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Liberté - Page 1165

  • Genève: l'empire du miroir

     

    Sur le vif - Samedi 03.11.12 - 18.48h

     

    Le vrai pouvoir, à Genève, n’est pas celui qu’on croit. Il n’est pas incarné par un seul homme, ni par le Conseil d’Etat, ni par le Grand Conseil, ni par l’administration, même si ces entités, bien sûr, exercent des parcelles de puissance. Il n’est pas non plus exercé par les partis politiques, qui jouent leur rôle, pourraient le faire mieux, et dont la plupart des actuels présidents sont bien pâles et bien faiblichons, comme si les vrais ténors étaient ailleurs.

     

    Alors, il est où ? Nulle part, et partout. Il ne s’exerce pas de façon individuelle, malgré l’émergence, dans l’Histoire, de belles verticalités régaliennes (Grobet, Segond, bientôt Maudet), mais par la confluence mélangée, entrecroisée, de réseaux. Il est un pouvoir collectif, et je crois que cette essence corporatiste est profondément chevillée à l’Histoire de Genève. De la Compagnie des Pasteurs, avec juste à sa tête un Modérateur, aux associations professionnelles, de l’organisation du patronat à la Chambre économique, du Cartel intersyndical aux associations de maîtres ou de parents, sans parler du pouvoir judiciaire, rien à Genève ne peut s’accomplir seul.

     

    Il faut des appuis. Une toile de connaissances. Des centaines de soirées à boire des verres avec des copains, des milliers de mains à serrer. Oui, à l’époque des réseaux sociaux sur internet, Genève n’a de loin pas renoncé aux bonnes vieilles camaraderies tactiles, on se touche, on se tape sur l’épaule, sur la cuisse, on rigole un bon coup, on brise la marmite, et pour ceux qui, comme votre serviteur, étaient au régiment d’infanterie 3, on se raconte des souvenirs des nuits passées à se les geler, les cours d’hiver, dans le Val de Travers.

     

    Et même si vous êtes habité par le talent le plus pur, comme MM Grobet, Segond ou Maudet, vous ne ferez jamais rien de bon sans vous tremper régulièrement, et plutôt mille fois qu’une, dans le rite baptismal de cette camaraderie initiatique. La République, en superficie, n’est pas si grande, guère plus que la seule Commune de Bagnes. Alors, on se connaît. On se retrouve. On se touche, on se tapote : je me demande parfois si Genève n’est pas une immense chambrée, avec ses souvenirs, ses effluves. Plus vous allez vers le cœur de la Vieille Ville, plus le théâtre d’opérations est minuscule, plus vous êtes amené à ne rencontrer, désespérément, que les mêmes. Le Père Glôzu, lui, a tout compris, il y a trois décennies, en quittant le Bar Corona, à la Tour Maîtresse, pour monter se planter là, lui-même, de sa personne, au cœur du monde sensible. Les cercles concentriques, de son Café de l’Hôtel de Ville, il les laisse joyeusement virevolter autour de lui. De l’ombilic, il écoute les entrailles de Genève.

     

    Et puis, il y a ce tutoiement. Ils se tutoient tous ! Adversaires politiques ? Peut-être, mais dans le même comité associatif, camarades de commission, de sous-commission, copains de Conseil de fondation, d’administration, commensaux de tant de fondues. Et vous voudriez qu’ils se disent vous ! Le vrai pouvoir, à Genève, n’est pas vertical, mais se niche quelque part dans l’intrication d’une multitude d’affinités horizontales. Pour faire carrière, il faut simplement y être beaucoup. Beaucoup s’y montrer, Beaucoup toucher les gens, beaucoup tapoter, beaucoup tutoyer. C’est un jeu collectif, sauf qu’il n’y pas vraiment de règles, pas d’arbitre, pas de capitaine, pas de juges de touche. Mais le jeu, il faut en être. Il faut qu’on sache, partout, que vous en êtes. Genève est une galerie des glaces, l’empire du miroir. Bonne continuation à tous.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Cent ans du PDC: les racines et les ailes

     

    Edito publié ce matin en une du Giornale del Popolo, sous le titre "Profunde radici, rami al vento"


     
    Moi, Valaisan de Genève, petit-fils et neveu de catholiques conservateurs, on me demande d’évoquer ici, pour mes amis tessinois qui en connaissent un sacré bout, la démocratie chrétienne suisse, à l’occasion de ses cent ans ! Valais, Genève, Tessin, mais aussi Fribourg, Jura, Soleure, Suisse centrale et orientale, et tous les autres aussi : le PDC est partout ! Cent ans et six mois après sa création, le 22 avril 1912, à l’Unionsaal de Lucerne, le parti est vivant. Il n’est certes pas le premier du pays, ni même le deuxième, ni vraiment le troisième, mais il est bien là, dans le paysage. Avec la puissance entremêlée de ses racines. La force de la terre. L’ancrage profond de la Vieille Suisse, celle d’avant le Sonderbund, avant 1798, et même avant 1648. Cette Suisse-là, de Chiasso à Romanshorn, n’est pas morte. Elle a la vie beaucoup plus dure qu’on ne l’imagine : c’est le miracle du PDC.


     
    Il faut le rappeler aujourd’hui, le mot « PDC » ne date que de 1970. Auparavant, il y avait des noirs ou des jaunes, des catholiques conservateurs ou des chrétiens sociaux, tout se passait dans les cantons. D’ailleurs le parti national ne joue pas depuis si longtemps un rôle majeur, même s’il eut d’importants présidents, comme Flavio Cotti (1984-1986), Carlo Schmid (1992-1994), Doris Leuthard (2004-2006), et surtout l’actuel, Christophe Darbellay (depuis 2006).  La force du PDC, c’est le fédéralisme. La grande chance historique du parti, à travers les décennies, c’est la diversité de ses sensibilités cantonales.


     
    Pourquoi l’Histoire du PDC est-elle, avec celle des libéraux-radicaux, la plus passionnante ? Parce que tout ce parti est un incroyable mélange entre des valeurs communes (la Doctrine sociale de l’Eglise, promulguée en 1891 par Léon XIII, Rerum Novarum), oui des racines dans la profondeur de la terre, et toute l’immense diversité, aérienne, volatile, sensible au vent, des branches et des feuillages. N’oublions jamais que les mouvements chrétiens sociaux ou catholiques conservateurs, dans les cantons, sont nés d’une réaction. Après la défaite du Sonderbund (novembre 1847), la Suisse de 1848 a été conçue, imaginée, bâtie par des radicaux, en laissant largement de côté les vaincus catholiques. Oui, pendant 43 ans, on a « fait sans eux » ! Sept conseillers fédéraux radicaux sur sept : au moins, c’était clair ! Jusqu’à ce jour de 1891 (l’année de Rerum Novarum !) où le premier catholique conservateur, le Lucernois Josef Zemp, arrive au Conseil fédéral. Le début de la réconciliation. La fin du temps de la réaction (très vive, dans les cantons), le début de celui de la construction.


     
    A partir de là, au niveau national, les vaincus du Sonderbund prendront une part toujours plus grande à la vie politique du pays. Comment ne pas citer le Tessinois Giuseppe Motta, l’une de nos plus grandes figures suisses, conseiller fédéral de 1912 à 1940, cinq fois président de la Confédération ! Un conseiller fédéral, puis deux, et même trois pendant une courte période des années cinquante, puis à nouveau un seul à partir de la chute de Ruth Metzler (décembre 2003). « Mourir pour renaître », avais-je alors titré, anticipant sur le véritable travail de résurrection accompli par les présidents Doris Leuthard et Christophe Darbellay.


     
    Car aujourd’hui, la démocratie chrétienne suisse ne se porte pas si mal. Bien sûr, elle a perdu des plumes dans les vingt années d’ascension de l’UDC que nous venons de vivre. Mais le PLR aussi en a perdues. Et au fond, à y regarder de près, dans les cantons, les communes, au Conseil des Etats, le PDC est là. Il faut lui reconnaître un art de la survie, sans doute d’inspiration italienne, style Andreotti, qui force l’admiration ! Regardez-le, le Divo Giulio : il est toujours là, alors que Berlusconi va connaître la prison.


     
    Qu’on partage ou non les thèses du PDC, qu’on soit ou non exaspéré par sa souplesse, ou sa volatilité, ou son centrisme, dans certains cantons, lui permettant de toujours s’en sortir, il faut aujourd’hui considérer l’ampleur de l’apport de cette famille politique à la construction de notre pays. De très grands hommes, je pense bien sûr à Furgler, un engagement sans faille au niveau local, oui le PDC est bien là. Et sans doute, l’air de rien, pour pas mal de temps encore. Parce qu’il fait partie du paysage suisse. Bon Anniversaire !


     
    Pascal Décaillet
     
     

     

  • Le PDC et les feux éclatants de l'automne

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 26.10.12


     
    Cent ans ! La démocratie chrétienne suisse existe, elle vit, ici elle flamboie, là elle laisse miroiter ses braises. Elle a les couleurs de l’automne, au reste exceptionnelles par les journées que nous vivons. L’automne, ça n’est pas l’antichambre de la mort, les saisons simplement se succèdent, « Mourir pour renaître », avais-je titré ici même au lendemain de la non-réélection de Ruth Metzler (2003). C’est un parti étrange et fascinant, le réduire à l’état de Centre, de Marais, est totalement insuffisant. Il vaut à vrai dire beaucoup plus que cela, n’a pas à se définir par annulation physique de deux forces antagonistes. Il doit affirmer son existence propre, ses valeurs, son ancrage.


     
    Je ne vous ferai pas ici l’Histoire passionnante de ce parti, encore que je la connaisse par cœur, depuis la Doctrine sociale (1891) jusqu’aux réalités polymorphes de nos cantons d’aujourd’hui, parti centriste (limite gnangnan) à Genève, fier parti majoritaire en Valais, clairement conservateur dans les cantons de Suisse centrale, incroyablement ancré à Fribourg, dans le Jura, au Tessin, dans les Grisons, en Suisse orientale, et j’en oublie. Ça n’est certes pas, sur le plan national, le parti le plus fort numériquement, mais son attachement tellurique est tel, son rapport à la terre, aux familles, aux traditions locales, qu’il est sans doute l’un des plus inoxydables.
     


    On n’en a pas fini avec le PDC, sous toutes ses coutures et dans toutes ses composantes, avec ses contradictions, ses hésitations, sa volatilité. Terrestre et aérien, surgi des racines et pourtant si sensible au vent, enfant de cette double appartenance, robustesse et souplesse, voilà une aptitude à la survie qui mérite d’être saluée. Je dois vous dire, pourtant, que j’ai été un peu inquiet pour ce parti, jusqu’à l’arrivée de Doris Leuthard, et surtout de Christophe Darbellay. Avant ces deux-là, une succession de présidents nationaux insignifiants, centristes qui me faisaient penser aux montres molles de Salvador Dali, sans vision, sans rhétorique (depuis le départ du plus grand d’entre eux, Kurt Furgler), une politique indécise, bricolée, opportuniste. Je le dis ici, Christophe Darbellay a donné à ce parti une incarnation, une classe, un savoir-faire, une visibilité qui étaient absolument nécessaires pour demeurer dans la cour des grands.


     
    J’aime le PDC, pour ma part, lorsqu’il arrive avec des valeurs, solides, qui lui sont propres. Je le déteste lorsqu’il me donne l’impression d’atermoyer, chercher à tour prix le consensus comme but en soi, en réalité pour survivre dans tous les cas dans les allées du pouvoir. Je n’aime pas non plus ses tiédeurs. Ce parti a, dans son Histoire, sa philosophie, son expérience dans les cantons, largement  de quoi brandir un message original. Un peu moins convenable, un peu plus « mauvais garçon », il pourrait presque commencer à me plaire. Dans une autre vie. Bon Anniversaire.


     
    Pascal Décaillet