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Sur le vif - Page 743

  • L'unité de l'esprit

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    Sur le vif - Dimanche 24.05.15 - 18.29h

     

    « Comment écrire ? Il faut l’unité de l’esprit ». François Mitterrand à Bernard Pivot, Apostrophes, 7 février 1975. J’avais vu, à seize ans et demi, cette émission en direct, qui m’avait amené à me précipiter sur « La Paille et le Grain ». Je viens d’en revoir cet extrait si dense et si puissant, sur les archives de l’INA. « L’unité de l’esprit » : j’aime ces mots. J’ai toujours aimé la manière dont parlait et écrivait Mitterrand. On pense, bien sûr, aux « forces de l’esprit », vingt ans plus tard, dans ses ultimes vœux au peuple français, le 1er janvier 1995. Ni Giscard ni Rocard, tout brillants qu’ils fussent, ne nous parlaient de « l’esprit ».

     

    L’unité de l’esprit : je retombe sur ces mots un matin de Pentecôte. Ces mots-là, simples et beaux, on les attendrait plutôt dans un essai sur Nicée ou sur le monisme, sur Platon ou Plotin, que dans la bouche d’un responsable politique. Nous sommes en janvier 1975, c’est le tout début de la France de Giscard, le locataire de l’Elysée nous éblouit, ou plutôt nous enfume, avec des chiffres et des courbes, un jargon économique et financier que peu de gens comprennent, c’est l’ère des énarques et des technocrates. On veut faire moderne. Et le même Giscard, huit mois plus tôt, le soir de son élection, le 19 mai 1974, avait cru bon de tenir un discours en anglais. J’avais détesté.

     

    Et puis là, huit mois après, celui qui n’est même pas le chef de l’opposition, car il doit constamment s’affirmer face aux communistes pour y parvenir, mais tout de même le principal opposant, pour qui la moitié de la France avait voté en mai 1974, donné bien imprudemment comme un « homme du passé », vient chez Pivot, nous parle de « l’unité de l’esprit », et c’est une autre France, une autre langue, un autre champ de références qui surgissent sur les écrans. A ce moment-là, face à ces mots prononcés par un homme dix ans plus âgé que Giscard, c’est paradoxalement le brillant énarque de l’Elysée qui prend des rides. Pendant tout le septennat, Mitterrand, parfaitement conscient de l’effet produit, peaufine l’image du provincial, attaché à la terre, aux arbres, aux livres, face à la modernité parisienne de Giscard. Et toute une partie de la France, doucement, se dit que ce Mitterrand, naguère si honni, est au fond un Monsieur très bien, puisqu’il vient nous parler de « l’unité de l’esprit ».

     

    De quoi s’agit-il, dans la citation ? Simplement de la solitude et de la tranquillité nécessaires à l’homme qui entreprend d’écrire. Mais Mitterrand ne dit ni « tranquillité », ni « solitude ». Il parle de « l’unité de l’esprit ». Vocabulaire théologique, mots simples et puissants, il y a quelque chose qui passe. Comment vouliez-vous que le pauvre Giscard vînt le lendemain, nous sortir ses théories sur la déflation et la balance du Commerce extérieur, sans passer, en comparaison, pour un représentant de commerce ? Orfèvre du verbe, Mitterrand avait compris que sa future victoire devait naître des mots, comme d’autres naissent de la lumière.

     

    1975, « l’unité de l’esprit ». 1995, « les forces de l’esprit ». Quand on connaît l’enfance et les lectures de François Mitterrand, son adolescence, ses années de formation, on inscrit ces expressions dans un long chemin spirituel. Mais à l’époque, il y a quarante ans, ces mots avaient littéralement surgi. Loin d’être perçus comme un archaïsme, dans une France où le culte du moderne était à son apogée, ils furent reçus, par un très grand nombre de téléspectateurs d’Apostrophes, comme la promesse d’un autre langage, et l’espoir d’un renouveau. Il allait falloir encore six longue années, mais quelque chose, l’air de rien, avait été semé. Et ce soir encore, en ce dimanche de Pentecôte, la puissance de ces mots, « l’unité de l’esprit », résonne dans ma tête. Je ne parle pas ici de choix politiques, mais je suis, près de vingt ans après sa mort, profondément reconnaissant à cet homme d’avoir existé, parlé, écrit, comme il l’a fait. Et particulièrement heureux d’avoir été, pour quelques décennies, son contemporain.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Quelques mots sur l'Art et sur l'Histoire

     

    Sur le vif - Mercredi 20.05.15 - 16.02h

     

    Il y a deux ou trois choses qui ne vont pas dans l’affaire du Musée d’Art et d’Histoire.

     

    Point 1, la nature mixte du montage financier entre fonds privés et fonds publics.

     

    Point 2, les conditions difficilement acceptables imposées par le mécène, et c’est pour cela qu’un amendement de dernière minute a été introduit par le Conseil administratif.

     

    Point 3, la précipitation, justement, avec laquelle cet amendement a été sorti d’un chapeau, la veille de l’ouverture des débats: on avait plusieurs années, en amont, pour tenter de renégocier, pourquoi ne l’a-t-on pas fait à l’époque ? Pourquoi a-t-on attendu le lendemain des élections pour, enfin, oser défier Monsieur le Mécène ? Il ne fallait surtout pas toucher au pacte, bien fragile, élaboré entre les diverses composantes de la gauche pour feindre l'Union sacrée, en période électorale ?

     

    Point 4, l’arrogance du mécène. Il est très généreux, certes, le Monsieur, mais l'opulence de ses fonds ne le place pas au-dessus du débat républicain. Et la manière, particulièrement irritante, dont il s’exprime ce matin, dans les colonnes de la Tribune de Genève, montre bien que les choses ne seront pas possibles entre les exigences, la culture de langage, d’un grand collectionneur privé (aussi respectable soit-il) et la démarche, nécessairement plus complexe parce que précisément démocratique, des élus du peuple. Ce sont deux mondes, deux univers.

     

    Quel Musée voulons-nous ? Pour ma part, citoyen de la Ville, contribuable en Ville, je veux évidemment le plus beau bâtiment possible, mais je veux qu’il soit celui voulu par la majorité des citoyens. Je veux qu’il leur « appartienne », en quelque sorte. A cet égard, mais je l’ai déjà dit et écrit, le mélange des genres entre argent public et argent privé ne m’apparaît pas opportun. Cela, quelles que soient les qualités du mécène, elles ne sont pas en cause ici. Il est tout de même étonnant que même chez des magistrats de gauche, la confiance accordée à de providentielles forces de l'Argent ait pu s'avérer aussi inconditionnelle... jusqu'à la veillée d'armes des débats du Municipal.

     

    Donc, quoi que vote le Municipal, il conviendra de considérer cette décision comme intermédiaire. En attendant celle, ultime, des citoyens de la Ville de Genève. Le référendum n’étant (hélas) pas obligatoire sur cet objet, nous saluerons pour notre part les différents milieux qui jugeront opportun de saisir le référendum facultatif. Que le peuple tranche. Les conventions avec tel ou tel mécène doivent être, in fine, la convention du peuple, et non la résultante des arrangements plus ou moins intempestifs de quelques-uns.  

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Les petits criseux du ministère Valls

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    Sur le vif - Mardi 19.05.15 - 16.03h

     

    Je m’intéresse de près à la politique française depuis décembre 1965, la première élection du Président du suffrage universel, avec notamment le duel du second tour, entre de Gaulle et Mitterrand. J’avais sept ans et demi, mais je me souviens de tout. Puissance de ces images en noir-blanc sur un gamin de l’époque, intensité dramaturgique, tous les ingrédients étaient là pour nous capter. Enfant, j’ai complètement marché dans la combine.

     

    J’ai donc tout suivi. Je vous récite par cœur, quand vous voulez, la liste des Premiers ministres, et même celle des ministres principaux de chaque cabinet. Eh bien croyez-moi, je n’ai, en un demi-siècle, jamais vu une pareille bande de criseux que dans le ministère Valls. A croire que perdre son sang-froid devant des caméras fait partie du contrat d’engagement. Tout ministre n’ayant pas passé une bordée à un quidam, en direct devant des millions de spectateurs, se verrait amputé de quelques points, sur son permis de gouvernement.

     

    Je dis bien : des petits criseux. Pas des sales tronches, comme le furent des Sanguinetti, des Pasqua, des Robert-André Vivien. Qu’un homme ou une femme soit haut en couleurs, sanguin, colérique, aucun problème, il ne s’agit pas d’aligner les pisse-froid. Mais vous l’avez vue, la crise de Manuel Valls lui-même, à l’Assemblée, face à une députée dont on pense ce qu’on voudra, mais qui, jusqu’à nouvel ordre, était parfaitement légitime à l’interpeller, ça fait partie de la mission de contrôle du Parlement. Et le locataire de Matignon, au Palais-Bourbon, n’a pas à faire la loi, comme dans son bureau.

     

    Vous l’aviez vue, la ministre Verte, cela devait être sous Ayrault, alliant l’arrogance à la perte totale de sang-froid, parce qu’un député lui avait dit « Madame LE ministre » ? Elle aurait pu esquiver, jouer, ridiculiser l’importun, si elle avait eu un embryon de faconde et de répartie. En lieu et place, cette triste personne n’a servi à l’élu légitime que la seule sauce rhétorique et sémantique dont les ministres français semblent aujourd'hui capables : celle de la MORALE. Ils ne font plus de politique : ils nous assènent, nuit et jour, l’insoutenable pesanteur de leur MORALE. Et ils ont de qui tenir : le Premier d’entre eux, à Matignon, ne sait faire que cela. Menacer, engueuler le monde entier, circonscrire aux écrivains et aux penseurs le champ de ce qu’ils ont le droit de dire et de penser. A cet égard, l’une des pires équipes depuis la guerre.

     

    Et puis, vous la voyez, de temps en temps, Mme Taubira, dont aimerait qu’elle garde ses Sceaux avec un peu plus de vigilance, chaque fois que, sur un plateau TV, un audacieux a l’insupportable culot de ne pas être d’accord avec elle ? Dernier épisode en date, la manière dont elle a traité le politologue Dominique Reynié. Mais enfin, ces ministres, pour qui se prennent-ils ? Qu’ils fassent leur boulot, le mieux possible, au service du pays, mais qu’ils s’abstiennent d’asperger de leur MORALE et de leurs leçons toute personne s’aventurant à les contrarier. Pitoyable comportement, le ton étant hélas donné au plus haut niveau de ce gouvernement, celui de Matignon.

     

    Pascal Décaillet