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Sur le vif - Page 609

  • M. Trump a-t-il entendu parler de l'Ostpolitik ?

     

    Sur le vif - Vendredi 13.07.18 - 10.31h

     

    L'attaque de Donald Trump contre l'Allemagne, au sommet de l'OTAN, est extraordinairement révélatrice de la volonté américaine, bien avant Trump, d'étendre son influence à l'Est de l'Europe, sous le paravent apparemment multilatéral de la bannière OTAN, entendez les États-Unis et leurs dominions stratégiques, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

     

    Vaincue en 1945, l'Allemagne est divisée en deux. A l'Ouest, capitalisme américain, plan Marshall, injection massive de fonds, intégration à l'OTAN. A l'Est, l'équivalent symétrique, sous influence soviétique : enrôlement de force dans le Pacte de Varsovie, régime communiste, inféodé à Moscou.

     

    Le 9 novembre 1989, le Mur de Berlin s'effondre, le régime de la DDR suivra peu après, et l'ogre Kohl, sous prétexte de "réunification", en profitera pour engloutir la partie orientale : injection monstrueuse de capitaux, rachat d'un pays tout entier, oui rachat, pour le mettre sur orbite capitaliste. Il n'y a pas eu de "réunification" : il y a eu phagocytage, pur et simple, de l'Allemagne de l'Est par celle de l'Ouest. En cela, il y a eu rupture de l'équilibre de Yalta (1945) où la ligne de partage entre les deux grands vainqueurs du Reich passait par la ligne de démarcation entre les deux Allemagnes.

     

    A partir de ce moment-là, l'Occident a commencé à se croire tout permis, et cela tombait d'autant mieux pour lui que la Russie des années 1990, retrouvant son nom historique après l'éclatement de l'URSS (1991), a été, sous l'emprise de Eltsine, d'une incroyable faiblesse en termes de crédit international. Ce pays, qui avait vaincu le Reich, fait trembler la planète pendant des décennies, ne faisait soudain plus peur à personne.

     

    Les Américains en ont profité. Extension de "l'OTAN" (entendez l'influence stratégique des États-Unis) à l'Est, avec des pays comme la Pologne (trop contents de régler avec leurs voisins orientaux des comptes millénaires), irruption sur le théâtre d'opérations ukrainien, soutien aux occidentaux de Kiev contre la très importante minorité russophone.

     

    Dans ce domino, la nouvelle Allemagne, celle d'Angela Merkel, sous prétexte "d'OTAN" (décidément, ce sigle n'est qu'un paravent, pour camoufler des ambitions nationales), jouait tranquillement sa carte. Celle d'une Ostpolitik qui n'était hélas plus la grande jonction des âmes voulue par Willy Brandt (1969-1974), l'homme de la génuflexion de Varsovie (décembre 1970), mais celle des ambitions retrouvées sur les Marches de l'Est. Économiques. Commerciales. En attendant de redevenir stratégiques et politiques. Comme Helmut Kohl dans les Balkans, Angela Merkel entend signifier que la politique étrangère allemande, en Europe centrale et orientale, ne se décide à nul autre endroit que Berlin.

     

    Que l'Allemagne ait des intérêts économiques et commerciaux en Pologne, dans les Pays Baltes et en Ukraine, qu'elle ait signé un contrat gazier avec la Russie, il n'y a là rien d'autre que les premiers éléments de réalisation concrète, près d'un demi-siècle après le geste sublime de Willy Btrandt devant le Monument du Ghetto de Varsovie, d'une Ostpolitik voulue dès Frédéric II (1740-1786), avec les moyens qui sont d'aujourd'hui. L'étude de l'Histoire allemande indique très clairement ce tropisme vers l'Est comme un élément majeur du destin germanique.

     

    Ces enjeux internes aux équilibres de l'Europe centrale et orientale, Donald Trump en a-t-il connaissance ? Dispose-t-il, tout au moins, de conseillers capables de les lui rappeler, de même que Richard Nixon pouvait compter sur l'Allemand (de naissance) Henry Kissinger, pour lui expliquer la complexité du monde ?

     

    Ce qui est sûr, c'est que l'OTAN ne parle plus d'une même voix. Il y a la voix américaine, qui voudrait pour l'éternité demeurer le patron. Et il y a la voix de l'Allemagne. En répondant à M. Trump que les décisions sur les choix politiques à l'Est se prenaient à Berlin, et non à Washington, Angela Merkel a poliment rappelé aux États-Unis d'Amérique que leur passage sur le continent européen, entamé en 1943 (Italie) et 1944 (Normandie) n'était pas éternel. Pas plus, au fond, que le domino appelé "OTAN".

     

    Un jour, il se pourrait que les États-Unis quittent l'Europe. Ce jour-là, il faudra faire le compte des forces stratégiques bien réelles, et bien nationales, demeurant opérationnelles sur le vieux continent. Ce sera vite fait : il y aura un peu l'armée française. Et il y aura beaucoup l'armée allemande. Qui ne cesse de se reconstituer depuis 1989 (à vrai dire bien avant). Cela, dans l'indifférence générale des commentateurs.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La Bourse, ou la vie ?

     

    Sur le vif - Dimanche 08.07.18 - 09.41h

     

    Le jour où les Suisses voteront sur l'avenir de nos relations avec l'Union européenne, ou plutôt avec ce qui restera du château de cartes, je doute que la question des "équivalences boursières", reprise comme un mantra par les europhiles, soit d'un très grand poids dans le verdict du souverain.

     

    On a voulu nous faire l'Europe des banquiers et des exportateurs, en oubliant totalement les paysans. On a construit un rêve sur l'idée tétanisée de l'échange, de la circulation, de l'hyper-fluidité. On a voulu nous ériger une Europe du mouvement perpétuel.

     

    Résultat : on a eu les délocalisations en Inde. Les fermetures d'usines. La spéculation de casino, au mépris des attaches locales, du sentiment de fierté de travailler pour un fleuron du lieu, avec une marque, une enseigne, une bannière. On a pulvérisé l'idée d'économie nationale, au profit d'un grand bazar globalisé. On a saccagé les services publics.

     

    Et vous pensez que, le jour venu de la décision populaire, on va convaincre le peuple et les cantons avec l'argument massue des "équivalences boursières" ?

     

    Et placer les "équivalences boursières", juste là pour faciliter le profit de quelques-uns, en crédible concurrence avec la souveraineté, l'indépendance, la fierté nationale de notre pays ?

     

    Les europhiles ne manquent pas d'air. Mais de souffle, dans leur esprit et dans leur verbe.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les délaissés veulent la nation

     

    Sur le vif - Samedi 07.07.18 - 10.00h

     

    Les grands conglomérats multinationaux, abstraits et désincarnés, sont voulus par des oligarchies élitaires, à prétention cosmopolite, des gens qui considèrent l'échelon national comme dépassé, limite vulgaire, juste pour des gros ploucs attachés à leurs terres, leurs paysages, enracinés dans leurs appartenances, incapables mentalement d'accéder à la dimension planétaire des choses.

     

    Ces élites cosmopolites ont eu comme principale préoccupation, depuis trente ans, de faire circuler sans entraves le Capital. Pour ce dernier, surtout pas de frontières. Pas de taxes. Pas de contrôles. Juste le vol de l'Aigle au-dessus des nations. Du coup, on encourage à mort le Commerce extérieur, on fait circuler les personnes et les marchandises, l'Europe et le monde ne sont plus qu'un vaste marché, où le spéculateur, se déplaçant comme un prédateur céleste d'une proie à l'autre, peut se repaître, tout à loisir.

     

    Dans cette logique de casino, il fallait à tout prix abolir l'idée d'économie nationale. La fierté du Lorrain, ayant travaillé toute sa vie dans la sidérurgie, ou de l'ouvrier de la Ruhr, spécialiste des aciéries, devaient impérativement, en termes d'images, passer pour des vertus d'un autre âge. C'est ce virage-là qu'a pris l'Union européenne depuis trente ans.

     

    Elle fut tellement imposée aux esprits, avec une telle férule, que la plupart des gens vous définissaient l'Europe comme ontologiquement libérale. Comme si ce libéralisme n'était pas le fruit, comme tout l'est en Histoire (lisons Thucydide, les enchaînements de causes et de conséquences, dans la Guerre du Péloponnèse), de choix politiques et économiques bien précis. Avec, aussi, une finalité parfaitement claire : permettre l'enrichissement de quelques-uns sur le dos du grand nombre.

     

    Pour ma part, je crois en l'Europe. J'aime profondément ce continent, qui est le mien, dont j'ai eu la chance de visiter la plupart des pays. Je ne suis nullement opposé à l'établissement d'une collaboration, faite de confiance, de respect et d'amitié, entre les peuples de ce continent. Mais je l'affirme, du plus profond de mes convictions : celle collaboration ne doit pas passer sur le dos des nations. Ces dernières, méprisées par les cosmopolites, sont ardemment voulues par les peuples. Et notamment par les personnes en souffrance. Je pense à nos paysans, que la libéralisation des marchés laisse doucement mourir. Je pense à nos chômeurs. Je ne suis pas sûr que, chez ces compatriotes-là, l'idée abstraite de conglomérat multinational, nouvelle forme de l'Empire, provoque des pâmoisons.

     

    Pour ma part, je ne veux pas d'une Europe libérale. En tout cas, pas d'un libéralisme imposé par une clique, venue d'en haut. Je veux une Europe des peuples. Où on commence, comme chez nous en Suisse, par leur donner la parole. Pour l'heure (je ne préjuge nullement du 23ème siècle, tout en Histoire évolue), seul l'échelon national, avec ses lois démocratiquement votées, le contour net, précis et protecteur d'une frontière, le partage si essentiel de la mémoire et de l'émotion, le tissage, depuis des décennies, de réseaux de solidarité, permet d'améliorer la condition de vie de chacun.

     

    Cette préférence au local n'empêche nullement de cultiver l'amitié avec ses voisins. Mais dans le respect des souverainetés maintenues. Les plus défavorisés demandent cette souveraineté, cette indépendance, que le cosmopolite veut s'empresser d'abolir. Pour commercer sans entraves.

     

    Pascal Décaillet