne remercierai jamais assez mes parents de m'avoir abonné au Nouvel Observateur dès l'âge de quinze ans, parce que je connais très bien la politique en Suisse, et ceux qui la font. Parce que j'aime ce pays, son Histoire, ses 26 Histoires cantonales, sa fragilité. Parce que je veux croire en l'action politique. En déceler, de la gauche à la droite, les jeunes talents. Toute ma vie, oui, comme journaliste, je conduirai ce combat.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Ethique - Et toc !

     

    Suite de mes entretiens avec le jeune écrivain Grégoire Barbey. Ce matin, considérations physiques sur des personnes dites morales. - Mercredi 18.07.12 - 10.37h.

     


    GB
    - Parlons éthique, parlons finance. En ce moment, nos journaux le font à tort et à travers. Les dossiers cachés se pressent aux portillons du faisceau médiatique. Pourquoi en sommes-nous arrivés à un tel degré d'individualisme, dans notre société actuelle ? Où sont les valeurs que nous lisons dans les livres d'Histoire ?



    PaD
    - Ah, les faisceaux, ma jeunesse ! Sur le triomphe de l'individualisme, il y a la responsabilité de plusieurs générations. Peu de discours, ou de réflexions, sur nos valeurs communes, ce qui nous fédère. La République, par exemple. De moins en moins de culture historique (on y revient) sur la lente, magnifique et ô combien conflictuelle construction de ces valeurs. Tenez, l'émergence de l'AVS, en Suisse, en 1948, et la bagarre politique qui l'a accompagnée, devraient être un sujet d'étude obligatoire.



    GB
    - Il y a également une question de pouvoir. Ces banques qui agissent contre l'intérêt du plus grand nombre, c'est une responsabilité politique. S'il y avait eu une réelle volonté de légiférer davantage sur leurs faits et gestes, peut-être n'en serions-nous pas là. Ceux qui les gèrent n'ont fait que profiter d'un système lacunaire. Au fond, c'est humain. Triste et effroyable, mais profondément humain.



    PaD
    - Mais l'humain a en lui quelque chose d'effroyable ! Lorsque tout va bien, on est très heureux de laisser prospérer les banques, en fermant les yeux sur leurs dérives. Que vienne l'orage, et les mêmes qui laissaient faire (oui, les mêmes) nous font la grande leçon sur l'éthique. Cela dit, la banque n'est en soi ni ange, ni démon. Juste ce que certains en font ! Les mêmes (oui, les mêmes) qui nous servent le sermon sur la responsabilité individuelle.



    GB
    - Oui, l'humain a sa part d'ombre et de lumière. Il n'est ni tout noir, ni tout blanc, mais fait de nuances. Or, les banques, comme les entreprises, sont par essence amorales. Elles ont un but commun : le profit. Le reste, ce n'est qu'une question de laxisme. Si nous leur laissons le champ libre, elles en profiteront. C'est normal. D'ailleurs, peut-on, juridiquement, nommer les entreprises des « personnes morales » ? Sacré paradoxe !



    PaD
    - C'est une très belle chose, pourtant, qu'une entreprise. Surtout une PME. Devenir indépendant. Se lancer. Acquérir des locaux, du matériel. Engager des collaborateurs. Fonctionner avec eux sur l'estime et la confiance. Construire quelque chose ensemble. Le profit ? Oui, bien sûr, il faut gagner sa vie et celle des siens. Mais le premier profit est de voir l'entreprise durer, être reconnue, décrocher des mandats. Et sur le bénéfice net, contribuer par l'impôt au bien général. En ce sens-là, oui, l'entreprise est citoyenne.



    GB
    - Je n'en doute pas. Mais il y a une différence notoire entre ceux qui voient dans le profit le moyen de subvenir aux besoins des leurs et ceux qui en veulent toujours plus, qu'importe les conséquences qui adviendront pour autrui. Les deuxièmes sont sûrement moins nombreux, mais ils existent, et ont un pouvoir de nuisance relativement important. C'est pourquoi, malheureusement, il faut tempérer par des législations.



    PaD
    - L'Etat comme arbitre. Pas comme joueur. Il fixe les règles, mais c'est véritablement aux entrepreneurs de jouer. Une société avec l'Etat comme employeur unique n'est pas exactement celle de mes rêves ! Regardez la Révolution française: elle consacre à la fois la liberté d'expression, celle de la presse, et la liberté d'entreprendre. En cela, elle est une révolution bourgeoise, comme le montre si bien Tocqueville.



    GB
    - Évidemment, l'État ne doit pas rentrer dans l'arène. Je suis contre l'ingérence dans notre vie privée. Nos actes nous regardent, sauf si ceux-ci ont des externalités négatives pour le bien commun. C'est donc son rôle d'arbitrer certains rapports. Je ne m'opposerai jamais à la liberté d'entreprendre, j'y suis même favorable. Entreprenons une révolution citoyenne, demandons plus d'art et de littérature !



    PaD
    - Bonne idée. Mais je vous laisse. Je dois passer à ma banque.



    GB + PaD