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Sur le vif - Page 745

  • Koltès, la Haute Route du langage

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    Sur le vif - Vendredi 15.05.15 - 17.23h

     

    Au centre de l’œuvre de Bernard-Marie Koltès (1948-1989), il y a, comme une essence rare dans une serre tropicale, l’extrême qualité d’une langue. La haute couture d’un style. Quelque chose qui se donne à lire, mais surtout à écouter. Ecrire, ne pas écrire, tisser le verbe, ou le laisser à sa liberté sauvage, le jeu de relations entre ces choses-là m’a toujours questionné, j’y pense sans arrêt. Certains textes semblent taillés pour la haute voix, comme des sentiers de haute route : ceux de Koltès en font partie. Il vaut absolument la peine de se déplacer dans un théâtre, « écouter » ce souffle et ce rythme, ces respirations. Les mots sont simples, n’excluent personne. Da la très haute couture, prête à porter chacun d’entre nous.

     

    Hier, à la représentation de « Roberto Zucco » par les Ateliers Théâtre des Collèges Candolle et Calvin, mise en scène de Carlo Gigliotti, j’ai été saisi par la qualité de diction des jeunes acteurs. Il ne faut plus venir nous parler de « texte difficile », auquel un adolescent n’aurait pas prise : avec de l’intelligence, du travail, de l’attention, on peut amener des collégiens à « incorporer » avec une rare majesté des monologues de feu. Il n’existe pas de texte difficile. Il n’y a que des peurs ou des lâchetés à les aborder, des paresses, des renoncements. Nous avons tous le souvenir immense de ce prof de banlieue qui faisait jouer Racine par des élèves défavorisés. Le dire, avant que le jouer. « Incorporer » : faire passer par le corps le verbe de l’auteur. Koltès, comme Racine, comme Claudel, est exactement fait pour cela : il transperce les corps, pour mieux nous atteindre.

     

    Alors oui, ces adolescents de Candolle et de Calvin sont magnifiques. Et avec eux, toute la troupe. La Gamine. La Dame. Le Grand Frère, qui chante, et livre sa sœur à un maquereau. Et bien sûr, les deux Zucco. Chacun dans son genre. Chacun, porté par l'invisible mystère de sa nature. Le premier (Abel), comme troublé par l’intensité de son propre personnage. Le second (Viktor), carrément incroyable, laissant monter en force, au plus profond de lui, l’héroïque solitude du personnage, jusqu’à la scène finale, en tueur christique, sur le toit de la prison. Dans la lumière. C’était hier le Jeudi de l’Ascension.

     

    Il vous reste ce soir, 21h, Auditoire Frank-Martin, pour voir la quatrième et dernière représentation. Sinon, l’œuvre de Bernard-Marie Koltès, c’est aux Editions de Minuit. A haute voix. Dans le noir. Ou dans la lumière.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Communes 2020 : la proportionnelle s'impose

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    Sur le vif - Jeudi 14.05.15 - 17.27h

     

    Pour 2015, c’est joué, on n’y revient pas. Nos 45 communes ont leurs autorités pour soixante mois. Cinq ans. Je n’ai pas voulu, en pleine campagne, lancer une réflexion sur le mode de scrutin : on ne met pas en question les règles pendant le jeu. Mais maintenant, chacun d’entre nous est libre, chaque citoyen, de tirer les leçons de ce qu’il a vu pendant cette campagne électorale, et d’imaginer, à haute voix, des réformes. J’en préconise, très clairement, une : élire les magistrats communaux à la proportionnelle, en un tour. Cette élection pourrait avoir lieu en même temps que celle des délibératifs, il y aurait donc un seul tour, en tout. Je parle ici de 2020 : nous avons donc largement le temps d’y réfléchir.

     

    Pour être franc, je n’ai pas exactement compris pourquoi il fallait deux tours pour élire les exécutifs des communes. Pourquoi le peuple ne désignerait-il pas, de façon simple, claire, à la proportionnelle, en un seul tour, les membres des Mairies ? Pour la Ville de Genève, les cinq premiers siégeraient. Pour les autres communes, les trois premiers. Punkt. Schluss.

     

    Car enfin, le système actuel, majoritaire à deux tours, est tout de même singulier. On vote une première fois, avec un trio gagnant (ou, en Ville de Genève, un quintet). Et puis, on vous dit que c’est pour beurre, ça ne compte pas, c’était juste un galop d’essai. Alors, on remet tout à zéro, et on recommence. Et entre les deux tours, ce moment où le citoyen commence à en avoir marre parce que ça devient trop long, c’est l’âge d’or des cuisines politiques, l’Eden des états-majors, le grand moment des arrière-boutiques, le paradis des maquignons. Qui, derrière votre dos, entre eux, souvent au détriment du sens, concoctent ce qu’on appelle pudiquement des « alliances ».

     

    Il existe certes des alliances « naturelles », encore que je méfie du concept de nature en politique. Mais il en est d’autres, on l’a bien vu, et on en a assez parlé, totalement biscornues. On les justifie comme on peut, camouflant le plus souvent sous le paravent de la morale ce qui n’est, en réalité, que manœuvres tactiques pour faire passer les siens. Cela, tout le monde le sait, le voit, nul n’en est dupe.

     

    Et voyez-vous, tout cela me rappelle la chimie. Il existe des métaux plus ductiles que d’autres. Plus aptes à s’allier. Il en va de même pour les partis. Et on ne cesse de nous chanter les louanges de cette aptitude à l’alliance, comme si elle était un but en soi, une vertu cardinale de la politique. Je ne partage absolument pas ce point de vue, et vous le savez pour me lire depuis longtemps. Pour moi, ce qui compte, ce sont les valeurs intrinsèques d’un parti. Et non sa capacité à s’en aller, à la première occasion, conter fleurette à un autre. Parce que cette fleurette, ou ce flirt, ou cette idylle, nul n’en est dupe : elle n’est là que pour un temps bien plus ténu, encore, que dans la chanson de Michel Delpech. Elle n’est là que pour assouvir le cynisme des ambitions. Au détriment du sens. De la fierté. De la verticalité. Je n’aime pas ces manières. Ni dans les partis, ni chez les gens.

     

    A cet égard, une réflexion sur l’introduction de la proportionnelle dans l’élection des exécutifs communaux me semblerait une piste intellectuellement intéressante. Même si je peux déjà vous dire comment les choses vont se passer : les partis marginalisés, ce printemps, par le système, iront peut-être dans mon sens. L’alliance des autres les combattra. Et au final, rien ne changera. La ductilité l’aura emporté sur la force intrinsèque : c’est une loi de la politique chez nous. Eh bien, comme dirait Garcin à la fin d’une célèbre pièce de Sartre, continuons. La pièce s’appelle « Huis clos ». On y demeure délicieusement entre soi. Pour l’éternité.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les Artificiers du Matin Calme

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    Sur le vif - Mercredi 13.05.15 - 17.33h

     

    Exécuté au canon anti-aérien. Le Matin Calme, réveillé en trombe par un tir de DCA, dirigé contre le ministre de la Défense, lui-même. La méthode est raffinée, elle réhabilite avec une rare délicatesse l’usage d’une arme dont on parle un peu moins, en Europe, depuis la signature de la capitulation par les Allemands, le 8 mai 1945. Mais jusqu’à cette date, dans le ciel de Berlin, elle faisait, comment dire, fureur.

     

    Exécuté à la DCA, pour avoir juste un peu somnolé pendant un défilé militaire. C’est un peu rude, évidemment, surtout quand on pense qu’un Moritz Leuenberger, par exemple, a roupillé quinze au Conseil fédéral, continue dans d’augustes conseils d’administration, et que nul ne songe à lui en chercher la moindre noise. Le Soir de sa carrière, tout comme le Zénith, aura été tout aussi calme que le Matin des lointaines Corées.

     

    Et puis, pensez-vous, s’il fallait passer à l’arme lourde tous les responsables, en Suisse, qui, peu ou prou, somnolent dans leurs fonctions… Ou se contentent juste de gérer. Ou d’administrer. Ou de cadastrer. Ou de distribuer des prébendes culturelles aux oboles tendues des associations, chaque décembre, entre Saint-Nicolas et Noël. Vous imaginez : le ciel de notre pays ne serait plus qu’un feu croisé de missiles. Ce serait tous les jours le 1er Août. Ou pire : les Fêtes de Genève. Mais je vous laisse. Mes paupières, rien que d’imaginer la scène, se font pesantes. Et demain, j'aimerais conserver quelque légèreté. Pour l'Ascension.

     

    Pascal Décaillet