Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sur le vif - Page 745

  • Waterloo, le romantisme, les Allemands

    Fr._Zone_W%C3%BCrttemberg_1947_02_Friedrich_H%C3%B6lderlin.jpg 

    Sur le vif - Jeudi 18.06.15 - 13.05h

     

    La bataille de Waterloo vue par Lord Byron. Trois pages, remarquables, de la Weltwoche d'aujourd'hui (no 25, 18 juin 2015), signées Urs Gehriger. Fou de littérature allemande, je suis hélas totalement profane en littérature britannique.

     

    L'occasion, pour le passionné que je suis, de rappeler que Waterloo a nourri le romantisme français (Hugo, notamment) et anglais. Quant aux Allemands, qui s'étaient enflammés pour Rousseau, puis pour la Révolution française, puis pour le Premier Consul et même encore pour l'Empereur du tout début (cf Beethoven), ils sont déjà complètement ailleurs, dans leur tête, en ce mois de juin 1815 : depuis 20 mois (bataille de Leipzig, octobre 1813, la Völkerschlacht, Bataille des Nations), ils se sont libérés de la présence française. Cette ultime campagne de juin 1815, après le retour de l'île d'Elbe et les Cent-Jours, n'est plus vraiment la leur. Sauf pour l'aristocratie militaire prussienne.

     

    Surtout, la Prusse, après la douleur de l'Occupation (1806-1813), commence à embrasser le grand dessein d'abolir les frontières internes au monde germanique (Zollverein), première étape à l'unification de l'Allemagne. C'est l'une des raisons pour lesquelles la bataille de Waterloo est moins présente dans la poésie allemande. Bien que le Prussien Blücher en fût, et de manière ô combien décisive. Pendant l'Occupation française, c'est à Berlin, à la Humboldt Universität, qu'est née l'idée nationale allemande, lors des "Reden an die deutsche Nation", de Johann Gottlieb Fichte.

     

    Il est vrai, aussi, qu'au moment de Waterloo, Schilller est déjà mort depuis dix ans (1805). Kleist s'est donné la mort à Wannsee, en novembre 1811. Hölderlin, "atteint de folie",  ne quitte plus sa tour de Tübingen depuis 1807, et jusqu'à sa mort en 1843. Goethe travaille sur d'autres projets. Bref, une génération littéraire - unique au monde, je crois - vient de passer. En même temps qu'en Europe, le souffle de l'Empire.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • 18 juin 1815 : nous y étions !

    images?q=tbn:ANd9GcS_EfJtZ_ChsurtADVQMOfs7-E47Hdqx3lVtQs_OCwi3MYx_EGb 

    Sur le vif - Jeudi 18.06.15 - 09.25h

     

    Il y a, jour pour jour, 200 ans, dans une plaine au sud de Bruxelles, la fin d'un rêve immense, né 26 ans plus tôt, presque au jour près (20 juin), au Jeu de Paume. Poétiquement, je suis peu hugolien, mais il me faut avouer que nul n'a mieux chanté "ces derniers soldats de la dernière guerre" que Victor Hugo. Ses vers sur la bataille sont sublimes. Epiques. Homériques. Que la réalité du 18 juin 1815 fût hélas plus crue, et même franchement abominable, n'enlève rien au génie du poète : c'est lui, désormais, que nous retenons. La légende, pour toujours, l'a emporté.

     

    De même, que savons-nous de la vraie Guerre de Troie ? Oh, certes, l'immense historien américano-britannique Moses Finley (1912-1986) a remarquablement tenté de le reconstituer. Mais qui lit "Le Monde d'Ulysse" (The Word of Odysseus, 1954), à part les étudiants en Histoire de l'Antiquité ? Alors que tous, nous avons en tête les immortels hexamètres de l'Iliade : Achille pleurant devant la mer, les funérailles de Patrocle, Achille poursuivant Hector, "comme le milan qui fond sur la palombe". Là aussi, la légende s'impose.

     

    On peut nous répéter tant qu'on veut que le vrai Waterloo fut un carnage. Ce sont les vers de Hugo que nous retenons :


     

    " Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,

     

    Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires,

     

    Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,

     

    Portant le noir colback ou le casque poli,

     

    Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,

     

    Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette fête,

     

    Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.

     

    Leur bouche, d'un seul cri, dit : Vive l'empereur !

     

    Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,

     

    Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,

     

    La garde impériale entra dans la fournaise. "

     

     

    Prédominance de la parole poétique - sans parler de la musique - sur la rationalité historique. Le chercheur fait état de ses enquêtes. Le poète transcende. Et s'inscrit dans le marbre.

     

    Pascal Décaillet

     

  • De l'usage (volontairement ?) abusif du mot "rafle"

     

    Sur le vif - Mercredi 17.06.15 - 14.27h

     

    « La rafle des Tattes, l’abri du Grütli » : c’est le titre d’un texte, au demeurant fort bien écrit (comme toujours), du conseiller municipal socialiste Sylvain Thévoz, et publié sur son blog. Il s’agit du déplacement de requérants d’asile déboutés, du foyer des Tattes (Vernier) vers un abri de protection civile de Carouge. L’affaire défraye la chronique depuis 48 heures, nous avions d’ailleurs hier soir un débat, à GAC, entre le conseiller d’Etat Mauro Poggia et la présidente des Verts genevois, Lisa Mazzone. Ce que M. Thévoz n’accepte pas, c’est le rôle de la police. Il y voit (jusque dans le titre) une « rafle ».

     

    Je ne suis pas sûr d’approuver, non plus, la méthode du Conseil d’Etat dans cette affaire. Et sur le fond, je peux faire un bout de chemin avec Sylvain Thévoz. Mais le mot « rafle » me gêne, je l’ai dit hier sur mon site Facebook, et m’en suis entretenu, en toute fraternité littéraire, avec le principal intéressé. L’Histoire étant ce qu’elle est, l’intensité de son tragique ayant vampirisé le champ sémantique de certains mots, le vocable » « rafle », hélas, n’évoque plus seulement le bon vieux panier à salade que décrit si bien Simenon dans ses « Maigret », lorsqu’il s’agit de passer un quartier au peigne fin pour amener tels mauvais garçons, ou telles « filles », dormir une nuit au violon, non sans être passés par l’anthropométrie.

     

    Il me semble tout de même, pour prendre le plus terrible des exemples, que ce qui s’est passé au Vel d’Hiv (police française, je vous prie) le 16 juillet 1942, destination Drancy et surtout Auschwitz, pourrait être de nature à faire réfléchir tout homme (ou femme) de plume et de culture (laissons les autres), lorsqu’il utilise le mot « rafle ». Bien sûr, cette horreur extrême ne saurait accaparer à jamais le sens d’un mot qui lui préexistait, sans le poids infâme de cette connotation.

     

    Alors, quoi ? Alors rien. M. Thévoz, dont j’admire le style, a le droit de choisir les mots qu’il veut, il n’est pas question de le censurer. Tout au plus, disons que j’ai un petit doute : un homme de sa culture ne pouvant ignorer la connotation dont je fais état, le recours tout de même à ce mot ne relevait-il pas, allez disons juste un peu, d’une provocation volontaire, habile, et calculée ? Dans ce cas, Cher Sylvain, vous avez réussi, puisque me voilà. Dans le rôle de l’emmerdeur. Pour vous servir.

     

    Pascal Décaillet