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Liberté - Page 1180

  • Le Matin dimanche, le journal qui vous invite à vous taire

     

    Sur le vif - Dimanche 04.11.12 - 10.05h

     

    J'ai toujours pensé que le rôle de la presse était d'interroger, critiquer, décrypter, démasquer le jeu du pouvoir. Porter le débat, plutôt que de le taire. Le Matin dimanche d'aujourd'hui, hélas, sur trois exemples instructifs, fait exactement le contraire.

     

    D'abord, le vif et salutaire débat lancé par Johann Schneider-Ammann sur les Maturités et l'apprentissage. À voir la levée de boucliers, depuis exactement une semaine (propos du conseiller fédéral dans la NZZ am Sonntag), de toute l'intelligentsia de gauche, des pédagogues en sandales, de tous les salariés des différents DIP de Suisse romande, il faut croire que le magistrat, jusqu’ici muet, a, en ouvrant pour une fois la bouche, touché juste.

     

    Il y a, dans notre pays, une véritable politique d’encouragement à l’apprentissage qui doit être mise en œuvre, de façon volontariste, séduisante, intercantonale, en y associant tous les partenaires. En ne s’attachant, dans l’édito, qu’à l’aspect maladroit des propos du conseiller fédéral, le Matin dimanche repousse le problème. Ou plutôt il le reconnaît, mais ôte immédiatement au chef du DFE toute compétence pour le traiter, ce qui est juste un peu ennuyeux, car JSA sera dès le 1er janvier notre nouveau ministre fédéral de la Formation. Au fond, le Matin dimanche ne reconnaît la pertinence des débats que lorsque c’est lui, dans la puissance contorsionnée de ses séances de rédaction, qui en décide les sujets.

     

    Deuxième exemple, Ecopop. Voilà une initiative dont la Suisse va beaucoup parler. C’est un grand débat national qui nous attend, autour de la démographie, l’occupation du territoire, la densité d’habitation sur le plateau suisse, le seuil critique, en millions d’habitants, avant que notre pays ne devienne tout simplement étouffant à vivre. Ces questions-là sont pertinentes. Il n’y a aucune raison d’en faire un tabou. Eh bien le Matin dimanche, avant même de nous présenter les enjeux de l’initiative, nous brandit textuellement (sic) la bête immonde, nous ressort les débats des années noires sur « l’Überfremdung ». Avant même que le grand débat national ne commence, le Matin dimanche cherche à le taire, en stigmatisant immédiatement les partisans de l’initiative.

     

    Le troisième exemple a le mérite de mettre lui-même en abyme le procédé que je décris plus haut. Dans sa chronique « Cher Oskar Freysinger », Peter Rothenbühler a au moins, lui, l’honnêteté intellectuelle de mettre à nu les méthodes du journal. Il reprend l’idée du conseiller national valaisan de récompenser fiscalement les contribuables qui passent leurs vacances en Suisse. Idée qu’il trouve bonne. Mais il avertit Freysinger : « Malheureusement, elle a un gros désavantage, votre idée : elle vient de vous ».

     

    Au moins, c’est clair. En quelques lignes aimablement tournées, c’est toute la tactique, toute la démarche et toute l’approche du Matin dimanche que Rothenbühler nous dévoile : les débats ne valent que s’ils sont portés par le volontarisme de la rédaction. Ou par les amis politiques agréés par la rédaction. Sinon, c’est simple, on les démolit. CQFD. Excellent dimanche à tous. Je vous retrouve cet après-midi, à Genève, au sujet de Monsieur B.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Genève: l'empire du miroir

     

    Sur le vif - Samedi 03.11.12 - 18.48h

     

    Le vrai pouvoir, à Genève, n’est pas celui qu’on croit. Il n’est pas incarné par un seul homme, ni par le Conseil d’Etat, ni par le Grand Conseil, ni par l’administration, même si ces entités, bien sûr, exercent des parcelles de puissance. Il n’est pas non plus exercé par les partis politiques, qui jouent leur rôle, pourraient le faire mieux, et dont la plupart des actuels présidents sont bien pâles et bien faiblichons, comme si les vrais ténors étaient ailleurs.

     

    Alors, il est où ? Nulle part, et partout. Il ne s’exerce pas de façon individuelle, malgré l’émergence, dans l’Histoire, de belles verticalités régaliennes (Grobet, Segond, bientôt Maudet), mais par la confluence mélangée, entrecroisée, de réseaux. Il est un pouvoir collectif, et je crois que cette essence corporatiste est profondément chevillée à l’Histoire de Genève. De la Compagnie des Pasteurs, avec juste à sa tête un Modérateur, aux associations professionnelles, de l’organisation du patronat à la Chambre économique, du Cartel intersyndical aux associations de maîtres ou de parents, sans parler du pouvoir judiciaire, rien à Genève ne peut s’accomplir seul.

     

    Il faut des appuis. Une toile de connaissances. Des centaines de soirées à boire des verres avec des copains, des milliers de mains à serrer. Oui, à l’époque des réseaux sociaux sur internet, Genève n’a de loin pas renoncé aux bonnes vieilles camaraderies tactiles, on se touche, on se tape sur l’épaule, sur la cuisse, on rigole un bon coup, on brise la marmite, et pour ceux qui, comme votre serviteur, étaient au régiment d’infanterie 3, on se raconte des souvenirs des nuits passées à se les geler, les cours d’hiver, dans le Val de Travers.

     

    Et même si vous êtes habité par le talent le plus pur, comme MM Grobet, Segond ou Maudet, vous ne ferez jamais rien de bon sans vous tremper régulièrement, et plutôt mille fois qu’une, dans le rite baptismal de cette camaraderie initiatique. La République, en superficie, n’est pas si grande, guère plus que la seule Commune de Bagnes. Alors, on se connaît. On se retrouve. On se touche, on se tapote : je me demande parfois si Genève n’est pas une immense chambrée, avec ses souvenirs, ses effluves. Plus vous allez vers le cœur de la Vieille Ville, plus le théâtre d’opérations est minuscule, plus vous êtes amené à ne rencontrer, désespérément, que les mêmes. Le Père Glôzu, lui, a tout compris, il y a trois décennies, en quittant le Bar Corona, à la Tour Maîtresse, pour monter se planter là, lui-même, de sa personne, au cœur du monde sensible. Les cercles concentriques, de son Café de l’Hôtel de Ville, il les laisse joyeusement virevolter autour de lui. De l’ombilic, il écoute les entrailles de Genève.

     

    Et puis, il y a ce tutoiement. Ils se tutoient tous ! Adversaires politiques ? Peut-être, mais dans le même comité associatif, camarades de commission, de sous-commission, copains de Conseil de fondation, d’administration, commensaux de tant de fondues. Et vous voudriez qu’ils se disent vous ! Le vrai pouvoir, à Genève, n’est pas vertical, mais se niche quelque part dans l’intrication d’une multitude d’affinités horizontales. Pour faire carrière, il faut simplement y être beaucoup. Beaucoup s’y montrer, Beaucoup toucher les gens, beaucoup tapoter, beaucoup tutoyer. C’est un jeu collectif, sauf qu’il n’y pas vraiment de règles, pas d’arbitre, pas de capitaine, pas de juges de touche. Mais le jeu, il faut en être. Il faut qu’on sache, partout, que vous en êtes. Genève est une galerie des glaces, l’empire du miroir. Bonne continuation à tous.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Cent ans du PDC: les racines et les ailes

     

    Edito publié ce matin en une du Giornale del Popolo, sous le titre "Profunde radici, rami al vento"


     
    Moi, Valaisan de Genève, petit-fils et neveu de catholiques conservateurs, on me demande d’évoquer ici, pour mes amis tessinois qui en connaissent un sacré bout, la démocratie chrétienne suisse, à l’occasion de ses cent ans ! Valais, Genève, Tessin, mais aussi Fribourg, Jura, Soleure, Suisse centrale et orientale, et tous les autres aussi : le PDC est partout ! Cent ans et six mois après sa création, le 22 avril 1912, à l’Unionsaal de Lucerne, le parti est vivant. Il n’est certes pas le premier du pays, ni même le deuxième, ni vraiment le troisième, mais il est bien là, dans le paysage. Avec la puissance entremêlée de ses racines. La force de la terre. L’ancrage profond de la Vieille Suisse, celle d’avant le Sonderbund, avant 1798, et même avant 1648. Cette Suisse-là, de Chiasso à Romanshorn, n’est pas morte. Elle a la vie beaucoup plus dure qu’on ne l’imagine : c’est le miracle du PDC.


     
    Il faut le rappeler aujourd’hui, le mot « PDC » ne date que de 1970. Auparavant, il y avait des noirs ou des jaunes, des catholiques conservateurs ou des chrétiens sociaux, tout se passait dans les cantons. D’ailleurs le parti national ne joue pas depuis si longtemps un rôle majeur, même s’il eut d’importants présidents, comme Flavio Cotti (1984-1986), Carlo Schmid (1992-1994), Doris Leuthard (2004-2006), et surtout l’actuel, Christophe Darbellay (depuis 2006).  La force du PDC, c’est le fédéralisme. La grande chance historique du parti, à travers les décennies, c’est la diversité de ses sensibilités cantonales.


     
    Pourquoi l’Histoire du PDC est-elle, avec celle des libéraux-radicaux, la plus passionnante ? Parce que tout ce parti est un incroyable mélange entre des valeurs communes (la Doctrine sociale de l’Eglise, promulguée en 1891 par Léon XIII, Rerum Novarum), oui des racines dans la profondeur de la terre, et toute l’immense diversité, aérienne, volatile, sensible au vent, des branches et des feuillages. N’oublions jamais que les mouvements chrétiens sociaux ou catholiques conservateurs, dans les cantons, sont nés d’une réaction. Après la défaite du Sonderbund (novembre 1847), la Suisse de 1848 a été conçue, imaginée, bâtie par des radicaux, en laissant largement de côté les vaincus catholiques. Oui, pendant 43 ans, on a « fait sans eux » ! Sept conseillers fédéraux radicaux sur sept : au moins, c’était clair ! Jusqu’à ce jour de 1891 (l’année de Rerum Novarum !) où le premier catholique conservateur, le Lucernois Josef Zemp, arrive au Conseil fédéral. Le début de la réconciliation. La fin du temps de la réaction (très vive, dans les cantons), le début de celui de la construction.


     
    A partir de là, au niveau national, les vaincus du Sonderbund prendront une part toujours plus grande à la vie politique du pays. Comment ne pas citer le Tessinois Giuseppe Motta, l’une de nos plus grandes figures suisses, conseiller fédéral de 1912 à 1940, cinq fois président de la Confédération ! Un conseiller fédéral, puis deux, et même trois pendant une courte période des années cinquante, puis à nouveau un seul à partir de la chute de Ruth Metzler (décembre 2003). « Mourir pour renaître », avais-je alors titré, anticipant sur le véritable travail de résurrection accompli par les présidents Doris Leuthard et Christophe Darbellay.


     
    Car aujourd’hui, la démocratie chrétienne suisse ne se porte pas si mal. Bien sûr, elle a perdu des plumes dans les vingt années d’ascension de l’UDC que nous venons de vivre. Mais le PLR aussi en a perdues. Et au fond, à y regarder de près, dans les cantons, les communes, au Conseil des Etats, le PDC est là. Il faut lui reconnaître un art de la survie, sans doute d’inspiration italienne, style Andreotti, qui force l’admiration ! Regardez-le, le Divo Giulio : il est toujours là, alors que Berlusconi va connaître la prison.


     
    Qu’on partage ou non les thèses du PDC, qu’on soit ou non exaspéré par sa souplesse, ou sa volatilité, ou son centrisme, dans certains cantons, lui permettant de toujours s’en sortir, il faut aujourd’hui considérer l’ampleur de l’apport de cette famille politique à la construction de notre pays. De très grands hommes, je pense bien sûr à Furgler, un engagement sans faille au niveau local, oui le PDC est bien là. Et sans doute, l’air de rien, pour pas mal de temps encore. Parce qu’il fait partie du paysage suisse. Bon Anniversaire !


     
    Pascal Décaillet