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Sur le vif - Page 529

  • Laissons les obscurs obscurcir les ténèbres !

     

    Sur le vif - Mardi 05.02.19 - 10.13h

     

    Un référendum contre une initiative, c'était, jusqu'ici, impossible dans le système suisse. Maintenant, c'est possible, lorsqu'il s'agit d'une initiative législative, devenant loi si le Grand Conseil l'accepte. On peut attaquer toute loi par référendum.

     

    Voilà donc, à Genève, la droite qui attaque par référendum l'initiative législative de la gauche "Sauvegarder les rentes en créant des logements", acceptée la semaine dernière par le Grand Conseil. Donc devenue loi. Donc, attaquable par référendum.

     

    Tout cela, alors que nous votons déjà le 19 mai sur deux projets contradictoires concernant l'avenir de la retraite des fonctionnaires (CPEG), avec petite croix subsidiaire pour les départager ! Avec, en plus, une votation complexe sur la réforme de l'imposition des entreprises (RFFA), volet cantonal et volet fédéral.

     

    La classe politique genevoise, à commencer par le Grand Conseil, est devenue une machine à sécréter de la complexité. Ce qu'elle n'arrive pas à trouver comme issue dans l'enceinte du Parlement, elle le reporte sur le peuple. Tel quel, comme une patate chaude.

     

    L'une de mes passions professionnelles est d'expliquer et de simplifier, infatigablement, pour le grand public, la complexité souvent fumeuse de la mécanique parlementaire. Mais là, avec cette utilisation du référendum à seules fins de compensation vengeresse par les partis, l'usine à gaz devient honteuse.

     

    La politique, ça doit être la clarté. Dieu sait si je suis un partisan acharné de la démocratie directe, mais là, avec le petit jeu pervers des partis, nous sommes dans le dévoiement le plus total du système.

     

    Si vraiment tous les sujets du Parlement doivent revenir, tels quels, au peuple, parce que les partis jouent à la démocratie directe comme au ping pong, alors laissons tomber l'échelon parlementaire. Et laissons le peuple faire la politique, d'un bout à l'autre, comme dans les initiatives. Et laissons les obscurs obscurcir les ténèbres.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Le wagon de Rethondes, avec le son !

     

    Sur le vif - Dimanche 03.02.19 - 15.01h

     

    Exceptionnel, pour ceux qui se passionnent pour la guerre franco-allemande de mai-juin 40 : des extraits sonores (totalement inédits) des conversations entre plénipotentiaires français et allemands lors de la signature de l'Armistice, le 22 juin 1940 (après six semaines de guerre-éclair, et la plus grande défaite de l'Histoire de France), seront diffusés ce soir, 22.40h, sur France 5.

     

    Le wagon de Rethondes : tout le monde connaît les images. Mais personne, jusqu'ici, n'a entendu le moindre enregistrement sonore des paroles échangées entre Allemands vainqueurs et Français vaincus.

     

    Les événements militaires entre le 10 mai et le 22 juin 1940, appelés "Blitzkrieg", sont l'une des périodes de l'Histoire qui m'ont le plus passionné. J'ai eu l'occasion, au fil des décennies, de les étudier jour après jour, pour certains moments (le passage de la Meuse par Rommel) heure par heure.

     

    Une chose est certaine : la France, après s'être (contrairement aux idées répandues) battue courageusement, a perdu cette guerre. Elle avait face à elle une intention stratégique de génie, une mise en application exceptionnelle, que pouvait-elle faire face à cette armée-là ? La France ne s'est jamais remise de cette défaite. Ni la Libération, en 1944, ni la participation à la victoire contre l'Allemagne, les derniers mois (septembre 1944 à mai 1945) ne pourront effacer l'ampleur apocalyptique, parce que morale avant d'être militaire, de la défaite de juin 40.

     

    Sur les dizaines de livres que j'ai lus sur le sujet, s'il ne devait en rester qu'un à vous recommander, ce serait "L'étrange défaite", de l'historien Marc Bloch, lui-même commandant pendant ces six semaines. Résistant, il sera fusillé le 16 juin 1944. Un homme d'exception. Une conscience, au milieu des ténèbres.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Chacun d'entre nous est un Vaisseau fantôme

     

    Sur le vif - Samedi 02.02.19 - 17.00h

     

    Pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui, en France, mais au fond un peu partout en Europe, il faut savoir qu'il existe, depuis en tout cas un siècle et demi, un anticapitalisme de droite.

     

    Il existe, bien sûr, un anticapitalisme de gauche, cela nous le savons. Mais il existe - et cela est moins connu - un anticapitalisme de droite.

     

    Des gens qui se sentent profondément de droite, dans leur rapport à la nation, à la souveraineté (encore que ces valeurs aient aussi été, naguère, de gauche), dans leur rapport à l'école, à la langue, à la culture. Et, peut-être, jusque dans le désespoir solaire de leur solitude. Quelque chose de noir, infiniment. Mais d'un noir indicible, d'ébène et de goudron : il faut voir les magnifiques tableaux de Soulages (j'ai eu cet honneur l'été dernier, à la Fondation Gianadda), pour saisir toute l'intensité plurielle de ce qu'on appelle, d'un mot beaucoup trop générique, le "noir". Il faut voir ces tableaux, de toute la puissance de ses yeux, prendre le temps, capter le grain, les nuances de bleu, les mille soleils cachés sous l'apparence nocturne.

     

    Je sais, depuis toujours, que le noir est ma couleur politique. N'allez pas, je vous prie, tenter de lui coller une quelconque étiquette qui serait, de ma part, celle d'une adhésion inconditionnelle, vous perdriez votre temps. Le noir fut à la mode dans l'Italie des années 1922 à 1943, je n'ose dire 1943-1945. Mais il fut, tout autant, la couleur des conservateurs catholiques. Il fut celle des anarchistes. Allez chercher la cohérence. Pourtant, je sais, dans toute l'intimité d'une vie de réflexion politique, que ma couleur est le noir. J'admire le rouge, et ceux qui le défendent. Mais ma couleur, à moi, est le noir.

     

    Il existe, depuis le dix-neuvième siècle, un anticapitalisme noir. Et aussi un jaune, si on veut bien se référer à l'un des textes politiques qui m'ont le plus touché dans ma vie, l'Encyclique Rerum Novarum, publiée en 1891 par Léon XIII. Il s'agissait d'une réponse, d'un souffle et d'une puissance hallucinants, au cataclysmiques injustices sociales créées par la Révolution industrielle. Une réponse fondée sur la cohésion sociale, la solidarité humaine, le sens du collectif, la primauté de l'humain sur le profit, en matière d'économie. Bref, une lumineuse tentative de réponse non-marxiste au capitalisme spéculatif de la fin du dix-neuvième siècle, juste après l'Affaire de Panama, juste avant l'Affaire Dreyfus.

     

    L'anticapitalisme noir - ou noir et jaune - constitue, avec le Sillon de Marc Sangnier, mais aussi plus tard la Revue Esprit, d'Emmanuel Mounier, et au milieu de tout cela des dizaines de penseurs que je ne citerai pas, l'une des sources d'inspiration de mon rapport à la politique. Dans ma relation à la nation, à la souveraineté, à la langue, je suis peut-être bien un homme de droite. Dans mon désir de justice sociale, d'égalité entre tous les humains, de répartition des richesses, je suis un homme de gauche. Cette dualité n'a rien d'anormal, elle a nourri des générations. Et voyez-vous, il se pourrait bien - par exemple, à travers les gilets jaunes - qu'elle revienne au galop.

     

    Le courant qui monte en Europe est celui d'un anticapitalisme non-marxiste. Les gens ne veulent plus entendre parler de la spéculation bancaire, ni du règne de l'usure, ni du profit de casino. Ils veulent un retour de l'Etat, de la régulation, des arbitrages. Et beaucoup d'entre eux, dont je suis, veulent un retour de la nation. Non pour opprimer, mais pour organiser, à l'interne, les flux de solidarité nécessaires à l'épanouissement d'une communauté humaine. L'anticapitalisme noir, dont je me réclame, se situe quelque part dans cette mouvance.

     

    Je reviendrai, dans des textes ultérieurs, sur l'anticapitalisme de droite. Ne pas vouloir le percevoir, au nom d'une conception périmée de l'antagonisme droite-gauche, ne pas vouloir y inclure la dimension nationale, c'est courir le double risque d'errance et de dérive. Chacun d'entre nous est un Vaisseau fantôme, ignorant tout autant les rivages d'où il provient que ceux auxquels il est promis. Errons donc, puisque telle est notre nature. Mais sans jamais, une seule seconde, perdre le souci de la boussole. Ni celui de se situer, quelque part au milieu de l'azur.

     

    Pascal Décaillet