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Luc le Raisonneur

 

Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 21.12.12

 

Un français impeccable. Un débit rapide, trop. Une musique de phrase qui rappelle le piano mécanique, celui des saloons du Far West, qui lit des cartes perforées. Luc Ferry, qui était hier matin (jeudi) à la radio, parle bien, trop bien, surtout beaucoup trop vite. Il raisonne puissamment, s’écoute enchaîner les syllogismes, avec des « donc », c’est l’extase de la pensée démonstrative. D’aucuns adorent. Moi, comme souvent les philosophes lorsqu’ils pérorent, ça m’a toujours fatigué. Pas tous les philosophes ! Lorsque j’écoute François-Xavier Putallaz me parler de la montagne, je pourrais rester des heures dans le vertige de cette émotion, quelque part sur l’arête, entre base et sommet. Lorsque je lis Bachelard, ou les présocratiques, ou certains passages de Platon, je suis dans un sentiment proche de la poésie. Ne parlons pas de Simone Weil, la Pesanteur et la Grâce, ce livre qui vous transporte, vous arrache, vous ramène à la terre.

 

Luc Ferry est brillant. Il a réponse à tout, plus rapide que le vent, anticipe les questions, les pose lui-même pour gagner du temps. En plus, aimable, d’un commerce très agréable, toujours clair, le souci du grand public, il ne se camoufle pas derrière des mots savants. Presque un bonheur d’écoute. Pourquoi presque ? Parce que, dans ce mitraillage de la Raison démonstrative, il oublie le silence. Les pauses. Les soupirs, ou demi-soupirs. Les respirations. La suspension des points. Trop de notes ! Et il n’est tout de même pas Mozart. Parler, ça n’est pas seulement aligner des concepts, fussent-ils géniaux. C’est donner à entendre le murmure d’une voix, ou parfois son rugissement. Câliner, tonner, vrombir, insinuer, laisser croire, s’écouter, se reprendre, rire de soi. Dieu merci, la parole n’appartient pas aux seuls démonstrateurs. Elle en serait si triste, si grise.

 

Voyez comme je suis. J’étais parti pour parler du fond, l’humanisme républicain de cet homme qui me plaît infiniment, sa foi dans le capitalisme qui me convient déjà moins, sa culture magnifique, enfin rien à dire, j’ai passé un formidable moment à l’écouter. Et Simon Matthey-Doret, dans l’interview, était excellent. Et puis,  comme toujours, je reviens à la forme. Parce que son intervention était de la radio. Et qu’à ce média, j’ai l’oreille hyper-sensible. Ce qui nous retient, nous invite à l’éveil, s’agrippe à nous, ne nous lâche plus, voilà, je suis parqué, ma voiture est arrêtée, je n’ai plus qu’à sortir, et pourtant je reste. Ecouter jusqu’au bout le type qui nous parle. J’aime ça. Cette captation. Ce piratage. Comme un petit miracle de la parole, l’imprévu qui surgit, l’inouï qui se fait entendre. Dans ce registre-là, j’ai toujours préféré le murmure de la résonance à la puissance  des raisonnements. Parce que la radio doit être musique, silence, rythme, pulsations. Ou alors, n’être point.

 

Pascal Décaillet

 

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