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Sur le vif - Page 429

  • Hölderlin, Beethoven, et la réfutation des Lumières

     

    Sur le vif - Mardi 14.01.20 - 14.44h

     

    Les Lumières, au dix-huitième siècle, tant dans leur version française que dans le mouvement allemand de l'Aufklärung, ne cessent de faire référence à l'universel. C'est le siècle des sciences, il y a eu Newton avec ses formules, le savoir progresse à pas de géant, l'Encyclopédie recense et rassemble, les humains aspirent à une vision éclairée de l'univers.

    Mais les Lumières ne sont qu'un moment de l'Histoire des nos peuples, en Europe. En gros, les quelques décennies ayant précédé la Révolution française. Dans l'Histoire allemande, si on veut parler de l'Aufklärung, dont l'une des immenses figures fut le philosophe Moses Mendelssohn, alors il faut aussi mentionner ce qui, en réaction à cette hyper-rationalité, est venu après.

    Dans les Allemagnes, ce furent d'abord le Sturm und Drang, prodigieux mouvement littéraire et artistique autour des années 1770, puis le Romantisme. Retour aux récits. Retour aux vieux mythes germaniques. Retour aux histoires. Retour, très puissant, à l'Antiquité grecque (le poète Hölderlin lit le grec comme il respire). Puis, avec les Frères Grimm, retour aux vieilles légendes, et retour aux racines de la langue germanique : leur Dictionnaire est un pur chef d’œuvre.

    Ceux qui, aujourd'hui, se réclament des Lumières et de l'universel, passent sous silence l'incroyable vitalité linguistique, poétique, littéraire, musicale, culturelle, des mouvements qui, précisément, se sont définis en réaction par rapport à l'Aufklärung. Il y a eu un moment, dans les consciences allemandes, une décennie avant la Révolution française, où on a rejeté, par saturation, par insatisfaction, par un impérieux désir terrestre contre les mécaniques célestes du "Grand Horloger", la Raison triomphante des physiciens et des philosophes.

    Ce moment incroyable, celui de la réfutation des Lumières dans les Allemagnes, je l'étudie de près depuis quatre décennies. On aurait tort de ne mentionner que Schiller, le Goethe d'une certaine période, Hölderlin et les Frères Grimm. Non, il y a la musique. Et, puisque nous entrons dans l'année Beethoven, comment ne pas nous plonger dans l'univers de ce géant, sa conscience aiguë d'un monde en marche, et surtout la Révolution formelle permanente, entre ses oeuvres de jeunesse qui ressemblent à Mozart ou Haydn, et celles de l'âge mûr qui préfigurent Wagner, sans oublier le génie absolu des tout derniers Quatuors, jugés dissonants par la bonne société des mélomanes viennois.

    Parler des Lumières, oui. Mais sans jamais oublier leur réfutation par des forces telluriques que les grands penseurs de l'Aufklärung n'avaient pas voulu voir.

    Parler des Lumières, oui. Mais en prenant acte du surgissement des profondeurs terrestres qui a suivi. Je parle ici surtout de l'Allemagne, que je connais peut-être un peu. En tout cas, nul ne peut saisir le fil invisible du destin allemand, sans approfondir toute sa vie le moment de cette réfutation du rationnel. Il fallait que puisse éclore quelque chose de profondément humain, de l'ordre du sensible, de l'éruption, d'une immense émotion de l'être. Ce fut Schiller. Ce fut Hölderlin. Et ce fut Beethoven.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Face aux mensonges, la vérité des nations

     

    Sur le vif - Vendredi 10.01.20 - 15.11h

     

    Les nations ne sont pas mortes, c'est au contraire l'illusion multilatérale qui se déchire. A cette toile indécise, improbable, menteuse dans sa conception même, la vérité des nations, rugueuse, entêtée, factuelle, ancrée dans l'Histoire, survivra.

    Oh, le temps des nations n'est pas éternel, rien ne l'est ! Un jour, il laissera place à autre chose, tout comme la féodalité, à partir de 1789, a rendu l'âme, pour laisser éclore un monde nouveau.

    Un jour, les nations se dissiperont. Nulle organisation politique des sociétés humaines n'est immortelle, ni l'Antiquité, ni le Moyen-Âge, ni les Temps modernes, ni ce que nous appelons, depuis la Révolution française, l’Époque contemporaine.

    Les nations, un jour, auront fait leur temps. Oui, mais certainement pas aujourd'hui ! C'est beaucoup trop tôt. Toutes les expériences de supranationalité, exigeant des délégations de souveraineté à un échelon supérieur, se cassent la figure.

    L'échec patent de l'Union européenne à créer un véritable espace politique en est une preuve éclatante. A Bruxelles, à Strasbourg, on édicte, on réglemente, on tente d'huiler et d'administrer une machine à Tinguely, en réalité on tourne à vide, on patine. Il n'y a pas d'Europe politique. Et les discours du "ministre des Affaires étrangères" de l'UE (connaissez-vous seulement son nom ?), dans la crise USA-Iran, ont la force de frappe des feuilles mortes, dans la bourrasque.

    De même, l'échelon multilatéral échoue depuis exactement un siècle. La SDN, créée à Genève au lendemain de la Grande Guerre, n'aura empêché ni les pouvoirs totalitaires, ni la résurgence du tragique, ni la Seconde Guerre mondiale. L'ONU, lancée après 1945, n'aura jamais réussi à éviter la moindre guerre, ni surtout à équilibrer les forces entre les rapaces mondiaux, au premier desquels les États-Unis d'Amérique, et les plus faibles. Pire : elle aura, au final, cautionné la primauté des forts, leur pouvoir de domination, de prédation, de vie et de mort.

    Face à ces monstres, la bonne vieille nation, avec son organisation humaine, ses institutions, la consultation de son peuple, son périmètre donné, ses frontières, son décor, ses paysages, ses horizons reconnaissables, son Histoire, sa mémoire (même conflictuelle, il est sain qu'elle le soit), ses traditions, ses solidarités partagées, sa communauté de destin, sa fraternité toujours à inventer, n'est de loin pas morte.

    Oh, en 1945, elle n'avait plus trop la cote, et il y avait de quoi. Mais voilà, les temps ont changé, les grandes illusions libertaires de la fin des années soixante se sont dissipées, la toile multilatérale a montré ses limites. Elle a surtout prouvé que, loin d'équilibrer les pouvoirs, elle cautionnait les plus forts. C'est exactement ce qui arrive avec l'Union européenne depuis la chute du Mur de Berlin : l'Allemagne, depuis trente ans, ne cesse de monter en puissance, Bruxelles n'entreprend strictement rien contre ce déséquilibre.

    Alors, face au grand mensonge des constructions planétaires, ou continentales, la simplicité, la vérité, la traçabilité historique des nations refont surface. Les peuples d'Europe, aujourd'hui, se reconnaissent dans ces communautés d'appartenance, et rejettent de plus en plus les improbables toiles tissées pas des élites hautaines. La souveraineté des nations, ce sont les peuples qui vont, dans les années qui nous attendent, l'exiger. Le retour des frontières, ce sont les peuples qui le demanderont. Le contrôle des flux migratoires, ce sont les peuples qui l'imposeront.

    Être souverainiste n'a strictement rien d'incongru. C'est juste vouloir servir son pays, dans l'horizon et le périmètre qui sont les siens. Commençons par là. Cela n'empêche en rien de se passionner pour toutes les autres nations du monde, d'apprendre leurs langues, d'étudier à fond leurs Histoires, de dialoguer avec nos frères humains de la planète. Mais de grâce, commençons par organiser, là où nous sommes, dans un espace donné, la vie commune entre les humains. C'est déjà une sublime ambition.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Parler du monde, loin des cocktails

     

    Sur le vif - Jeudi 09.01.20 - 13.48h

     

    De Genève, nous devons assurément parler du monde. Car le monde est là, qui se presse dans notre ville, c'est précieux.

    Nous devons parler du monde, nous montrer totalement ouverts, curieux, aux événements de la planète, aux peuples, à nos frères humains venus d'ailleurs. Lorsque nous parlons du monde, c'est d'eux que nous devons parler, dans toute leur diversité, à eux que nous devons donner la parole.

    A eux, et pas spécialement aux apparatchiks de la "Genève internationâââle" (à prononcer comme "sociétâââl"). Car enfin, le but de notre ouverture est de parler du monde, non de se faufiler dans les cocktails des Ambassades ou des Missions internationales. Donnons la parole à ceux qui ne l'ont guère, n'allons pas surajouter au cliquetis verbal des officiels.

    A cet égard, tout en réaffirmant mon attachement profond à la couverture du vaste monde, en offrant des clefs de compréhension (c'est particulièrement valable pour l'Orient compliqué, où je me suis souvent rendu, et pour lequel je me passionne depuis l'enfance), je m'insurge avec la dernière énergie contre cette prétention, répétée ces dernières semaines, à "couvrir la Genève internationâââle".

    Non, désolé. Ca n'est pas le lieu organique des rencontres qu'il s'agit de valoriser en soi, pas plus que les pierres d'un théâtre ne dépasseraient en intérêt l'action scénique. C'est l'objet même des discussions qui doit être au centre. En évitant à tout prix (de mon point de vue) le cortège des officiels et la liturgie de la pensée autorisée. Et en valorisant au maximum les acteurs, les délaissés, ceux qui souffrent et ne bénéficient guère de tribune, ceux qui se battent pour la reconnaissance d'une nation, ou tout au moins d'une dignité humaine.

    Telle est ma conception, humaine et fraternelle, ouverte, éprise de connaissance et de partage, et non engoncée dans des codes cravatés, de la couverture internationale, à partir de Genève.

     

    Pascal Décaillet