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Sur le vif - Page 608

  • La démocratie passe par la connaissance

     

    Sur le vif - Mardi 25.09.18

     

    La politique n'est en aucun cas l'affaire des seuls élus. Elle est l'affaire de tous ! Les élus parlementaires sont juste des gens chargés de faire des lois. Et ces lois, si le corps des citoyens les estime mal faites, il peut les contester par référendum, et le suffrage universel tranche.

     

    Il faut arrêter de sanctifier l'élection. Nous élisons des hommes et des femmes pour qu'ils fassent des lois. Ils ont ce droit. Celui, aussi, de siéger dans un Parlement, y délibérer, y trancher. Ces droits-là, et strictement aucun autre. Le débat politique ne leur appartient pas.

     

    Et nous, le corps des citoyennes et citoyens, entendez au niveau fédéral les Suisses de plus de 18 ans, nous avons le droit de défaire leurs lois par référendums. Et nous avons - bien plus intéressant - celui de déterrer des sujets enfouis par la classe politique, au moyen d'initiatives populaires.

     

    L'initiative est, à mes yeux, l'acte le plus saisissant de la démocratie suisse. Il part du peuple pour aller au peuple. Il engage un dialogue direct du peuple avec le peuple. Il est tranché, un beau dimanche, par le peuple et les cantons.

     

    Non seulement nous ne devons pas restreindre - comme le suggèrent des professeurs de droit jaloux de leur cléricature - les droits populaires en Suisse, mais j'appelle à ce qu'on les augmente, dans les décennies qui viennent.

     

    Il est loin, le temps des diligences, où des notables élus s'en allaient siéger trois semaines dans une Diète nationale, pour revenir ensuite dans leur bourgade ou leur village. Il s'éloigne même, le temps des partis politiques, chapelles d'appartenance à vie sous le même étendard, fanfare radicale par ci, conservatrice par là, festivals de fanfares, luttes de clans, tout cela, d'ici un demi-siècle, un siècle, pourrait bien s'évaporer.

     

    L'exceptionnelle progression des moyens d'accès au savoir, aux données, la mise en réseau de ces derniers, vont progressivement changer la manière même de faire de la politique. On pourra beaucoup plus, comme dans l'initiative populaire, agir par objectifs ciblés, pragmatiques, sur un temps assez court (deux ou trois ans par objet), plutôt que passer sa vie à clamer, repu, "Je suis PLR", ou "Je suis PDC", ou "Je suis UDC", ou "Je suis socialiste". Et passer ses soirées à siéger au milieu d'autres comitards. Et passer ses week-ends en réunions de familles politiques, pour la simple jouissance corporatiste de se sentir sous la même bannière. L'être humain est certes un animal social, rien ne l'oblige à se comporter en mouton grégaire.

     

    Rien ne me passionne plus que les pistes d'évolution - oh, cela mettra du temps - de la démocratie directe suisse. Davantage de pouvoir au suffrage universel. Mais attention : pas pour une démocratie d'opinion, ou de clics, ou de café du commerce. Non, la démocratie passe par le chemin de connaissance, par l'étude des dossiers, l'autorité sur la matière. Il ne s'agit pas de faire un peuple roi, comme il existe des enfants rois. Il s'agit de parvenir à un peuple mûr, informé, engagé. C'est cela, le secret fragile et magnifique de la citoyenneté partagée.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Dominique Catton

     

    Sur le vif - Lundi 24.09.18 - 09.07h

     

    C'était un homme au regard de lumière, avec un sourire qui embrassait la vie. L'un de ceux, ces cinquante dernières années, qui ont le plus fait pour la culture à Genève. La culture pour tous !

     

    En nous quittant à l'âge de 75 ans, Dominique Catton laisse un vide que nul ne mesure. Son théâtre Am Stram Gram, fondé par lui en 1974, et porté infatigablement jusqu'en 2012, a donné le goût de la scène à des dizaines de milliers d'enfants, et aussi à leurs parents. C'est un exploit que de capter l'attention des plus petits, une aventure de transmission inégalable, dans la continuité tranquille des générations.

     

    Je n'oublierai jamais le moment où Dominique Catton m'avait annoncé, en buvant un verre à l'issue d'un spectacle, qu'il allait monter les Bijoux de la Castafiore, avec l'étourdissant Jean Liermier dans le rôle de Tintin. Pendant des mois, je me suis demandé comment il a allait transmettre le secret si fragile de la ligne claire, d'Hergé. Je suis allé voir la pièce : dans le mouvement comme dans la conception, la ligne claire était là, juste, grave et légère. La réussite était totale.

     

    Dominique Catton est arrivé un jour à Genève, et, pendant des décennies, il a tout donné à cette ville, ce canton, ce bout de lac épris de culture, ouvert au monde. Travailleur infatigable, toujours enthousiaste, toujours un regard d'avance sur les spectacles à suivre. Immensément attaché aux comédiens, les mettant en valeur, suivant leur carrière, allant voir les spectacles, imaginant la suite, regard de marin porté sur l'horizon.

     

    Il sera difficile d'oublier sa chaleur humaine, l'attention centrale qu'il portait à l'humain, l'intensité de son regard lorsqu'il évoquait un projet. Genève perd un grand artiste. Et un impressionnant faiseur d'artistes. Le vide laissé est immense.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Depuis trente ans, l'Allemagne joue solo

     

    Sur le vif - Samedi 22.09.18 - 18.58h

     

    Dans les trois premières décennies de l'Europe communautaire, entre 1957 (Traité de Rome) et 1989 (chute du Mur), l'Allemagne a parfaitement joué le jeu d'une participation collective au projet européen.

     

    Cette grande puissance, abattue le 8 mai 1945, très vite relevée économiquement grâce au plan Marshall (à l'Ouest) et surtout à la volonté de fer du peuple allemand, a mis du temps à ré-émerger politiquement. D'abord, parce que les vainqueurs du Reich ont tout fait pour l'en empêcher. Aussi, parce qu'il a fallu digérer la défaite, accomplir un travail de mémoire, résoudre le problème de la partition du pays en deux. Adolescent, sensible à la DDR, notamment à son projet culturel, j'étais persuadé que, de mon vivant, je ne verrais pas d'autre structure allemande que la dualité BRD-DDR.

     

    La chute du Mur, d'un coup, a bouleversé la donne. Voilà, dès 1990, sur les atlas représentant l'Europe, un géant central aux dimensions presque comparables à celles de 1936. Tout au plus, l'excroissance constituée, au Nord-Est, par la Prusse Orientale, mais aussi la Silésie, la Poméranie, n'étaient plus (officiellement) germaniques. Mais enfin, à l'exception de cette patte tendue vers les Pays Baltes, le géant était de retour.

     

    A partir de 1989, à vrai dire surtout 1990 et 1991, Kohl a franchement joué solo. Avec la Monnaie unique (copie conforme du Deutschemark), Maastricht, les investissements colossaux en Pologne et en Tchéquie, sans compter la Slovénie et la Croatie, détachées à dessein de la Fédération des Slaves du Sud pour revenir dans le giron économique germanique, le Rhénan Helmut Kohl a recommencé, dans l'indifférence générale (voire sous les vivats) à mener une politique proprement allemande.

     

    Aucun de ses prédécesseurs, ni Adenauer, ni Erhard, ni Kiesinger, ni l'immense Willy Brandt, ni l'excellent Helmut Schmidt, ne l'avaient fait avant lui. Schröder a continué. Mme Merkel aussi, jusqu'en Ukraine.

     

    Aujourd'hui, l'Allemagne de Mme Merkel ne se comporte absolument plus comme l'un des gentils 27 membres de l'Union. Elle se comporte (on l' a vu avec la Grèce) avec le paternalisme de Saint-Empire du suzerain. Un suzerain aimable, pacifique, juste dominateur sur le plan économique et financier, imposant sa stratégie commerciale sur les Marches de l'Est. Avec la politique ukrainienne de Mme Merkel, nous sommes à des milliers de lieues des géniales intuitions de l'Ostpolitik des équipes de Willy Brandt (1969-1974) : nous sommes, aujourd'hui, dans un rapport de domination et de gloutonnerie du monde germanique sur une partie du monde slave.

     

    Depuis trente ans, il m'apparaît qu'il n'existe guère de question européenne, tant cette dernière est impalpable, évanescente. Mais qu'il existe bel et bien, en revanche, la passionnante et difficile question allemande. Cela, dans l'accomplissement d'un destin et d'un dessein collectifs entamés, entre 1740 et 1786, par le Roi de Prusse Frédéric II, l'homme qui a réveillé les consciences allemandes en Europe, un siècle après la dévastation totale du pays, en 1648.

     

    Le destin allemand est en marche. Depuis trente ans, il chemine sous la bannière européenne. Bientôt, il n'en aura même plus besoin.

     

    Pascal Décaillet