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Liberté - Page 1194

  • La Constitution n'a rien à voir avec le patriotisme

     

    Sur le vif - Dimanche 05.08.12 . 13.17h

     

    « Le projet de nouvelle Constitution : un acte patriotique », titre, ici même, le 1er août 2012, le constituant socialiste Thierry Tanquerel. En tête d'un texte en forme de panégyrique des esprits éclairés (ceux qui voteront oui le 14 octobre) face à l'obscurité des opposants, adeptes « d'interprétations absurdes, voire de contrevérités pures et simples ». Bref, la Genève de l'intelligence, des Lumières et du progrès votera oui, « l'alliance objective » de la Nuit votera non. Rhétorique classique, juste un peu décevante lorsqu'elle émane d'un esprit brillant, diabolisation du non, relégation des opposants dans l'ordre de l'obscur. Géométrie de la pensée, tirée à l'équerre.

     

    Sauf que là, notre éminent mathématicien du Bien et du Mal franchit une étape supplémentaire : l'adoption du projet, écrit-il, serait « un acte patriotique ». Parce que l'intérêt de Genève y prévaut sur les calculs de boutique politicienne. Le partisan est donc un patriote, l'opposant un vulgaire boutiquier. De droite, ou de la gauche de la gauche. Au centre de tout, quelque part entre l'abscisse et l'ordonnée, vous obtiendrez la Raison triomphante de notre géomètre. Non seulement progressiste, mais patriote, s'il vous plaît.

     

    Non, M. Tanquerel, il n'y pas d'un côté le patriotisme positif des pour, de l'autre l'obscurité des contre. On peut voter la nouvelle Constitution, le 14, en étant patriote. On peut la refuser, en étant tout aussi patriote. Le patriotisme, à la vérité, n'a strictement rien à voir avec cette affaire de Constitution.

     

    Dans d'étranges conditions, je veux dire à froid, sans qu'il n'y ait nul péril en la demeure, ni Révolution, ni bouleversement des ordres comme dans la Suisse de 1848, ni fin d'une République comme dans la France de 1958, il a été question de doter Genève d'une nouvelle Charte fondamentale. Le peuple a accepté ce principe, c'est vrai. Une Assemblée s'en est occupée, elle a fait son travail, qu'elle en soit remerciée. Le souverain, le 14 octobre, dira oui ou non. Mais enfin, il n'y a dans cet enjeu rien de gravissime, rien qui relèverait d'une théologie du Mal ou du Bien, d'un bannissement des opposants. Rien, surtout, qui conférerait aux uns le statut de « patriotes », plutôt qu'aux autres.

     

    Je dois vous dire, M. Tanquerel, qu'en cas de non le 14 octobre, il est permis de penser qu'il y ait tout de même encore une aube le 15, et puis un soir, et puis encore un matin, et que la population genevoise ne sortirait pas davantage groggy par un refus qu'elle ne serait aux anges par une acceptation. Parce qu'au fond, voyez-vous, le peuple de Genève, cette histoire de Constitution, je ne crois pas que ce soit actuellement, en période économiquement difficile, avec des caisses de pension d'Etat à éponger, des licenciements dans le secteur bancaire, son obsession no 1.

     

    Il conviendra certes, comme pour toute votation, d'expliquer les enjeux. En donnant la parole à tous. Les partisans. Les opposants. Mais de grâce, laissons l'instinct patriote là où il est. Il n'appartient ni à la gauche, ni à la droite. Ni aux pro, ni aux anti. Ni aux progressistes, ni aux conservateurs. Il est du ressort intime de chaque cœur. Et nul n'a, dans ce pays, à se juger soi-même - on son camp idéologique - plus patriote qu'un autre.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Eveline et le néant

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 03.08.12

     

    Je n'ai certes, pour ma part, jamais attendu de Mme Widmer-Schlumpf qu'elle gravisse le balcon du Gouvernement Général, à Alger, s'empare du micro, et déclare nous avoir compris. Ni qu'elle se proclame Berlinoise. Ni qu'elle nous fasse le récit de la mort de Madame. Bref, il me semblait à peu près acquis que la présidente 2012 de la Confédération n'était pas nécessairement le prototype de l'orateur, celui qui nous emporte et nous envoûte. J'étais prêt à m'en accommoder. Jusqu'à ce 1er août. Oui, jusqu'à ce pénible alignement de mots qui, sans aller jusqu'au mot discours, ne mérite assurément même pas celui d'allocution. C'était juste rien. Au milieu de nulle part. Et encore, je suis sévère avec le néant.

     

    Je vous le dis tout de suite : qu'on ne vienne pas me parler de la langue. Il est parfaitement possible, dans une langue qui n'est pas la sienne, avec un peu d'exercice et d'effort sur les intonations, pour peu simplement qu'on veuille croire dans la vertu de la parole, d'être efficace, touchant, émouvant. Furgler, Ogi en français, Delamuraz dans son allemand à lui, qui n'était pas celui de Brecht ni de Thomas Mann, l'avaient montré. En plus, Mme Widmer-Schlumpf parle français, pas trop mal, elle comprenait donc parfaitement ce qu'elle lisait. Elle y a mis autant de cœur qu'un gardien de prison luthérien, en déprime pour cause personnelle, dans les pires années de la DDR.

     

    À la vérité, ces « allocutions » de 12.05h des conseillers fédéraux, à la RSR, ont toujours été, pour tout le monde, un abominable pensum. Pour les ministres eux-mêmes, pour leurs conseillers, et avant tout pour les auditeurs. Le ton de notre présidente, ce 1er août, était en retrait - et je pèse mes mots - par rapport au pire des tons du plus grisâtre des conseillers fédéraux dans les années cinquante. Et nous sommes en 2012 ! Et personne, dans son entourage, ni à la SSR, n'a jugé bon de lui dire que c'était catastrophique. Une honte radiophonique. Une cure de Valium gratuite. On a laissé passer « ça », par facilité, par convenance, par insensibilité aux règles les plus élémentaires de la rhétorique.

     

    Résultat : les Romands, qui déjà connaissent mal leur présidente grisonne, en ont, cette fois vraiment, l'image d'un éteignoir. Mme Widmer-Schlumpf, qui vaut sans doute beaucoup mieux que ce non-lieu sonore, n'en sort pas gagnante. La fonction présidentielle, non plus. C'est très dommage, parce que la politique, en Suisse, a justement besoin d'un peu de lustre et d'éclat. Le verbe, certes, n'est pas tout. Mais l'absence de verbe, c'est le début du néant. Il n'est écrit nulle part que l'efficacité politique passe par l'endormissement des consciences, le nivellement du ton, la mort du désir. Désert, donc, sur ce coup. Et colère.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Indivisible

     

    Sur le vif - 02.08.12 - 12.29h

     

    "Ce sont les Suisses d'origine étrangère, ceux qui ont trouvé une nouvelle patrie en la Suisse, qui parlent le mieux de la Suisse", déclarait hier, sur le Grütli, le président de la Société suisse d'utilité publique.


    Nul doute que les personnes dont parle M. Gerber parlent fort bien de ce pays qu'elles ont choisi et qu'elles aiment. Mais je n'aime pas cette manière de renverser le rejet de l'autre en laissant entendre qu'un Suisse de vieille date serait moins habilité à émouvoir, lorsqu'il évoque la communauté nationale.


    Et puis, surtout, à quoi bon créer des catégories de Suisses ? Il n'y pas de "Suisses d'origine étrangère", dans une saine conception républicaine de l'intégration. Il n'y a que des Suisses, tout court. A mes yeux, à partir de la minute où une personne obtient la naturalisation, elle est, de façon totale, ma compatriote. Elle a les mêmes droits, les mêmes devoirs que moi. Il m'est assez égal, au fond, qu'elle soit d'origine étrangère.


    La nationalité ne se divise pas. Il est tout aussi faux de se méfier des "Suisses d'origine étrangère" que... de les encenser particulièrement, Cher M. Gerber. Sauf à créer des communautarismes à l'intérieur de l'appartenance républicaine. Ce qui est le début de la fin.

     

    Pascal Décaillet