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Liberté - Page 1165

  • Claude Torracinta, notre modèle

     

    Sur le vif - Vendredi 01.06.12 - 09.17h

     

    Parmi les innombrables personnes qui, depuis six ans, me font l'amitié d'accepter mes invitations à « Genève à chaud », mon confrère Claude Torracinta est l'un de ceux qui m'honorent le plus. Depuis très longtemps, déjà pendant les longues années de Forum, ou même lorsque je produisais le 12.30h, ou les Matinales, cette intelligence lucide et vivifiante a toujours été d'une rare disponibilité pour venir commenter l'actualité, notamment française, mais aussi suisse.

     

    Aussi loin que remontent mes souvenirs d'enfance, le visage émacié, éclairé d'un œil brillant, de ce chevalier à la triste figure, m'a accompagné. Sur les écrans noir et blanc de notre première télévision, il était, naguère, le seul (à part les courses de ski, dont j'étais fou, mais que j'allais plutôt voir sur place, avec mon père) à retenir mon attention sur la TSR, alors que les débats politiques français, déjà, me fascinaient. Pourquoi ? Mais, simplement, parce qu'il DONNAIT DU SENS à l'actualité. Non seulement la rigueur, qui est chez lui une seconde nature, mais l'immédiateté du contexte, possible seulement grâce à sa vaste culture, notamment historique, et quelques milliers de lectures. Mettre en lien me semble l'une des fonctions cardinales du métier.

     

    Fin d'enfance, début d'adolescence : Temps présent. À l'époque, grande émission. Noir blanc. Des sujets, notamment de société, dont je n'avais jamais entendu parler. Car si j'ai eu, notamment sur le plan littéraire, des profs éblouissants, ils étaient assurément moins révolutionnaires face au non-dit de leur propre époque que pour décrypter Racine, ou Rimbaud, Francis Ponge ou René Char, Sophocle ou les fragments présocratiques. En ces années, au fond sublimes, à la fois lumière et cécité, connaissance et innocence, champ du possible et Murailles de Chine, le rendez-vous de Temps présent était une fenêtre sur le monde. Hors cela, je ne vivais et n'existais que pour les livres. Ce qui, d'ailleurs, me comblait.

     

    Je me souviens des premiers sujets sur l'homosexualité, sur les travailleurs immigrés en Suisse, le statut de saisonnier, je vous parle là d'il y a quarante ans. L'homme qui organisait cela, le rendait possible, c'était Claude Torracinta. Et les équipes, autour de lui. Cette fonction d'éveil et d'ouverture, il l'a gardée toute sa vie. Aujourd'hui, dans les trois ou quatre minutes de dialogue improvisé, entre lui et moi, complicité totale, construction à deux d'une séquence en direct, relances instinctives pour faire avancer l'information, c'est en lui le même souci d'ouverture et d'intelligence que je retrouve, à chaque fois.

     

    Merci, Claude. Et continuez à venir souvent nous éclairer.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Eric Zemmour clive, RTL décline

     

    Sur le vif - Lundi 28.05.12 - 13.29h

     

    Pathétique direction de RTL ! Face à une pression sans précédent pour qu'elle vire Zemmour, la voilà écartelée entre sa décision de foutre dehors le dérangeur, et son souci d'image : ne pas apparaître comme à la botte du pouvoir. Alors, n'osant dire tout de suite que Zemmour ne sera pas de la grille de la rentrée, donc qu'il est viré, elle affirme  « réfléchir depuis plusieurs semaines à une refonte de la tranche matinale » (sylvestre langue de bois), et reconnaît qu'elle juge le chroniqueur « trop clivant ».

     

    Clivant. J'ai entendu tellement de milliers de mots, dans ma vie, tellement aimé ceux de Verlaine ou de Paul Fort, tellement prêt à me damner pour le bonheur d'une syllabe. Mais « clivant » ! D'abord, le mot est d'une rare putridité, avec ce « v » perdu entre deux voyelles, l'impuissance de ce participe présent, le gérondif des lâches ! Il faut être plouc, immensément, pour user d'un tel vocable, avoir peur des vrais mots, peur de la vie, peur de soi-même. Un homme d'honneur ne dit pas « clivant ». Il vire Zemmour, peut-être, le tue, pourquoi pas, mais ne dit pas « clivant ».

     

    Or donc, braves gens, RTL ne veut plus de chroniqueurs « clivants ». Alors oui, avisse à la populace,  à tous les tièdes et tous les gentils, tous les sages analystes qui ont bien appris le code de la dissertation (thèse, antithèse, synthèse), tous les sulpiciens de la Sainte Prudence, tous les journalistes de cocktails qui ne veulent surtout se brouiller avec personne, oui, amis, postulez pour la succession Zemmour, à RTL. Et la rentrée sera belle, calme comme un matin d'automne. Il n'y aura plus ni frissons, ni narines. Il n'y aura plus que le bonheur clivant de l'ordre qui règne, sur les ondes.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Zemmour : et une tête qui tombe, une !

     

    Sur le vif - Dimanche 27.05.12 - 18.02h

     

    L'information est encore à prendre au conditionnel, mais il semble bien que mon confrère Eric Zemmour soit viré de la matinale de RTL. Si c'est faux, oubliez mon billet et pardonnez-moi de vous avoir fait perdre deux minutes. Si c'est vrai, c'est un signal catastrophique pour la liberté d'expression, trois semaines seulement après l'élection d'un socialiste à l'Elysée. Je suis assez âgé pour avoir connu les purges, dans la presse française, au moment de l'élection de François Mitterrand, en 1981. Allons-nous revivre cela ?

     

    Je dirais d'abord ici que Zemmour, depuis des années, m'exaspère. Je crois bien avoir été le premier, à la RSR, à lui donner la parole en Suisse romande, il y a une dizaine d'années, lorsque du Figaro, il nous régalait des coulisses de la vie politique française. L'écouter, à l'époque, nous susurrer des secrets d'arcanes, était délicieux. Mais le Zemmour chroniqueur, sur tous les plateaux, systématiquement contre le politiquement correct, est devenu à son tour, hélas, prévisible. Et sa puissance de feu, par absence de surprise et finalement formatage, a baissé.

     

    Mais enfin, Zemmour, qui est-ce ? Un chroniqueur. Une plume. Une voix. Un homme libre, indépendant, qui donne son avis. Vous me direz que, journaliste, je défends un confrère. Je vous répondrai oui, mais en ajoutant que c'est la liberté d'expression qui est en cause. Pas celle des journalistes en particulier : celle de toutes les citoyennes, tous les citoyens que nous sommes. La liberté de la presse n'est qu'un cas particulier de la liberté tout court, celle de penser, attaquer le pouvoir, le tourner en dérision, en dénoncer les inévitables excès. Ce bien inestimable, que nous devons aux Lumières, à la Révolution française, à tout le dix-neuvième siècle, dont 1848, est notre trésor à tous, pas seulement celui des journalistes et des chroniqueurs.

     

    Dans une chronique assassine, vipérine, Eric Zemmour a attaqué Mme Taubira. C'est qui, Mme Taubira ? C'est juste le Garde des Sceaux, le ministre français de la Justice, un poste considérable dans le gouvernement. "En quelques jours, Taubira a choisi ses victimes, ses bourreaux. Les femmes, les jeunes des banlieues, sont dans le bon camp à protéger, les hommes blancs dans le mauvais". A coup sûr, je n'eusse choisi ce genre de mots, pour ma part. Mais enfin, ce sont les siens, ils sont des lames de feu, flirtent avec la limite, la moitié de mes lecteurs diront qu'ils la dépassent, l'autre non.

     

    Tutoyer la frontière, la lame du rasoir, n'est-ce pas l'essence même de la chronique politique ? Qui est-il, Eric Zemmour ? Un chroniqueur ! Qui attaque-t-il ? Le pouvoir. Et pas n'importe qui : la titulaire de l'un des ministères les plus régaliens, avec l'Intérieur. Alors, je dis ici à tous ceux qui, déjà, se frottent les mains de la chute de Zemmour, qu'ils se réjouissent de quoi ? De la victoire d'un pouvoir sur l'émetteur d'une opinion, d'une critique. On peut aimer ou non ce pouvoir, on peut détester le chroniqueur, vomir ses idées, on aurait tort, immensément, de considérer comme une victoire la réduction d'une parole au silence.

     

    Pascal Décaillet