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Sur le vif - Page 610

  • La fin de l'Histoire, c'est fini

     

    Sur le vif - Vendredi 06.07.18 - 12.22h

     

    Au début, de quoi s'agissait-il ? Mettre en commun, sur les décombres de la guerre, le charbon et l'acier. Les faire circuler sans entraves, dans des années d'après-guerre extraordinairement difficiles, où les principaux problèmes, pour les vainqueurs autant que pour les vaincus, étaient le ravitaillement et le chauffage. En France, les gens ont eu très froid, l'hiver, jusqu'au tout début des années cinquante. Les témoignages, sur le sujet, sont innombrables.

     

    C'est cette CECA, cette Communauté européenne du Charbon et de l'Acier, qui fut la première esquisse de collaboration, dans une Europe en ruines, entre des peuples qui s'étaient combattus. Pour être franc, il s'agissait surtout, pour les "vainqueurs" (concernant la France, les guillemets s'imposent), de se servir à bas prix des ressources inépuisables du charbon allemand, en provenance, notamment, de la Ruhr. Enfant, j'ai visité ces immenses domaines du charbonnage et de l'acier : c'est, depuis Bismarck, le poumon industriel de l'Europe.

     

    Et puis, en 1957, il y a eu le Traité de Rome. France, Allemagne, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas. On a commencé à parler de Marché commun, c'était avant tout économique. L'Allemagne n'était encore qu'un nain politique, divisé en deux, la partie occidentale n'étant pas moins inféodée à la pensée capitaliste américaine que la partie orientale ne l'était au dogme communiste. Le Marché commun fonctionnait, facilitait les échanges, on ne s'en plaignait pas, sauf (déjà !) dans le monde paysan.

     

    La prétention à une Europe politique n'est venue que beaucoup plus tard. Ni dans les années 70, ni même dans les années 80, mais au début des années 90, dans le sillage immédiat de la chute du Mur de Berlin (9 novembre 1989). Sous l'impulsion de Jacques Delors, Président de la Commission européenne, mais aussi avec la puissante volonté d'Helmut Kohl et François Mitterrand. Monnaie unique (votée en 1992, réalisée dix ans plus tard). Extension aux pays d'Europe centrale et orientale. Délégation de compétences nationales vers Bruxelles. Des six pays initiaux de 1957, on est monté à vingt-huit !

     

    Ce qui m'a toujours impressionné, dans cette phase d'extension, celle des trente dernières années, c'est la mentalité de "fin de l'Histoire" qu'on essayait à tout prix de nous imposer. Nous avions, dès l'âge de sept ans, appris l'Histoire des peuples, pays par pays, avec leur lente construction, leurs guerres, leurs batailles, leurs souffrances collectives, leurs Traités, leur rapport à la langue, à la culture nationale. Et tout à coup, des esprits éthérés (et franchement peu au parfum des réalités historiques) exigeaient de chacune de ces nations qu'elles fissent, sans attendre, le deuil de tout ce qui les avait constituées !

     

    Comment pouvait-on, par exemple, exiger cela d'un pays comme la France ? Mille ans d'Histoire, pour constituer, contre vents et marées, d'abord avec les rois puis (mieux encore) avec la République, cette nation de bronze et d'airain dont Pierre Nora, dans ses "Lieux de Mémoire" (NRF) parle avec tant de pertinence et de talent ? Abdiquer tout cela, le jeter aux orties, en faire le deuil, pour n'être plus qu'une partie dans un tout. Non, la France n'est pas faite pour l'Empire. Elle a justement consacré mille ans de son Histoire à les combattre de toutes ses forces, ces Empires, à commencer par celui des Habsbourg et de la Maison d'Autriche.

     

    Aujourd'hui, l'arroseur est arrosé. La fin de l'Histoire, c'est fini. Parce que l'entité nationale, un peu partout, revient. Elle n'est nullement imposée d'en haut, mais réclamée par les peuples et les patriotes, souvent d'ailleurs par les personnes les plus défavorisées. Quand il ne reste plus rien, demeurent la Patrie, la chaleur d'un sentiment d'appartenance, l'émotion d'être engagé dans une communauté nationale. Il n'y a là rien de belliqueux, nulle supériorité par rapport aux voisins, nul rejet de l'Autre, c'est tout au moins la conception que j'en ai. A mes yeux, tous les humains sont égaux, je suis ouvert à toutes leurs cultures, mais cela ne m'empêche pas de commencer par connaître mes racines, mon ancrage, mon environnement premier.

     

    La fin de l'Histoire a été une monstrueuse erreur. Une vision intellectuelle, abstraite, désincarnée. Pour construire, ensemble, quelque chose de puissant et de durable, dans ce continent que nous aimons, nous ne devons pas partir de chimères technocratiques, mais de la profondeur de chacune de nos réalités nationales. Nier l'échelon de la nation, vouloir jouer à saute-mouton sur lui, c'est s'exposer, par mouvement de balancier, à la fureur des peuples. C'est exactement cela qui arrive au château de cartes européen, il est en train de s'effondrer.

     

    Il nous faut construire l'Europe, oui. Mais autrement. En partant des nations. Sans les abolir. Sans les mépriser. En partant de l'Histoire, donc en commençant par l'étudier. En partant du matériau de la langue, ou plutôt des langues. En plaçant, au coeur de tout, le projet culturel et social. Une Europe qui parle aux âmes et aux consciences. Pas seulement aux chiffres du Commerce extérieur.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Être contre la libre circulation

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    Sur le vif - Jeudi 05.07.18 - 13.34h
     
     
    Être contre la libre circulation, ça n'est en aucun cas être partisan de l'immobilité. Encore moins, de la paralysie. Ni de la fermeture des frontières. Ni d'une quelconque animosité envers les nations qui nous entourent.
     
     
    Être contre la libre circulation, c'est vouloir, à la place du grand bazar mis en place depuis une quinzaine d'années, une circulation CONTRÔLÉE des personnes, sur le marché du travail. Chaque pays étant totalement souverain de déterminer quels quotas de travailleurs étrangers il entend intégrer dans son économie. Pour les régimes parlementaires, ce seront des décisions du Parlement. Pour les régimes de démocratie directe, comme la Suisse, ce sera bien souvent, in fine, une décision du peuple.
     
     
    Être contre la libre circulation n'implique strictement aucun rejet de l'étranger, en tant que tel. Je considère, pour ma part, que chaque être humain de cette terre en vaut un autre, et jamais sous ma plume, vous n'aurez lu une quelconque stigmatisation d'un peuple, ou d'une ethnie, en tant que tels. JAMAIS.
     
     
    Simplement, je crois aux nations, et non aux vastes conglomérats abstraits, mis sur pied par de grands théoriciens, peut-être de puissants philosophes, comme paraît-il M. Macron, mais en aucun cas des historiens. Car l'approche historique, concrète et empirique, implique des milliers de lectures pour s'imbiber du trajet, dans la durée, de chaque nation. Il existe une Histoire de la France, une Histoire de l'Allemagne (diablement complexe !), une Histoire de la Suisse (plurielle et passionnante), une Histoire de l'Italie. Il n'existe pas d'Histoire de l'Europe, c'est juste une construction intellectuelle, par des esprits qui s'imaginent avoir dépassé l'Histoire.
     
     
    Être contre la libre circulation, c'est revendiquer pour chaque nation, qui s'est forgée elle-même, souvent dans la plus extrême des douleurs, le droit à la souveraineté, le droit à l'indépendance, le droit à l'autodétermination dans la rédaction de ses lois, le droit d'avoir des coutumes et de les défendre. Tout cela, en aucun cas contre les autres nations ; il faut cultiver l'amitié entre les peuples. Mais pour affirmer, chacune d'entre elles, ses valeurs, son existence, la verticalité de sa fierté d'être. Telle est, depuis l'enfance, contre vents et marées, ma conception des nations.
     
     
    Inutile de vous dire à quel point la lecture, dans mon jeune âge, des Discours à la Nation allemande de Fichte, prononcés en 1807, dans une Prusse occupée par les armées françaises, a contribué à forger ma conception des nations. Tout comme l'Histoire de la Révolution française de Jules Michelet, et tant d'ouvrages sur les multiples facettes de notre Histoire suisse. Car notre pays, s'il est une Confédération dans son organisation interne, et ce fédéralisme nous est précieux, est bel et bien une nation aux yeux de l'extérieur. Dans les rapports de négociations, c'est ainsi, du moins, qu'il doit se comporter.
     
     
    Pascal Décaillet
     
     

  • Séguin : l'homme qui avait vu juste

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    Sur le vif - Jeudi 05.07.18 - 09.57h
     
     
    Rarement, face à l'Histoire, un homme n'aura eu autant raison que Philippe Séguin, ce magnifique gaulliste social et colérique, face à François Mitterrand, alias Dieu, dans leur débat sur le Traité de Maastricht, le 3 septembre 1992, dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, devant vingt millions de téléspectateurs.
     
     
    Correspondant au Palais fédéral, j'étais moi-même, à cette époque, en train de sillonner la Suisse dans tous les sens, pour couvrir la campagne du 6 décembre, sur l'Espace économique européen. J'avais néanmoins pu voir le débat Séguin-Mitterrand. Passablement subjugué (je le suis depuis 1965) par le second, j'avais néanmoins été impressionné par le courage du premier : oser affronter le Prince, qui avait pour lui la quasi-totalité des médias, plus serviles que jamais.
     
     
    Séguin avait été un peu trop poli, à limite de l'onctuosité. Sans doute était-il, lui aussi, en grande émotion à l'idée de s'opposer en public au monarque. Mais il l'avait fait. Il avait plaidé pour la France, l'idée qu'il s'en faisait, il avait exposé sa conception ombrageuse, sourcilleuse, magnifique de l'indépendance de son pays. Et il avait expliqué que cette souveraineté passait par le droit de frapper sa propre monnaie. Et non de s'aligner sur le cours du Deutschemark, car c'était cela l'enjeu !
     
     
    C'était l'époque où Mitterrand, sur toute la ligne, se faisait avoir par l'Allemagne. Sur les Balkans. Sur la monnaie unique. Ca n'était plus la beauté de la Réconciliation de Gaulle-Adenauer, ni de l'amitié Schmidt-Giscard, ni même de sa propre main tenue, à Verdun, dans celle d'Helmut Kohl. Non, c'était en train de tourner, de devenir l'acceptation, par la France, d'une Allemagne forte et prédominante, sur la scène européenne. Trois ans seulement après la chute du Mur.
     
     
    Dans ce climat d'euro-béatitude, entretenu à grands frais par la propagande Mitterrand, Philippe Séguin avait eu le courage de dire NON. Deux semaines plus tard, la moitié de l'électorat français était avec lui. Une moitié juste trop petite face à... l'autre moitié : Maastricht passait d'extrême justesse.
     
     
    Aujourd'hui, je me souviens de Philippe Séguin. Je parlais souvent de lui avec mon ami Pierre-Alexandre Joye, hélas lui aussi disparu. Les souvenirs n'encombrent aucunement nos vies : au contraire, ils leur donnent sens, chaleur et lumière.
     
     
    Pascal Décaillet