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Sur le vif - Page 43

  • René Ledrappier (1933-2025), l'homme qui m'a ouvert toutes les fenêtres

     
    Sur le vif - Vendredi 17.01.25 - 17.04h
     
     
    René Ledrappier est mort, j'ai appris hier la nouvelle par son fils aîné Bertrand, mon très vieil ami d'école (septembre 1965), elle m'a littéralement soufflé. Ma première pensée va à lui, Bertrand, mais aussi à ses frères et soeurs, Laurence, Claude, Bruno, leurs conjoints, enfants, et tous les proches. Je suis sous le coup, je m'en veux de ne pas l'avoir revu depuis longtemps, le ressac de la mémoire ne fait que commencer à s'emparer de moi. C'est quelque chose, la mémoire.
     
    René Ledrappier était né le même jour que ma mère, mais treize ans après elle, le 8 septembre 1933. C'est le jour de la Nativité de la Vierge. Il est décédé avant-hier, 15 janvier 2025, et laisse ceux qui l'ont connu, et admiré, face à l'immensité du souvenir.
     
    Je me souviens de sa première apparition dans ma vie, comme si c'était hier. Septembre 1965, j'avais sept ans, j'entrais dans une école, l'Institut Florimont, dont je ne suis sorti qu'à dix-sept ans et demi, en avril 1976, lors de l'obtention de ma Maturité fédérale, type A, latin-grec. Bertrand, quelques semaines après, passait son Bac C (maths et physique, hyper-poussés). Onze ans dans la même école !
     
    Septembre 65, oui, je vois cet homme grand, mince, élancé, père de Bertrand mon camarade de classe, mais beaucoup plus jeune que mes parents à moi. Il aborde ma mère, avec douceur et courtoisie. "Je vois que vous faites les trajets à pied, nous sommes voisins, je suis professeur au secondaire ici même, j'ai une voiture, je véhicule volontiers votre fils, si ça peut vous arranger". Quelque chose commençait, une fenêtre s'ouvrait. J'ignorais encore, à sept ans, l'intensité du vent.
     
    Monsieur Ledrappier a été, de 1969 à 1973, mon prof de maths, pour les quatre premières années de l'école secondaire. Il était d'une intelligence éclatante, il nous a tous marqués, à un point que nul ne peut imaginer. Il avait de la tenue, du verbe, du courage, il était comme ces hussards noirs dont parle si bien Péguy dans ses Cahiers de la Quinzaine, mais flamboyant comme un Mousquetaire. Début novembre 1970, il s'était absenté pour un jour, le temps de se rendre à Colombey-les-Deux-Eglises, pour les funérailles de Charles de Gaulle. Quand on est un garçon de douze ans, ça marque.
     
    René Ledrappier, fils d'un officier de l'armée française mort au combat, dans sa colonne de chars, face aux Panzers de la Wehrmacht, lors de la foudroyante offensive allemande de mai 40, était un homme hors-normes. Âpre et généreux, gaulliste de l'aile sociale, passionné viscéral de musique, notamment de Haendel, grand lecteur, inconditionnel de Malraux, il avait la passion solaire et indivisible, il avait quelque chose des grands Romantiques allemands. Pour l'avoir connu comme enfant, puis comme ado, puis comme adulte, tout cet univers m'a imprégné, accompagné, angoissé parfois, mais tellement enrichi. Mon premier sentiment, en écrivant ces lignes, est celui de la reconnaissance. Comme pour le Père Collomb, le lumineux aumônier du primaire. Comme pour Rolf Kühn, exceptionnel prof d'allemand, qui m'a initié à Kleist avant même l'âge de quinze ans. Comme pour le grand Bernhard Boeschenstein, mon prof de littérature allemande moderne à l'Uni.
     
    Gratitude, oui. Pour les fenêtres innombrables qu'il m'a ouvertes. Pour l'exemple de rigueur qu'il fut. Pour son courage. Pour son panache. Pour son rapport au verbe et à la musique. Pour son exigence d'intelligence. Pour sa sensibilité, lorsqu'il nous lisait Victor Hugo, ou Malraux.
     
    Oui, toute mon immense sympathie pour les siens. Et pour moi, la puissance intacte de son souvenir. Pour toujours.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Le lit A, le lit B

     
    Sur le vif - Dimanche 12.01.25 - 15.38h
     
     
    Imaginez, dans un hôpital, une chambre à deux lits. Dans le lit A, un agonisant. Dans le lit B, un type en parfaite santé, juste là pour un bobo passager. Et le lit A, l'agonisant, qui se fait un mouron d'enfer pour le lit B ! Il ne parle que de lui, ne s'intéresse qu'à lui, passe son temps à réclamer un contrôle médical absolu pour ce voisin qui se porte comme un charme. Lui, le lit A, se meurt, pire qu'Henriette d'Angleterre. L'autre, le lit B, a la vie devant lui. Mais le lit A, comme déraciné de son propre chemin de mort, ne s'intéresse qu'au lit B.
     
    Ainsi, la singulière fascination, toute d'envies, de jalousies, de nostalgies, des "médias traditionnels" pour les réseaux sociaux.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Michel Bovey : il était la vie

     
    Sur le vif - Jeudi 09.01.25 - 18.05h
     
     
    A vous qui me lisez, ces quelques mots, à l'arraché, suite à la nouvelle que je viens d'apprendre : Michel Bovey, l'un des plus attachants habitués de GAC depuis 19 ans, vient de nous quitter. Tristesse, infinie. Pensées émues pour son épouse, sa famille, ses proches. Le monde de la culture, à Genève, perd une figure, une énergie vitale, un être de désir et d'enthousiasme. Un rassembleur.
     
    J'avais croisé Michel, avec son épouse, à Carouge, peu avant Noël. Comme toujours, il m'avait embrassé. On avait disserté sur son ardeur à travailler encore, bien après l'âge de la retraite. Un moment, il m'a pris à part, il m'a lancé : "Pascal, ne t'arrête jamais ! Reste toujours en éveil, toujours avec des projets, la flamme de l'enthousiasme". Il me tenait le bras, ne le lâchait pas, j'ai senti que quelque chose d'essentiel se passait. J'en ai d'ailleurs parlé à mon épouse. Une fois de plus, cet homme m'avait touché. J'ignorais que c'était la dernière.
     
    Michel Bovey, c'était l'homme des Concerts de Lancy. Tous les habitants de cette Commune, qui m'est chère, connaissent l'apport inestimable de cet homme à la vie musicale lancéenne. Toutes les musiques, pour tous les goûts, pour ensoleiller les dimanches.
     
    Mais surtout, quel éveil à la vie ! Quel enthousiasme ! Quelle ouverture ! Dans la longue Histoire de GAC, bientôt vingt ans, des personnages reviennent, comme dans les romans russes, comme dans Tintin. Michel est l'un de ceux auxquels je me suis le plus attaché. Il était une énergie. Il était la vie.
     
     
    Pascal Décaillet