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Sur le vif - Page 606

  • Mme Merkel et le paravent européen

     

    Sur le vif - Dimanche 19.08.18 - 10.03h

     

    Dans l'affaire ukrainienne, depuis le début, Angela Merkel ne mène absolument pas une "politique européenne", comme elle le revendique, mais elle défend les intérêts supérieurs de l'Allemagne.

     

    Extension de l'influence (économique, notamment) sur les Marches de l'Est, dans un corridor de pénétration parfaitement traçable, en exploitant (comme toujours) les inimitiés naturelles à la Russie. Cela, il y a trois quarts de siècle, se fit, "par d'autres moyens", pour reprendre l'expression si juste de Bismarck.

     

    Que la Chancelière allemande défende les intérêts stratégiques de l'Allemagne, à première vue, on pourrait dire : "Après tout, elle est là pour ça". Le problème, c'est qu'elle avance masquée, exactement comme Helmut Kohl, dans les années 90, dans les guerres balkaniques. Elle ne dit pas : "Je mène à l'Est une politique allemande" (je me refuse à utiliser le concept d'Ostpolitik, autrement plus subtil, celui de l'immense Chancelier Willy Brandt). Non, elle ose dire "Je fais tout cela au nom de l'Europe". Et c'est là, oui dans cette duperie intellectuelle et sophistique, l'autre grand scandale (avec l'affaire des migrants en 2015) de l'ère Merkel.

     

    Depuis Helmut Kohl et les Balkans (1991-1999), l'Allemagne, sur la scène de l'Europe centrale et orientale, utilise éhontément le paravent européen, le prétexte multilatéral, pour camoufler la réalité de la reconquête d'influences économiques et stratégiques dans des zones parfaitement identifiables dans la continuité de sa politique d'expansion, lancée sous le grand Roi de Prusse Frédéric II (1740-1786), dont la vie et l’œuvre devraient être enseignées obligatoirement dans nos écoles, tellement elles sont fondatrices pour comprendre la suite.

     

    L'Allemagne joue sa carte nationale, et nul ne semble s'en émouvoir. Parce que le paravent européen est là pour nous aveugler. Associé à celui de l'OTAN. Bref, le camp du Bien, les gentils. Face aux méchants Russes. Mme Merkel devrait pourtant se méfier de cette politique sournoise. Parce que les Américains ne sont peut-être plus pour longtemps sur un continent européen où ils ont pris pied en 1943 (Italie) et 1944 (Normandie). Et aussi, parce que son paravent européen, criblé de trous, menace de s'effondrer de toutes parts. Le jour où cette construction du mensonge se pulvérisera, la réalité, bien tangible, des intérêts nationaux, laissera, face à face, deux présences stratégiques réelles en Europe. Celle de l'Allemagne. Et celle de la Russie.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Nation, mémoire

     

    Sur le vif - Samedi 18.08.18 - 14.33h

     

    La nation ne saurait, à mes yeux, constituer un âge d'or, le retour au passé, la nostalgie de ce qui fut et qui n'est plus. Je n'invoque ici ni Valmy, ni Jemappes, même si l'épopée de ces soldats en haillons, seuls contre les têtes couronnées de 1792, m'a toujours infiniment touché.

     

    Pour la Suisse, je ne rêve en aucun cas d'un Paradis perdu. Pour la bonne raison que cet Éden n'a jamais existé : mon père (1920-2007) m'a raconté maintes fois l'état économique du Valais dans sa jeunesse, et ses parents à lui, comme ceux de ma mère, nés les quatre aux 19ème siècle (entre 1887 et 1895), avaient encore connu l'ingratitude marécageuse d'un paysage mondialement admiré, aujourd'hui, pour ses murets de vignes.

     

    Non, la Suisse n'est en aucun cas "l'Histoire d'un peuple heureux" (titre de l'un des ouvrages de Denis de Rougemont), c'est celle d'un peuple comme un autre, avec la misère économique et agricole, le lent chemin vers l'industrie, l'exode rural, l'exil aux quatre coins du monde. La prospérité de notre pays, bien réelle (mais pas définitive !) aujourd'hui, ne date, au fond, que des années d'après-guerre. Nous n'avons ni à renier notre passé, ni à l'idéaliser.

     

    Alors, quoi ? Alors, je crois à l'échelon national, et à sa primauté, à cause de l'immensité symbolique des repères inscrits dans le souvenir collectif, ce que l'historien Pierre Nora appelle "les lieux de mémoire".

     

    La mémoire, ça n'est pas la nostalgie. C'est considérer l'état d'un pays dans la profondeur diachronique, celle du champ historique. C'est tenter, à l'exemple de Thucydide, dans sa Guerre du Péloponnèse, d'expliquer le présent par des enchaînements de causes et d'effets. C'est avoir étudié ce qui s'est passé avant nous, pour mieux éclairer le présent.

     

    La mémoire, dans un champ plus affectif, mais tellement fondamental, c'est aussi le culte des morts, le souvenir de leur présence terrestre, le lien demeuré intact avec certains d'entre eux.

     

    La mémoire, lorsqu'elle est collective, c'est encore la culture partagée au sein d'une communauté humaine, avec des systèmes de valeurs.

     

    La mémoire n'est assurément pas là pour paralyser l'action, mais pour la stimuler. Lui donner du sens. L'inscrire dans une continuité. Non par traditionalisme, mais pour exister dans une perspective qui puisse nous dépasser.

     

    A mes yeux, à ce jour (rien n'est définitif, je sais), nul échelon, depuis la Révolution française, n'a mieux incarné ces valeurs, ce rapport au périmètre communautaire, que celui de la nation.

     

    Une chose est sûre : les conglomérats d'impuissance impersonnelle qu'on a, en Europe, tenté de substituer à la nation, n'ont en rien réussi à fédérer les énergies, capter les cœurs, galvaniser les enthousiasmes, réunir dans une mémoire commune. Pour l'heure, on n'y trouve qu'une armada de fonctionnaires avec tâches de baillis, des forêts de règlements et de directives, et au sommet, une totale inexistence politique.

     

    La citoyenneté, la démocratie, c'est à l'intérieur de chaque nation qu'elles existent et s'expriment le mieux. Vous voyez, nulle mystique : juste le cheminement naturel d'une idée. Profondément ancrée, dans ma vision politique, depuis des décennies.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • La souveraineté n'est pas une option !

     

    Sur le vif - Vendredi 17.08.18 - 17.49h

     

    L'indépendance, la souveraineté, ne sont pas des OPTIONS dans la stratégie de survie d'un pays, comme il existe des options à l'achat d'un nouveau véhicule.

     

    Vouloir sauvegarder l'indépendance, affirmer la souveraineté d'une communauté humaine définie par un périmètre géographique, mais surtout par le partage ému de la mémoire et des valeurs, n'a rien d'une option ! Rien, non plus, d'un dada pour souverainistes ou conservateurs, que les partisans des conglomérats supranationaux veulent absolument, par les artifices les plus retors du langage, faire passer pour des archaïques.

     

    La souveraineté, l'indépendance, loin d'être des options nostalgiques, ne sont rien d'autres que des CONDITIONS SINE QUA NON à l'existence des nations. Si on accepte un suzerain, on s'intègre à un système de dépendance. C'est un choix, celui de l'appartenance à un Empire. Mais ce choix, qui reconnaît des autorités supérieures, ou des figures de tutelle, est très précisément antinomique du choix national. Ce choix de l'intégration à un vaste ensemble n'est pas le mien.

     

    Pour ma part, je crois que l'échelon de la nation, apparu avec la Révolution française, n'est pas mort. Il n'est certes pas éternel, rien ne l'est, mais pour un bout de temps, nous y sommes encore. Je crois à la nation souveraine, associée à un système très puissant d'expression du peuple dans les grands choix de destin, associée aussi à des valeurs de fraternité et de partage, et puis d'ambition culturelle. Parce que les communautés humaines ont besoin de lieux de mémoire, de repères, d'institutions choisies par elles, pour exercer avec proximité leur citoyenneté. Dans l'Empire, le citoyen se dilue, il devient sujet de la machine ou de ses fonctionnaires. La nation, pour moi, est indissociable de l'exercice le plus vif et le plus vigilant de la démocratie, directe notamment.

     

    De la nation, je ne fais aucune mystique. Je déteste l'idée que l'une d'entre elles, quelconque, se proclame supérieure aux autres. Je milite pour l'égalité de TOUS les humains de la planète, celle du paysan oublié du Sahel, comme celle du décideur de Paris, Londres ou Berlin. Simplement, nous devons respecter, comme des fleurs fragiles, le lien de chaque communauté humaine, dans l'ordre de la mémoire, de l'Histoire et des valeurs. Je ne crois absolument pas à la nation universelle, ni à une quelconque recette cosmopolite, imposée d'en haut, par des Kouchner ou des BHL. Nos pays se sont construits par le bas, chacun selon son chemin, son Histoire, sa spécificité. Il faut se pencher, patiemment, sur chacun de ces cas : la Suisse n'est pas la France, qui n'est pas l'Allemagne, ni la Grande-Bretagne.

     

    La perversité sophistique des partisans de l'Empire, ou des géants multilatéraux, consiste à mettre dans le même panier la nation et le nationalisme, et nous faire croire qu'au bout, il y a la guerre. Comme si les Empires n'avaient pas conduit le plus de guerres ! Comme si l'éternelle référence aux années trente devait tenir lieu de toute réflexion, toute imagination, toute appréciation nuancée, différenciée. Nous sommes là dans le champ exact du combat idéologique d'aujourd'hui. La vielle césure droite-gauche n'y tient plus grand place. D'autres paramètres, passionnants, occupent le front, quelque part entre le petit et le grand, la citoyenneté et la sujétion, la volonté de se battre et la résignation.

     

    Pascal Décaillet