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Sur le vif - Page 426

  • Trahison syndicale

     

    Sur le vif - Lundi 24.02.20 - 15.23h

     

    Depuis vingt ans, la position des syndicats suisses sur la libre circulation est incompréhensible. A partir d'aujourd'hui, 24 février 2020, et des mots de Pierre-Yves Maillard sur les enjeux de l'initiative du 17 mai prochain, "Pour une immigration modérée", cette position, tournée clairement contre les travailleurs suisses, devient intenable. Et, à bien des égards, scélérate. Entre l'internationalisme idéologique et la protection des résidents, les syndicats ont fait leur choix. Devant l'Histoire, il faudra qu'ils l'assument.

    Il y a juste vingt ans, lors de la campagne sur les bilatérales, nos braves syndicats, benoîtement ouverts à la mondialisation du travail, se sont faits complètement avoir par le patronat ultra-libéral de l'époque. Au nom de l'internationalisme, ils ont donné leur blanc-seing à un déferlement démographique sans précédent sur notre pays, dont on connaît les conséquences : sous-enchère salariale, engagement de travailleurs européens à la place des Suisses, engouffrement dans une croissance non-contrôlée. Un programme juste pensé pour les années de surchauffe, devenant catastrophique dès que cette dernière se tasse un peu. Et les premiers à en faire les frais, ce sont les travailleuses et les travailleurs, les chômeuses et les chômeurs de notre pays.

    Et voilà qu'aujourd'hui, vingt ans après, l'homme qui a incarné avec le plus de fougue, le plus de talent, le combat social en Suisse, après une période d'embourgeoisement au Conseil d'Etat vaudois, vient s'afficher en allié objectif de l'aile la plus dérégulatrice du patronat suisse, celle qui avait tant donné de la voix au début des années 2000, à l'époque du Livre blanc, et dont on espérait qu'elle fût morte. Elle ne l'est pas ! Ses vassaux, non plus !

    Les syndicats suisses étaient à un carrefour de leur destin. Se cramponner, au nom des matrices idéologiques archaïques de leurs cadres, à un internationalisme du travail dont plus personne ne veut en Europe, ou bien redevenir ce qu'ils avaient un jour été : les défenseurs du travail suisse. Ils ont fait leur choix. A nous, citoyennes et citoyens de ce pays, hommes et femmes libres et vaccinés, fatigués de toutes ces structures faîtières, syndicales autant que patronales, de faire le nôtre. Tiens, par exemple le 17 mai prochain.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Robert le Diable

     

    Sur le vif  Jeudi 20.02.20 - 22.40h

     

    Je serai franc, ce que j'ai (vous en conviendrez) toujours été ici. La nomination de Robert Cramer à la présidence de la Fondation PAV me reste en travers de la gorge. Et peu m'importe que la classe politique genevoise, cramérisée à l'extrême depuis trois décennies, rivalise en hommages et en courbettes. Moi, pas.

    Robert Cramer, d'où sort-il ? Réponse : de deux éternités. Une éternité au Conseil d’État, suivie d'une autre éternité, au Conseil des États. L'éternité c'est long, surtout lorsqu'elle se dédouble. Deux fois l'infini, ça donne toujours l'infini, face à l'éternité de son miroir.

    Il m'est parfaitement égal que Robert le Diable soit habile, roué jusqu'à la moelle, connaisse le terroir et les hommes, il n'en demeure pas moins que sa nomination sonne comme un désespérant signal d'incapacité du Conseil d’État à sortir de son chapeau autre chose que l'éternité blanche du même lapin, toujours recommencée. La Mer, de Valéry, où la nouvelle vague ressemble à l'ancienne, à s'y méprendre.

    Le Canton de Vaud a eu longtemps son État radical, le Valais son État PDC, voici que Genève entre dans l’État Vert. Où un magistrat Vert délègue sa responsabilité à son prédécesseur, son double, Vert également. On est parti pour des années de petits arrangements entre Verts, sur fond de terrains valant des centaines de millions, avec monnaies d'échange, barbichettes drues, tous poils érigés, par lesquelles on se tient, entre petits hommes Verts, sur la planète Verte.

    Cette duplication providentielle ne me dit rien qui vaille. Elle porte en elle les risques de l'entre-soi, déjà si présents dans ces ineffables "Fondations", dépourvues de toute légitimité démocratique, dont Genève a le secret. Je n'intente ici aucun procès à M. Cramer. Mais à la lassitude coupable qui a conduit, de la part du Conseil d’État, à le choisir. Il faudra un jour s'interroger sur le tout petit nombre d'indéracinables qui, dans la sérénité inaltérable de leur carrière, trottinent, tels de joyeux souriceaux, d'une "Fondation" à l'autre. Sautillant dans les recoins douillets de l'éternité.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Jean Daniel, l'homme aux mille lumières

     

    Sur le vif - Jeudi 20.02.20 - 09.53h

     

    A Jean Daniel (1920-2020), né la même année que mes parents, et qui vient de nous quitter à l'âge de presque cent ans, je veux rendre ici un hommage de reconnaissance filiale.

    Adolescent, j'étais avide de journaux. Nous en avions bien quelques-uns à la maison : mes parents étaient abonnés au Nouvelliste, à la Tribune de Genève, aux Feuilles d'Avis Officielles du Valais et de Genève, ainsi qu'à quelques revues spécialisées d'ingénieurs, que lisait mon père. Il y avait aussi le bulletin du CAS, dont il fut membre toute sa vie.

    Pour moi, c'était un peu juste. Alors, dès que j'avais un moment, je filais à la Bibliothèque municipale. Journal de Genève, Monde, journaux allemands, hebdomadaires, etc. Pour mes quinze ans, mes parents m'ont offert un abonnement au Nouvel Observateur, journal qui me fascinait depuis un certain temps. Je l'ai gardé de longues années. J'ai grandi avec cette équipe rédactionnelle d'une rare sensibilité, dirigée par cet homme d'exception : Jean Daniel. J'attendais le mercredi, devant la boîte aux lettres, avec impatience. Il me fallait physiquement ce journal, le toucher, le humer, le lire d'un bout à l'autre.

    Dès 1974, je me suis mis à détester Giscard, exagérément d'ailleurs, je le reconnais rétrospectivement. Et à souhaiter, contre ce modèle libéral et ces accents orléanistes, l'arrivée de François Mitterrand à l'Elysée. J'étais contre la peine de mort, pour les nationalisations (eh oui !), pour la culture dans les banlieues, pour la justice sociale. Être abonné au Nouvel Obs, dans les années 70, jusqu'au 10 mai 1981, c'était prendre connaissance d'une autre France que celle de Giscard, accéder à d'autres voix, lire d'autres plumes, rêver d'un autre avenir.

    A vrai dire, l'équipe de Jean Daniel était davantage rocardienne que mitterrandienne, elle le fut en tout cas jusqu'au Congrès socialiste de Metz (1979), qui régla l'affaire en faveur du futur Président. L'homme de Jean Daniel, l'homme de sa vie, le modèle en politique, c'était Pierre Mendès France, éblouissant Président du Conseil en 54/55, mais solitaire, incapable de rassembler un puissant mouvement autour de sa personne : dans la logique de la Cinquième, il n'avait aucune chance.

    J'aimais les éditos de Jean Daniel. Pour leur humanité. La chaleur de sa plume, moins démonstrative que celle d'un Jacques Julliard. Il ne voulait pas, à tout prix, avoir raison : il voulait témoigner, dire cette part de sensibilité, de vécu historique qu'il avait en lui, enracinée. Il y avait dans son style le soleil de l'Afrique du Nord, la passion des peuples libres, le combat pour la décolonisation. Et puis, tout en avant, le bonheur intense d'avoir aimé, fréquenté, des hommes et des femmes, penseurs, écrivains, artistes, poètes, qu'il avait rencontrés, tout au long de sa vie.

    Aujourd'hui où cet homme nous quitte, ayant vécu si longtemps, traversé le siècle, porté le témoignage, des rivages de l'Afrique du Nord jusqu'à la densité cosmique de Paris, en passant par Camus, ou par le combat infatigable pour la paix au Proche-Orient, je veux dire que Jean Daniel, témoin des mille lumières, pétri de culture et d'humanité, aura été, parmi d'autres, l'un des phares de mes jeunes années. Hommage et reconnaissance, oui.

     

    Pascal Décaillet