Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sur le vif - Page 433

  • Les voix arabes, où sont-elles ?

     

    Sur le vif - Mercredi 29.01.20 - 15.45h

     

    J'ai connu, dans ma jeunesse, un temps - plutôt court - où existait une forme de conscience arabe dans le monde. Lorsqu'une partie du monde arabe était attaquée, ou humiliée, on entendait d'autres voix arabes prendre sa défense.

    Un homme, unique au vingtième siècle, avait réussi cela : c'était Nasser. Son discours sur Suez, en 1956, son charisme, son intelligence, son emprise sur les foules, ses dons oratoires, son attitude d'Etat face à tous les extrémismes de son propre pays, avaient fait de lui un homme d'exception.

    Alors oui, il y eut un temps, entre la fin des années 60 et le début des années 70 (peut-être entre juin 1967 et octobre 1973, donc entre deux Guerres, celle des Six-Jours et celle du Kippour), où put fuser, dans le monde, l'idée d'une Nation arabe. Sans que les contours de cette dernière, au demeurant, ne fussent jamais définis avec exactitude : on savait toute la pluralité antagoniste - et pas seulement dans l'ordre religieux - qui se cachait sous l'identité arabe.

    Aujourd'hui, 29 janvier 2020, nous sommes face à un "plan de paix" américain qui relève de la farce et de la provocation. Jamais, depuis 1948, en tout cas depuis 1967, l'identité palestinienne n'a été aussi cyniquement niée, au profit du colon. Et en ce jour de deuil, de tristesse, de désespoir pour une partie essentielle des Arabes du Levant, où sont-elles, les autres voix arabes, pour dire leur solidarité ?

    Ami de cette région du monde, où je me suis souvent rendu, ami de tous les peuples qui s'y trouvent, je cherche vainement, aujourd'hui, l'esquisse d'une conscience arabe, au-delà des frontières, au-delà des intérêts financiers, au-delà de ces richesses qui fossilisent l'esprit et pétrifient les âmes. C'est là, le vrai drame arabe d'aujourd'hui.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Robert-la-Morale

     

    Sur le vif - Mercredi 29.01.20 - 13.53h

     

    Les petits numéros d'indignation de Robert Badinter sont de plus en plus insupportables.

    Oh, je ne parle pas du fond. Il est, en effet, totalement inacceptable de brandir la tête d'Emmanuel Macron - comme, d'ailleurs, celle de qui que ce soit - sur une pique. L'ancien ministre de la Justice a raison de le dénoncer.

    Mais le problème n'est pas là. Vous avez vu ce ton ? N'oublions jamais que nous avons affaire à un avocat pénaliste, qui fut en son temps l'un des meilleurs de France. Il maîtrise l'art de convaincre, il connaît à fond les registres du théâtre, il excelle dans l'usage de la feinte. Un homme qui a réussi, avant 1981, à sauver des têtes, est un maître dans l'ordre du drame. Il sait quel visage prendre, quel sentiment jouer. Il module sa voix. Il intériorise la colère. Tout cela est de l'ordre d'une composition. Et ça marche : l'immense majorité des gens vous diront que Robert Badinter, conscience vivante de l'Esprit des lois, est un type formidable.

    Je ne partage pas ce point de vue. Oh, j'ai admiré cet homme naguère : adversaire acharné, toute ma vie, de la peine de mort, j'ai applaudi lorsque, la première année du règne de François Mitterrand, le Garde des Sceaux Badinter a fait voter la loi d'abolition. Rien que pour cela, l'homme a sa place dans l'Histoire.

    Mais je n'aime pas le Badinter d'aujourd'hui. Oh, je sais, c'est délicat à dire lorsqu'il s'agit d'un brillant nonagénaire, dont le courage, la lucidité, les qualités intellectuelles sont indiscutables. Mais, désolé, j'aime de moins en moins le systématique numéro d'indignation qu'il nous livre sur les écrans. Cet homme de qualité est devenu Robert-la-Morale. Cet avocat a changé de robe, pour endosser celle du Procureur. On l'entend de moins en moins analyser, de plus en plus s'étrangler d'indignation.

    Ce grand acteur calcule à merveille son effet. Il a saisi, mieux que d'autres, la grammaire du petit écran. Il prémédite, avant d'entrer en scène, comme jadis avant le prétoire, ce que seront son visage, ses yeux, les tonalités de sa voix. Bref, il plaide. Et, comme il connaît le temps court de l'antenne, il nous évite l'exposition, pour nous livrer uniquement le moment passionnel. Ce petit numéro peut avoir une fois, deux fois, son charme. A la dixième fois, la ficelle devient visible. A la quinzième, elle est insupportable.

    Puisse ce grand esprit venir à nous avec l'étendue de sa culture, et la puissance intrinsèque de ses arguments. Souvent, nous serons avec lui. Puisse-t-il en faire un peu moins - en tout cas, moins systématiquement - dans le petit numéro préparé où le plaideur fronce le sourcil, rentre le regard, va chercher dans sa voix la gravité du Commandeur. Et nous laisse, comme Dom Juan, face aux feux de l'Enfer.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Ecrire, c'est signer

     

    Sur le vif - Mardi 28.01.20 - 15.39h

     

    Écriture en "résidence", textes à plusieurs mains, signatures collectives, je ne crois à rien de tout cela.

    On parle là de l'écriture comme d'un laboratoire, avec des formules qui pourraient s'apprendre. Stages de cuisine provençale, dans un Mas, face à la mer ! Le lieu, qu'on appelle "résidence", aurait son importance. La compagnie, aussi. Je n'en crois rien.

    Je ne connais rien de plus individuel que l'acte d'écrire. La seule "résidence" qui vaille, c'est la totalité d'une solitude face au verbe. Donc, n'importe où fera l'affaire. De Sade à Céline, que de chefs d’œuvre écrits au fond d'une cellule !

    Quant à l'imposture des textes à plusieurs mains ! Qui, au final, tient la plume ? Qui endosse la responsabilité ? Qui insuffle son style, ou tout au moins sa patte ? Qui assume le lien de filiation entre l'auteur et la suite de mots qui déjà, comme une fugue, s'envole et lui échappe ?

    J'attends de l'école qu'elle réhabilite, dès l'aube de l'enfance, la notion d'auteur. Tu écris bien, tu écris mal, tu aimes écrire, tu détestes (c'est souvent très proche), tu comptes, tu racontes, tu définis, tu décris, tu argumentes : à chacun, ses affinités. Mais au final, tu signes. Avec ton nom et ton prénom. C'est ton texte. Tu l'assumes.

    Dans ce domaine-là, le collectif est une imposture. Seule la plus glacée des solitudes t'aidera - peut-être - à exister.

     

    Pascal Décaillet