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Liberté - Page 1182

  • L'armée française est magnifique. Et la nôtre ?

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 20.07.12



    Une armée impeccable, sans rien en elle qui suinte l'arrogance, non, juste une armée au service de la nation. C'est le sentiment que m'a donné le défilé du 14 Juillet, devant François Hollande et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. J'ai pensé à la France, son admirable Histoire, ses éclatantes victoires sur les champs de bataille, mais aussi la profondeur désespérée de ses défaites (mai-juin 1940), cette France « oscillant sans cesse de la grandeur au déclin » (Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre). Et puis, j'ai aussi pensé à mon pays, la Suisse, pour lequel j'ai tout de même fait, dans ma jeunesse, quelque 500 jours d'armée. Et je me suis demandé pourquoi notre voisin donnait l'impression d'un rapport plus simple que le nôtre avec ses forces armées, quelque chose de décomplexé, dont nous sommes loin.



    C'est tout de même paradoxal : la Suisse, nous sommes tous d'accord, se porte mieux que la France. Economiquement, financièrement, et même politiquement, grâce à une démocratie directe et un fédéralisme que beaucoup (à commencer par nombre de Français !) nous envient. Nous sommes, globalement, un peuple plus heureux (pour reprendre Denis de Rougemont), avons infiniment moins souffert de la guerre, n'avons pas eu à vivre l'humiliation d'une défaite (1940), d'une occupation, ni les tourments moraux des guerres coloniales. Pourtant, nous avons avec notre armée un problème que la France semble ne pas entretenir.



    Retour sur les Champs. Vous les avez vus, ces uniformes ? Ça vous a quand même une autre gueule que la bonne vieille tenue de sortie, ou de combat, de l'armée suisse. Des spahis à la Légion, des démineurs aux troupes de santé, des pompiers aux gendarmes, des zouaves aux légendaires régiments d'infanterie (dont certains datent de l'Ancien Régime), voilà des militaires, hommes et femmes, fiers de ce qu'ils sont. De la tenue, mais aucune arrogance, aucune posture dominatrice. Au contraire : tout est mis en scène pour mettre en évidence la primauté du pouvoir civil. L'armée française est un outil de la politique nationale, en aucun cas un but en soi. Et la population, qui applaudit, l'entend comme cela.



    L'armée suisse aussi, me direz-vous ! Mais alors, pourquoi cela se voit-il moins ? Pourquoi avons-nous toujours tant d'états d'âme face à notre chose militaire ? Pourquoi rechignons-nous à les montrer, nos régiments, dont certains sont pourtant admirables ? Il y a, bien sûr, l'aspect toujours obligatoire (contrairement à la France, depuis Chirac) de la conscription suisse. Mais cela n'explique pas tout. Nous avons un problème avec notre armée, pourtant bien meilleure, me semble-t-il, que celle de mon époque, avec ses colonels-banquiers qui semblaient davantage tenir au maintien de l'ordre social qu'à la défense du pays. Aurions-nous honte, petit pays fragile, de nos forces de sécurité ? Et si oui, pourquoi diable, je vous prie ?



    Pascal Décaillet

     

  • « On ne permet de dire qu'à celui qui ne peut rien »

     

     

    Suite de mes entretiens avec le jeune écrivain Grégoire Barbey - Jeudi 19.07.12 - 16.22h

     

     

    GB - Pascal, en rapport avec le titre de votre blog, pourriez-vous me parler de la liberté ? Qu'incarne-t-elle à vos yeux ? Et quelle est-elle ? Ce sont des questions, vous qui aimez l'Histoire, qui ont traversé les âges sans jamais n'avoir trouvé ne serait-ce qu'une réponse satisfaisante...

     

    PaD - Je ne suis pas philosophe, et serait bien incapable d'en donner une explication philosophique. La création de mon blog coïncide à peu près avec l'époque où j'ai créé mon entreprise, acquis des locaux et du matériel, et même (plus tard) engagé des collaborateurs. En clair, je me suis lancé dans le vide, comme entrepreneur indépendant. L'une des multiples acceptions de ce mot, « liberté », pour moi, c'est cela. Il y a du vertige et du risque. J'aime.

     

    GB - Je pense que nous philosophons toutes et tous, à notre manière. Oui, votre entreprise est une forme de liberté. Je me suis toujours interrogé sur ce mot, qui tient à cœur à tant d'êtres humains, mais qui pourtant n'a aucun fondement. Je suis comme Einstein dans ce dilemme, je ne crois pas à la liberté, car cela supposerait que nous sommes vierges de tout déterminisme extérieurs et de nécessités intérieures. Insoluble, au fond.

     

    PaD - Tant de choses nous déterminent, c'est sûr. Mais pour la part qui dépend de nous (Epictète), il vaut absolument le coup d'élargir au maximum le champ du possible. Au risque de vous décevoir, je suis peu au parfum des puissantes réflexions des philosophes sur la liberté. Mais très concerné par le frottement mesurable de l'Histoire : liberté de la presse, liberté d'expression, liberté de commerce. Les trois, avec une étonnante simultanéité, apparaissent autour de la Révolution française. Y compris dans nos cantons romands.

     

    GB - Les philosophes grecs ne discutaient pas de la liberté. Pour eux, elle était acquise. Or, en parler revenait à la remettre en question. Cette liberté de la presse, n'est-elle pas également déterminée par certains rapports de force, notamment financiers ? Tout n'est pas entièrement libre. Nous pouvons nous exprimer, mais nos blocages intérieurs ne nous feront pas dire ce que nous ne voulons pas. Par crainte. Tout cela relève d'une extrême complexité.

     

    PaD - Admettons qu'aucun journal ne soit totalement libre. Soit par la rigidité d'une charte rédactionnelle. Soit, en effet, par la nature des actionnaires. Certes. Mais, dans les grandes lignes, la presse de nos pays est une presse libre. Et c'est une chance inouïe que nous avons, quand on se compare à tant d'autres pays. Quant à nos blogs - le mien, le vôtre - nous sommes très libres de nos propos, non ?

     

    GB - Ah, si seulement ! Il y a, derrière ces blogs, des yeux qui scrutent, qui épient. J'avais, il y a quelques mois, publié un article. Censuré. Alors, cette liberté, permettez-moi de ne point y adhérer.


    PaD - Elle n'est jamais totale ! Mais rien, dans la vie, n'est total. Rien n'est absolu. C'est sans doute pour cela que j'ai toujours préféré la lecture des livres d'Histoire, avec la réalité tangible de ce qu'ils montrent, à celle des philosophes. Je parle ici de mes lectures non-littéraires, vous l'avez compris. A ce propos, si jamais l'Histoire récente de l'Italie vous intéresse, je vous recommande absolument la monumentale biographie de Mussolini par Pierre Milza, chez Fayard.

     

    GB - Oui, l'Histoire de l'Italie m'intéresse, je note votre conseil. Elle est le berceau de l'Europe telle que nous la connaissons aujourd'hui, avec la Renaissance, et la transgression de valeurs séculaires dont elle fut l'instigatrice. C'est cette forme-là de liberté que j'apprécie. Secouer les esprits immobiles. Interroger les certitudes. Non rien, en effet, n'est absolu. À part peut-être les mots.

     

    PaD - A votre âge, en 1979 (où j'ai passé mon été à Losone !), je ne disposais strictement d'aucun espace éditorial. J'écrivais déjà des articles au Journal de Genève certes, mais c'étaient des piges, évidemment pas des éditos. Et vous, en début de carrière, vous jouissez déjà avec votre blog, qui est de bonne facture, d'une liberté quasi-totale d'expression dans l'espace public. Vous vous rendez-compte de la chance que vous avez ?

     

    GB - Oui, je m'en rends compte. Et j'essaie d'employer cette liberté à bon escient, en la portant dans tous les domaines susceptibles de m'intéresser. J'en suis reconnaissant, mais quelque part, me revient toujours en tête la phrase de Denis Diderot par laquelle je conclurai : « La liberté d'écrire et de parler impunément marque, soit l'extrême bonté du prince, soit le profond esclavage du peuple. On ne permet de dire qu'à celui qui ne peut rien. »


    PaD - Magnifique citation ! Mais un conseil : n'attendez jamais, en matière éditoriale, qu'on vous « permette » quoi que ce soit. La liberté, prenez-la. Arrachez-la. Ne demandez rien à personne. Foutez-vous de l'avis de vos pairs, et même de vos proches, de vos amis. Soyez un emmerdeur. Une sale tronche. Il me semble d'ailleurs que vous avez, dans cet ordre-là, plutôt bien commencé. Continuez !

     


    GB + PaD

     

     

     

  • Journalisme politique

     

    Sur le vif - Jeudi 19.07.12 - 09.55h

     

    Toute ma vie, je me suis battu pour le journalisme politique. Celui qui parle des affaires de la Cité, met en débat les énergies contradictoires, fait connaître au public les enjeux citoyens et les acteurs de la politique, décrypte leurs intentions, commente leurs décisions. Partout où je suis passé (Journal de Genève, Radio Suisse Romande, radios et TV privées), j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour qu'existent des pages, des émissions où l'on parle de politique. Ce combat, à l'intérieur des rédactions, n'est jamais gagné d'avance. Il est même le fruit d'un travail de persuasion qu'on peine à imaginer.

     

    Pourquoi ? Parce que le politique, au sens large, disons l'intérêt pour les grandes aventures communes, les institutions, l'Histoire, les assurances sociales, les combats syndicaux, le choc des idées, n'est pas nécessairement l'obsession prioritaire des rédactions. Depuis un quart de siècle, le journalisme dit « de société » a gentiment phagocyté les paginations, pas toujours pour le meilleur. Ne parlons pas du « people », qui a transformé, ces dernières années, l'un de nos bons journaux populaires romands en une véritable machine à tout dire, à commencer par n'importe quoi, sur la vie privée des gens. Pour ma part, je ne supporte tout simplement pas cela.

     

    Lancer une émission politique, dans un média, que ce soit Forum à la RSR ou « Genève à chaud », sur Léman Bleu, ou bien d'autres encore, nécessite d'abord de persuader ceux qui vous font confiance, parfois contre l'avis de nombreux pairs, qui maugréent en ruminant que « la politique, ça n'intéresse personne ». Le seul moyen de leur prouver le contraire, c'est évidemment de faire l'émission, et de se battre pour qu'elle réussisse. Affirmer que ce combat est mobilisateur de toutes les énergies, c'est peu dire, et sûrement pas assez par rapport à la réalité, qui est dévorante.

     

    Mais enfin, les résultats sont là. Depuis qu'existe Forum (et le défi a été parfaitement poursuivi après mon départ), on n'a jamais autant parlé de politique, sur les ondes, en Suisse romande. Depuis qu'existe « Genève à chaud », on n'a jamais autant parlé de politique à Genève. On aime ou pas, certains détestent, d'autres adorent, mais les faits sont là : le champ du débat politique a été considérablement augmenté. La presse écrite, d'ailleurs, mise en concurrence par ce style d'émissions, a superbement réagi en lançant ses sites « online », attaquant de front l'audiovisuel sur sa vertu cardinale : la rapidité de l'information. Et cette concurrence, entre les rédactions, est formidablement stimulante.

     

    Une chose encore : la part d'émission citoyennes, et de débats politiques, dans les TV privées (Léman Bleu, La Télé, Canal 9) par rapport aux mêmes segments du service dit public. Elle est infiniment supérieure ! Alors que la RSR diffuse Formule 1 et séries américaines, ainsi qu'un nombre incalculable d'émissions n'ayant strictement rien à voir avec le service public, ce sont les privés, paradoxalement, qui augmentent, d'année en année, le champ du débat citoyen. Et culturel. Et sportif, sur leurs zones de diffusions : regardez comme Léman Bleu, par exemple, donne la parole aux petits clubs locaux, aux acteurs sportifs d'ici. Des milliers d'entre eux y passent, chaque année. Idem sur La Télé. Idem sur Canal 9.

     

    Toute ma vie, là où je serai, que ce soit sur le papier, dans les ondes radio ou TV, et de plus en plus sur internet, je continuerai de me battre pour la présence de la politique. Parce qu'elle me passionne depuis la campagne présidentielle de décembre 1965, parce que je ne remercierai jamais assez mes parents de m'avoir abonné au Nouvel Observateur dès l'âge de quinze ans, parce que je connais très bien la politique en Suisse, et ceux qui la font. Parce que j'aime ce pays, son Histoire, ses 26 Histoires cantonales, sa fragilité. Parce que je veux croire en l'action politique. En déceler, de la gauche à la droite, les jeunes talents. Toute ma vie, oui, comme journaliste, je conduirai ce combat.

     

    Pascal Décaillet